La place de la coutume internationale en droit public français

Par Bernard Stirn, Président de la section du contentieux du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Bernard Stirn, président de la section du contentieux, lors du colloque organisé au Ministère des affaires étrangères par le Comité pour le droit international du Conseil de l’Europe sur le thème : « le juge et la coutume internationale ».

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Comité pour le droit international du Conseil de l’Europe

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Colloque organisé le 21 septembre 2012 au Ministère des affaires étrangères sur « le juge et la coutume internationale »

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Intervention de Bernard Stirn, président de section au Conseil d’État : la place de la coutume internationale en droit public français

 

La définition de la coutume internationale en droit public français correspond à la définition généralement admise, à partir des deux éléments : d’une part, la pratique générale et cohérente des Etats, d’autre part, l’opinio juris qui reconnaît cette pratique comme résultant d’une obligation juridique.

Du fait tant de la codification entreprise sous l’égide de la Cour internationale de justice que du développement des conventions internationales, la coutume occupe en droit international une place qui se réduit. Les deux domaines où elle demeure significative sont le droit de la mer et celui des immunités de juridiction et d’exécution des Etats. Aussi son invocation en droit français est-elle peu fréquente. La jurisprudence n’est constituée que de quelques décisions, souvent espacées de plusieurs années.

Dans le contexte général de liens plus étroits entre droit international et droit interne et d’autorité accrue des normes internationales, le statut de la coutume internationale en droit public français s’est toutefois précisé et renforcé. Trois constats peuvent être faits à cet égard :

1/ Le cadre constitutionnel demeure discret en ce qui concerne la coutume internationale.

2/ La coutume internationale produit néanmoins des effets dans l’ordre juridique interne.

3/ Mais sa place dans la hiérarchie des normes n’est pas aussi assurée que celle des traités.

 

1/ Le cadre constitutionnel

Norme suprême dans l’ordre juridique interne,  la constitution détermine la place du droit international dans le droit interne.   A la différence de celles de certains Etats, notamment l’Allemagne, la constitution française ne mentionne pas expressément la coutume internationale. Deux dispositions seulement donnent le cadre général :

-le quatorzième alinéa du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 aux termes duquel « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international » ;

-l’article 55 de la Constitution qui confère aux traités et accords internationaux, régulièrement ratifiés et publiés, et sous réserve de réciprocité, une « autorité supérieure à celle des lois ».

On constate que ces dispositions ne mentionnent pas la coutume. Celle-ci peut néanmoins être regardée comme incluse dans les règles du droit public international, auxquelles le Préambule se réfère. En tout cas seuls les traités et accords dûment ratifiés et publiés se voient reconnaître, dans l’ordre juridique interne, une autorité supérieure à celle des lois.

2/ Les effets de la coutume internationale en droit public interne

Peu encline, de façon générale, à consacrer la coutume, la jurisprudence du Conseil d’Etat est longtemps demeurée réservée à l’égard des normes internationales. Du fait de cette double retenue, à l’égard de la coutume et à l’égard du droit international, la coutume internationale est d’abord restée à l’écart du contentieux administratif. Juge de droit interne français, le juge administratif  ne s’en saisissait pas. C’est ce qu’affirme encore  la décision de la section du contentieux du Conseil d’Etat, du 22 novembre 1957, Myrtoon steamship et Cie, aux conclusions du président Heumann : une contestation relative à l’angarie, réquisition de navires étrangers en cas de guerre, se rattache « tout à la fois à la conduite de la guerre et aux rapports internationaux de l’Etat français avec les autres puissances » et échappe « à ce double titre » à la compétence du Conseil d’Etat, statuant au contentieux.

Cette jurisprudence a considérablement évolué.

Après une première ouverture qui résulte implicitement d’une décision de section du 18 avril 1986, société les Mines de potasse d’Alsace, une décision de section du 23 octobre 1987, Société Nachfolger navigation Company  tranche un contentieux relatif à la responsabilité de l’Etat du fait la destruction d’une épave en haute mer au regard des règles du droit coutumier international.

