Décision de justice

Séparation des Églises et de l’État

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Le Conseil d’État juge contraire à la loi du 9 décembre 1905 l’installation d’une croix en surplomb d’une statue du pape Jean-Paul II érigée sur une place de la commune de Ploërmel (Morbihan)

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L’Essentiel :

•    La Fédération morbihannaise de la libre pensée et deux autres requérants ont demandé au maire de Ploërmel (Morbihan) de retirer de tout emplacement public de la commune le monument érigé sur une place publique de la commune et composé d’une statue représentant le pape Jean-Paul II, surmontée d’une arche et d’une croix. Le silence gardé par le maire sur ces demandes a fait naître des décisions implicites de refus.

•    Les requérants ont demandé au tribunal administratif de Rennes, d’une part, d’annuler ces refus, d’autre part, d’enjoindre au maire de retirer le monument. Le tribunal y a fait droit. La cour administrative d’appel de Nantes a en revanche eu une appréciation différente : elle a annulé ce jugement et rejeté la demande des requérants.

•    Par la décision de ce jour, le Conseil d’État annule cet arrêt en tant seulement qu’il se prononce sur la demande de retrait de l’arche et de la croix surplombant la statue du pape Jean-Paul II. Il juge que cette croix, à la différence de l’arche, constitue un signe ou emblème religieux dont l’installation est contraire à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.

Les faits et la procédure :

Par une délibération du 28 octobre 2006, le conseil municipal de Ploërmel (Morbihan) a accepté le don, fait par l’artiste russe Zurab Tsereteli, d’une statue représentant le pape Jean-Paul II, destinée à être érigée sur une place publique de la commune.

La Fédération morbihannaise de la libre pensée, Mme P. et M. K. ont demandé au maire de Ploërmel de retirer le monument consacré à Jean-Paul II de tout emplacement public de la commune. Le silence gardé par le maire sur ces demandes a fait naître des décisions implicites de rejet.

Les intéressés ont alors saisi le tribunal administratif de Rennes d’une demande tendant, d’une part, à l’annulation de ces décisions implicites de rejet, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au maire de retirer le monument de son emplacement. Par un jugement du 30 avril 2015, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à ce recours et a enjoint au maire de Ploërmel de faire procéder, dans un délai de six mois, au retrait du monument de son emplacement.

Par un arrêt du 15 décembre 2015, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement et rejeté les demandes présentées par la Fédération morbihannaise de la libre pensée, Mme P. et M. K.

Ces derniers se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État.

La décision du Conseil d’État :

Par la décision de ce jour, le Conseil d’État fait partiellement droit aux demandes des requérants, qui soutenaient que les décisions du maire refusant de retirer le monument de son emplacement méconnaissaient la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.

Le Conseil d’État annule d’abord en partie l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 15 décembre 2015 au motif que cette dernière s’est méprise sur la portée de la délibération du 28 octobre 2006 du conseil municipal de Ploërmel.

Il juge, contrairement à la cour administrative d’appel, que cette délibération avait exclusivement pour objet l’acceptation du don à la commune de la statue et ne comportait aucun élément relatif à l’arche et à la croix de grande dimension, distinctes de la statue, installées en surplomb de celle-ci. Il en déduit l’existence d’une décision du maire, distincte de la délibération du 28 octobre 2006, de procéder à l’installation d’une arche et d’une croix en surplomb de la statue.

Or cette décision du maire, à la différence de la délibération du 28 octobre 2006, n’a fait l’objet d’aucune mesure de publicité. Les délais de recours n’ont donc pas couru à son encontre, ce qui a pour conséquence, en vertu des règles rappelées au point 4 de la décision du Conseil d’État, que cette décision pouvait être abrogée par le maire, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel.

Le Conseil d’État tire les conséquences de cette analyse en prononçant l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en tant qu’il porte seulement sur les demandes des requérants tendant au retrait de la croix et de l’arche surplombant la statue du pape Jean-Paul II. La partie de l’arrêt concernant le refus de retirer la statue, objet de la délibération du 28 octobre 2006 devenue définitive ainsi que l’a jugé la cour, est en revanche confirmée.

Après cassation, saisi comme juge d’appel de cette partie du litige, le Conseil d’État fait application de la grille d’analyse dégagée par ses décisions Fédération de la libre pensée de Vendée et Commune de Melun du 9 novembre 2016, rendues au sujet de l’installation de crèches de Noël dans des emplacements publics.

Il rappelle d’abord la portée de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, aux termes duquel : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions. ». Cet article, qui a pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, fait obstacle à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse, sous réserve des exceptions qu’il ménage.

En l’espèce, après avoir relevé les caractéristiques de la croix et de l’arche qui surplombent la statue du pape Jean-Paul II installée à Ploërmel, l’ensemble atteignant une hauteur de 7,5 mètres hors socle, il estime que l’arche ne saurait, par elle-même, être regardée comme un signe ou emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

Le Conseil d’État retient en revanche une solution opposée s’agissant de la croix surplombant l’œuvre, écartant l’argumentation de la commune qui faisait valoir en défense, pour justifier cette installation, le caractère d’œuvre d’art de l’ensemble, le fait que la croix constituerait l’expression d’une forte tradition catholique locale ou encore la circonstance que la parcelle sur laquelle est implantée le monument litigieux aurait fait l’objet d’un déclassement du domaine public. Il juge en outre que sont sans incidence le fait que la statue ait fait l’objet d’une décision de non-opposition à déclaration de travaux, l’intérêt économique et touristique du monument pour la commune, et le fait que le retrait de tout ou partie de l’œuvre méconnaîtrait les engagements contractuels la liant à l’artiste.

Dès lors que la croix constitue un signe ou un emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et que son installation par la commune n’entre dans aucune des exceptions ménagées par cet article, sa présence dans un emplacement public est contraire à cette loi.

Le Conseil d'État, statuant comme juge d'appel dans la limite de la cassation, confirme l'injonction prononcée par le tribunal administratif dans son jugement du 30 avril 2015 en tant seulement qu'il ordonne de procéder au retrait de la croix.