Avis sur le projet de loi relatif à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 et au traitement des copropriétés dégradées

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi relatif à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 et au traitement des copropriétés dégradées.

1. Le Conseil d’Etat a été saisi, le 8 juillet 2023, d’un projet de loi relatif à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 et au traitement des copropriétés dégradées. Il a fait l’objet d’une saisine rectificative le 11 juillet supprimant les dispositions relatives au traitement des copropriétés dégradées. Le Conseil d’Etat propose, en conséquence, de modifier le titre du projet de loi en supprimant la référence au traitement de ces copropriétés.

2. Le projet ainsi rectifié a pour objet de permettre l’engagement, dans les plus brefs délais, des travaux de réparation et de reconstruction des nombreux bâtiments, publics comme privés, endommagés à l’occasion des troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023.

3. Il comporte trois articles habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances sur le fondement de l’article 38 de la Constitution pour déroger, à titre transitoire, à diverses règles en matière d’urbanisme, de commande publique et de soutien financier aux travaux publics effectués par les collectivités territoriales. 

4. Le Conseil d’Etat retient, tout d’abord, que l’intérêt général qui s’attache à remédier, dans les meilleurs délais, aux nombreux et importants dégâts causés aux bâtiments des quelque cinq cents communes françaises touchées par les événements, d’une ampleur inédite, survenus du 27 juin au 5 juillet 2023, en particulier aux immeubles dévolus à des missions de service public, afin de permettre la continuité des services, tant publics que privés, qui y étaient assurés au bénéfice de l’ensemble de leurs habitants, justifie qu’il soit dérogé, en urgence, à ces règles, dans la mesure nécessaire pour faciliter et accélérer la réalisation des travaux de réparation des dégâts. 

5. Le Conseil d’Etat constate, ensuite, que l’étude d’impact, quoique brève en ce qui concerne les mesures dérogatoires destinées à faciliter les travaux et à soutenir les collectivités territoriales, est suffisante, à ce stade, pour appréhender les finalités précises poursuivies par ces mesures et en apprécier la pertinence. Il recommande toutefois d’étoffer, en vue de la présentation du projet de loi devant le Parlement, tant le bilan des dégâts constatés que leur analyse, afin de renforcer la justification de l’adéquation entre les mesures envisagées et les besoins des collectivités concernées. 

6. Le Conseil d’Etat observe, enfin, que si le projet de loi ne comporte que des articles d’habilitation, certaines des habilitations sollicitées par le Gouvernement portent sur des dispositions législatives brèves et dont la rédaction ne soulève pas de difficulté. Il en va, notamment, ainsi des dérogations aux règles de passation et de dévolution des marchés publics et de celles relatives au financement de travaux publics.
Le Conseil d’Etat rappelle qu’il est, en principe, de bonne méthode, en pareil cas, d’inclure directement dans le projet de loi les mesures en cause afin de les soumettre à l’avis du Conseil d’Etat puis au vote du Parlement (CE, avis du 24 mars 2016, n° 391262, point 5 et CE, avis du 4 mai 2020, n° 400060, point 8). Il ne peut toutefois que prendre acte, en l’espèce, de la volonté clairement exprimée par le Gouvernement d’inclure uniquement, dans le projet de loi, des dispositions d’habilitation.

7. Les délais d’habilitation sont harmonisés, les ordonnances prévues par le projet de loi devant intervenir dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la loi. Le Conseil d’Etat s’interroge toutefois sur le caractère réaliste des délais ainsi fixés. Il serait de meilleure méthode de prévoir un délai d’habilitation légèrement plus long qui, sans amoindrir l’urgence s’attachant à ces mesures, permettrait de les définir avec la précision adéquate. Le Conseil d’Etat propose, en conséquence, de porter le délai d’habilitation à trois mois.

8. De manière générale, le Conseil d’Etat veille, en indiquant les modifications qui lui paraissent nécessaires dans la rédaction des habilitations, à ce que les finalités et les domaines d’intervention soient définis de manière suffisamment précise, sans descendre cependant dans un degré de détail excessivement contraignant au regard des finalités poursuivies. D’autant plus qu’à ce stade et si peu de temps après la première constatation des dégâts, il est normal que subsistent des incertitudes quant aux mesures les plus efficaces. Le Conseil d’Etat estime néanmoins qu’en dépit de ces indéterminations, l’exigence constitutionnelle de précision posée par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 38 de la Constitution et rappelée, notamment dans ses récentes décisions n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019 et n° 2021-825 DC du 13 août 2021, peut être respectée dès lors que la finalité poursuivie est précisément définie et que les domaines d’intervention sont explicitement identifiés et circonscrits. Au surplus, le Gouvernement n’est jamais tenu d’épuiser l’habilitation dont il dispose. 

9. Enfin, le Conseil d’Etat rappelle que, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet, ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que les normes internationales et européennes applicables » (voir, notamment, Conseil constitutionnel, n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, considérant 10).

10. A la lumière des principes rappelés aux points 8 et 9, les habilitations prévues par le projet de loi, outre des modifications rédactionnelles qu’il suggère au Gouvernement, appellent de la part du Conseil d’Etat les observations qui suivent.

En ce qui concerne l’habilitation à déroger à certaines règles d’urbanisme :

11. Le Gouvernement sollicite, tout d’abord, une autorisation à légiférer par voie d’ordonnance afin d’aménager le droit de reconstruction à l’identique, prévu à l’article L. 111-15 du code de l’urbanisme, d’autoriser l’engagement des travaux dès le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme requise, qu’il s’agisse d’une demande de permis ou d’une déclaration préalable, et, enfin, d’adapter les règles de délivrance des autorisations d’urbanisme, afin de les accélérer.