Le tournant est définitivement acquis par la décision d’assemblée du 6 juin 1997, Aquarone. Saisi d’un litige relatif à l’imposition en France de la pension de retraite versée à l’ancien greffier de la Cour internationale de justice, de nationalité australienne mais qui était venu s’établir dans le Vaucluse, le Conseil d’Etat se prononce au regard notamment de la coutume internationale.

Cette jurisprudence est appliquée par la décision Mme Saleh, rendue en section le 14 octobre 2011, à propos  de l’immunité d’exécution des Etats : le Conseil d’Etat juge qu’ « il résulte d’une règle coutumière du droit public international que les Etats bénéficient par principe de l’immunité d’exécution pour les actes qu’ils accomplissent à l’étranger » et que « cette immunité fait obstacle à la saisie de leurs biens, à l’exception de ceux qui ne se rattachent pas à l’exercice d’une mission de souveraineté ».

La coutume internationale produit donc pleinement des effets dans le droit interne. Son autorité y est toutefois différente de celle des traités.

3/ La place de la coutume internationale dans la hiérarchie des normes

En droit international, la coutume a la même autorité que les traités.

En droit interne, il en va différemment. En affirmant que les traités et accords ont une autorité supérieure à celle des lois, l’article 55 de la Constitution a certes ouvert la voie au « contrôle de conventionnalité », qui conduit tous les juges à écarter l’application d’une loi incompatible avec les stipulations d’un traité ou d’un accord, même lorsque la loi est postérieure à ce traité ou à cet accord. Le Conseil constitutionnel a souligné la différence entre ce contrôle, qui appartient au juge administratif et au juge judiciaire, du contrôle de conformité des lois à la Constitution, qu’il est le seul à exercer. En particulier, sa décision du 12 mai 2010, Jeux en ligne, distingue expressément « le contrôle de conformité des lois à la constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et judiciaires ».

Mais l’article 55 de la Constitution ne concerne que les traités et accords. Il ne mentionne pas la coutume internationale. Aussi le Conseil d’Etat juge-t-il, depuis l’arrêt Aquarone, que « ni cet article ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n’implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes ». De même, la décision Mme Saleh, précise-t-elle, pour appliquer la règle coutumière d’immunité d’exécution des Etats, que cette règle n’est écartée, en droit interne, par aucune disposition législative.

Devant le juge administratif, la coutume internationale s’impose aux actes administratifs, réglementaires comme individuels. En revanche, elle ne prévaut pas sur la loi, qui peut en écarter l’application, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur la question de savoir si la loi est ou non plus récente que la coutume. Pour le juge administratif, la coutume internationale n’est pas une référence dans l’exercice du contrôle de conventionnalité de la loi.

Pourrait-elle, dans ces conditions, être invoquée devant le juge constitutionnel, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité ? La question demeure ouverte.

Le Conseil constitutionnel s’est à plusieurs reprises référé à la règle coutumière « Pacta sunt servanda », qu’il a mentionnée dans ses deux décisions du 9 avril et du 2 septembre 1992, relatives au traité de Maastricht, ainsi que dans ses décisions du 20 juillet 1993 relative au code de la nationalité, du 22 janvier 1999 sur le statut de la Cour pénale internationale, enfin du 2 août 2012 relative au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Particulièrement explicite, cette dernière décision indique qu’après l’entrée en vigueur du traité, la France devra l’appliquer de bonne foi en application de la règle « pacta sunt servanda ».

D’autres règles non écrites du droit international ont été évoquées par le Conseil constitutionnel, comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (décision du 30 décembre 1975 relative à la loi sur les conséquences de l’autodétermination des îles des Comores), les effets des nationalisations hors du territoire national (décision du 11 février 1982 sur la loi de nationalisation), certaines règles du droit de la mer (décision du 28 avril 1985 sur la loi relative à la création du registre international français).

Cette jurisprudence du Conseil constitutionnel confirme que  le droit international coutumier produit des effets en droit interne. Sans définir précisément sa place dans la hiérarchie des normes, au regard notamment des missions qui incombent au juge constitutionnel, elle montre que l’Etat a l’obligation de la respecter et qu’à tout le moins, la loi doit être interprétée de manière à satisfaire à cette obligation. Par une telle approche fondée sur la conciliation, la coutume internationale s’inscrit dans le cadre d’ensemble qui , de manière générale, s’applique aux liens entre droit interne et droit international.