Transaction Ligue de football professionnel - AS Monaco

Décision de justice
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Le Conseil d’État juge irrégulière et illicite la transaction par laquelle la Ligue de football professionnel s’était engagée, en janvier 2014, à modifier son règlement pour permettre à l’AS Monaco de continuer à participer aux championnats de ligue 1 et 2 sans être contrainte d’établir son siège sur le territoire français.

> Lire la décision Football club des Girondins de Bordeaux et autres Nos 375542,375543

L’essentiel :

-        Le Conseil d’État juge que la transaction par laquelle la Ligue de football professionnel s’était engagée à modifier son règlement pour mettre fin au litige qui l’opposait à l’AS Monaco et permettre à ce club de participer aux championnats de Ligue 1 et 2 sans transférer son siège en France a été adoptée au terme d’une procédure irrégulière.
-        Il juge également cette transaction illicite dès lors que la Ligue, qui est chargée d’une mission de service public portant sur l’organisation des compétitions de football professionnel, ne peut s’engager contractuellement à fixer les règles de ces championnats dans tel ou tel sens.
-        Le Conseil d’État annule donc la modification du règlement administratif de la Ligue, décidée par une délibération de son conseil d’administration le 23 janvier 2014 pour mettre en œuvre la transaction, l’autorisation donnée au président de la Ligue par le conseil d’administration de signer la transaction et la décision de signer celle-ci. Il enjoint à la Ligue et à l’AS Monaco de supprimer la transaction dans un délai de quatre mois.
-        Le Conseil d’État diffère cependant  jusqu’au 1er octobre 2015 l’annulation des dispositions en cause du règlement administratif de la Ligue, afin de permettre à celle-ci, si elle le souhaite, de prendre une nouvelle décision sans bouleverser l’organisation de la prochaine saison ; il juge par ailleurs que les championnats de la saison passée ne sont pas remis en cause.
-        Le Conseil d’État juge enfin que l’article L. 122-1 du code du sport n’impose pas de contraindre l’AS Monaco à fixer son siège en France pour pouvoir continuer de participer aux championnats de football et que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que des règles particulières soient prévues pour ce club.

Les faits et la procédure :

La Fédération française de football a été chargée par la loi d’une mission de service public administratif, notamment pour l’organisation des compétitions sportives. Comme la loi l’y autorise, elle a créé une Ligue de football professionnel,  à qui elle a confié la gestion du football professionnel et, en particulier, l’organisation des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 des clubs professionnels. A ce titre, la Ligue réglemente les conditions de participation à ces championnats : elle exerce ainsi elle-même une mission de service public et prend des décisions qui sont des actes administratifs.

Par une délibération du 21 mars 2013, le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel avait modifié l’article 100 de son règlement administratif pour prévoir que seuls les clubs dont le « siège de la direction effective » serait implanté sur le territoire français pourraient participer aux compétitions de Ligue 1 et de Ligue 2. Cette modification, qui devait s’appliquer à compter du 1er juin 2014, avait pour effet d’empêcher l’AS Monaco de participer à ces compétitions, sauf à ce que ce club transfère son siège sur le territoire français.

L’AS Monaco avait alors saisi le Conseil d’État, qui est compétent pour connaître des recours contre un tel acte réglementaire d’organisation des compétitions sportives au niveau national. Toutefois, avant que ce recours ne soit jugé, en janvier 2014, la Ligue et l’AS Monaco ont négocié une transaction mettant fin au litige. Par cette transaction, la Ligue s’engageait à modifier à nouveau son règlement pour permettre à l’AS Monaco de participer aux championnats sans transférer son siège et à renoncer, pour l’avenir, à toute mesure ayant pour effet d’imposer à ce club de transférer son siège en France ; de son côté,  l’AS Monaco renonçait à son recours et versait cinquante millions d’euros à la Ligue « pour la restauration de l’équité sportive ». Par une délibération du 23 janvier 2014, le conseil d’administration de la Ligue a modifié à nouveau son règlement dans le sens convenu et autorisé le président de la Ligue à conclure la transaction. L’AS Monaco s’est désisté de son recours devant le Conseil d’État.

Plusieurs clubs de football ont alors contesté devant le Conseil d’État cette nouvelle délibération de la Ligue et la décision de signer la transaction. La décision rendue ce jour par le Conseil d’État statue sur ces requêtes.

La décision du Conseil d’État :

  • Une procédure irrégulière

Pour modifier son règlement, par une délibération de son conseil d’administration, qui constitue un acte administratif réglementaire, la Ligue doit respecter des principes qui s’appliquent même sans texte : les membres du conseil doivent avoir été convoqués et informés en temps utile de l’ordre du jour de la réunion et avoir reçus, si nécessaire, les documents leur permettant d’y participer en connaissance de cause.