12. Dans chacun de ces domaines, des dispositions législatives sont nécessaires, y compris en matière de règles de délivrance des autorisations d’urbanisme. Ce sont, en effet, des dispositions législatives qui prévoient, en particulier aux articles L. 425-1 et suivants du code de l’urbanisme, l’articulation entre la délivrance des autorisations d’urbanisme et celle des autorisations ou avis requis au titre d’autres législations, par exemple en matière de règlementation des établissements recevant du public ou d’autorisation d’exploitation commerciale.

13. Il en va également ainsi pour les procédures d’instruction, dès lors que certains éléments comme la participation du public exigée par l’article 7 de la Charte de l’environnement relèvent de la compétence du législateur, et pour certains délais figurant dans des dispositions de forme législative,  y compris en ce qui concerne les effets attachés au silence de l’administration. 

14. Enfin, le Conseil d’Etat propose de modifier le projet de loi pour que la possibilité d’engager les travaux dès le dépôt de la demande d’urbanisme soit limitée aux opérations et travaux préliminaires.

15. Cette habilitation n’appelle pas d’autres observations, le respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles par les mesures qu’il est envisagé de prendre ayant vocation à être apprécié au stade de l’ordonnance. 

En ce qui concerne l’habilitation à déroger à certaines règles du code de la commande publique :

16. Dans le but d’accélérer ou faciliter les travaux de reconstruction, le projet de loi comporte une habilitation à intervenir par ordonnance pour adopter deux types de mesures en matière de commande publique : la possibilité de conclure un marché public ou des lots d’un marché public sans publicité préalable mais avec mise en concurrence pour des marchés inférieurs à un seuil défini par l’ordonnance ainsi que l’ouverture d’un nouveau cas de dérogation au principe d’allotissement et d’une nouvelle possibilité de recours aux marchés globaux. La rédaction de l’habilitation est précisée, avec l’accord du Gouvernement, pour viser plus nettement ces mesures dérogatoires et indiquer qu’elles ne pourront être prévues que pour une période limitée.

17. En premier lieu, s’agissant de la dérogation aux règles normales de passation des marchés publics, le Conseil d’Etat souligne qu’une procédure dérogatoire existe déjà dans le code de la commande publique aux articles L. 2122-1 et R. 2122-1 pour faire face à des situations relevant d’une urgence impérieuse. Comme le relève d’ailleurs la circulaire de la Première ministre du 5 juillet 2023 relative à l’accélération des procédures pour faciliter les opérations de réparation ou de reconstruction suite aux dégradations intervenues dans certaines zones urbaines, cette procédure peut être mobilisée dans le cas présent. Le Conseil d’Etat note toutefois que ces dispositions sont d’interprétation stricte et admet en conséquence qu’elles ne pourraient sans doute pas être appliquées à l’ensemble des reconstructions nécessaires. 

18. Le Conseil d’Etat estime que la procédure sans publicité que souhaite mettre en place le Gouvernement ne soulève pas de difficulté d’ordre constitutionnel mais il rappelle, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel (Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 ; Décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020), qu’elle ne dispensera pas les pouvoirs adjudicateurs du respect des exigences d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics. En ce qui concerne le droit de l’Union européenne, il relève que le Gouvernement envisage de réserver cette possibilité à des marchés dont le montant est inférieur au seuil de 5 382 000 euros prévu par la directive 2014/24 du 26 février 2014 relative aux marchés de travaux, de sorte que la question du respect des règles de cette directive ne se posera pas. Il précise toutefois que le Gouvernement devra tenir compte, dans la définition du seuil et des bâtiments concernés, des contraintes résultant de l’application possible du principe de transparence, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne pour les marchés présentant un intérêt transfrontalier certain.

19. En second lieu, il considère que la nouvelle possibilité de dérogation au principe d’allotissement et la nouvelle possibilité de recours aux marchés globaux ne soulèvent pas de difficulté d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

En ce qui concerne le financement des travaux :

20. Le projet de loi prévoit d’habiliter le Gouvernement à mettre en œuvre par ordonnance des mesures tendant à faciliter le financement des travaux que les collectivités territoriales touchées par les évènements, notamment les communes, vont devoir effectuer. Il autorise, à cette fin, diverses dérogations à des dispositifs existants connus des collectivités concernées. 

21. La première habilitation est relative au versement des attributions aux collectivités territoriales au titre du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Le Conseil d’Etat relève que l’article 6 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), tel que modifié par l'article 7 de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, dispose désormais, que les prélèvements sur recettes tels que le FCTVA « sont institués par une loi de finances, qui précise l’objet du prélèvement ainsi que les catégories de collectivités territoriales qui en sont bénéficiaires ». Ces dispositions font obstacle à ce que la loi ordinaire et, par suite, une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, modifie l’objet d’un tel prélèvement ou les catégories de collectivités territoriales qui en sont bénéficiaires. Le Conseil d’Etat propose de préciser dans le projet de loi que l’habilitation porte sur les modalités particulières de versement des attributions destinées aux bénéficiaires du FCTVA, rédaction qui exclut tout empiètement sur la compétence exclusive de la loi de finances. 

22. Les deux autres habilitations prévues par le projet de loi permettent de lever tout ou partie des obligations de participation financière qui pèsent sur une collectivité maître d’ouvrage, lorsque d’autres personnes publiques contribuent au financement du projet. Il s’agit, d’une part, de l’obligation de participation minimale de 20 % prévue au III de l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales et, d’autre part, des fonds de concours permettant à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et ses communes membres de contribuer aux investissements des uns et des autres. Ces dispositifs dérogatoires ciblés n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat.

Cet avis a été délibéré et adopté par la commission permanente du Conseil d’Etat dans sa séance du 11 juillet 2023.