En l’espèce, la délibération du 23 janvier 2014 a été prise en méconnaissance de ces principes. En effet, le Conseil d’État relève que la convocation a été adressée, par courriel, à 13h31 le 23 janvier 2014, pour une réunion à 18h30. Ce courriel n’informait pas les membres du conseil d’administration de l’ordre du jour et ne comportait ni le projet de transaction, ni le projet de modification du règlement administratif de la Ligue, ni  aucun autre document d’information. Le fait que les membres du conseil d’administration connaissaient le contexte et, en particulier, le litige en cours avec l’AS Monaco ne suffit pas.  La délibération est donc illégale pour ce premier motif.

  • Une transaction irrégulière

Lorsqu’elle fixe les règles des championnats de Ligue 1 et 2, la Ligue règlemente ces compétitions dans le cadre d’une mission de service public et agit en vertu de prérogatives de puissance publique qui lui ont été déléguées. Un principe fondamental du droit public français, dégagé depuis longtemps par la jurisprudence, interdit de s’engager par contrat à prendre un règlement administratif dans un sens déterminé. Une autorité investie d’un pouvoir réglementaire doit exercer sa compétence dans l’intérêt général et au regard des divers intérêts dont elle a la charge ; elle ne peut pas s’engager par un contrat signé avec une personne particulière à faire usage de son pouvoir réglementaire dans tel ou tel sens.

Appliquant ces principes, le Conseil d’État juge que la Ligue ne pouvait pas s’engager par une transaction – qui est un contrat destiné à mettre fin à un litige ou à prévenir une contestation -  avec un club de football à modifier son règlement dans un certain sens.

Cette transaction est donc illicite et le Conseil d’État annule la délibération du conseil d’administration de la Ligue qui autorise son président à la signer et la décision du président de la signer.

Constatant que la délibération du 23 janvier 2014 n’a par ailleurs modifié le règlement de la Ligue que pour se conformer à l’accord convenu avec l’AS Monaco et que la
 Ligue a ainsi fait usage de son pouvoir réglementaire dans un but qui n’est pas celui en vue duquel la loi lui reconnaît un tel pouvoir, il annule aussi cette modification du règlement

Ce qu’implique l’exécution de la décision du Conseil d’État :

En principe, les annulations prononcées par le Conseil d’État ont un effet immédiat et rétroactif, mais la jurisprudence lui reconnaît le pouvoir d’y déroger si les conséquences d’une annulation immédiate et  rétroactive sont excessives. En l’espèce, le Conseil d’État constate que l’annulation des  nouvelles dispositions du règlement a pour effet de rétablir la disposition, adoptée en 2013, qui impose aux clubs qui veulent participer aux championnats français d’avoir leur siège en France. Un effet immédiat et rétroactif d’une telle annulation aurait des conséquences disproportionnées, d’une part, en bouleversant la préparation de la prochaine saison, d’autre part, en remettant en cause le championnat de la saison 2014-2015 (auquel l’AS Monaco a participé sans avoir transféré son siège). Il a donc décidé de différer l’annulation jusqu’au 1er octobre 2015 et donné quatre mois à la Ligue pour annuler sa relation contractuelle avec l’AS Monaco. Si, d’ici au 1er octobre 2015, la Ligue adopte de nouvelles dispositions sur la localisation du siège des clubs qui participent aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2, elle devra déterminer leurs modalités d’entrée en vigueur.

La décision du Conseil d’État apporte à cet égard plusieurs précisions :
- un débat avait eu lieu sur l’article L. 122-1 du code du sport, qui prévoit que tout club sportif, constitué en association et affilié à la fédération, doit constituer pour la gestion de ses activités professionnelles une société commerciale « soumise au code de commerce  ». Contrairement à ce qui avait pu être soutenu, le Conseil d’État juge que cette référence, par le code du sport, au code de commerce n’exclut pas, à elle seule, la possibilité, pour un club de football de constituer une société commerciale de droit étranger. On ne peut déduire de la rédaction de l’article L 122-1 du code du sport l’obligation, pour tous les clubs qui participent aux championnats de football en France, d’avoir constitué une société dont « le siège de la direction effective » est en France. 
- le Conseil d’État constate également que le club de Monaco, qui est installé hors du territoire français mais participe depuis très longtemps aux championnats nationaux, est dans une situation particulière. Il juge que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que des dispositions réglementaires particulières soient prévues pour fixer les conditions de sa participation aux championnats organisés par la Ligue.