Avis sur un projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie

Avis consultatif
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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie.

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 15 mars 2024 d’un projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Ce projet de loi a été modifié par une saisine rectificative reçue le 30 mars 2024.

2. Ce projet de loi comprend quatorze articles regroupés en deux titres, respectivement intitulés « Renforcer les soins d’accompagnement et les droits des malades » et « Aide à mourir ».

Le titre Ier comprend des dispositions relatives à la création des soins d’accompagnement et aux droits des malades. Ce titre crée une nouvelle catégorie de soins dénommés « soins d'accompagnement » dont le champ est plus large que les soins palliatifs, destinés aux personnes atteintes d’une affection grave. Pour les personnes en fin de vie, il institue au bénéfice de ces personnes l’obligation d’établir un plan personnalisé d’accompagnement et crée un nouveau type d’établissement social ou médico-social (ESMS) intitulé les « maisons d’accompagnement ». Les dispositions de ce titre précisent également les droits des malades en particulier s’agissant du droit de visite et de maintien du lien social lorsque ces derniers sont accueillis au sein d’ESMS.

Le titre II comprend les dispositions permettant à une personne atteinte d’une maladie grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme de demander une « aide à mourir », consistant en la mise à disposition d’une substance létale que cette personne s’administre seule, sous la supervision d’un professionnel de santé, ou que celui-ci peut lui administrer si elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder. Les dispositions de ce titre fixent les conditions que doit remplir la personne ainsi que les garanties permettant de vérifier que sa demande est l’expression de sa volonté libre et éclairée. Elles prévoient également les modalités permettant de respecter la liberté de conscience des professionnels de santé susceptibles d’autoriser l’accès à l’aide à mourir et d’assister les personnes lors de l’administration de la substance létale. Ce titre comprend enfin des dispositions créant une commission de contrôle de ces actes et prévoyant leur prise en charge par l’assurance maladie.

3. Le Conseil d’Etat souligne l’importance et la qualité des travaux qui ont posé et éclairé les principales options éthiques, philosophiques, sociales et de santé publique ayant conduit au projet de loi, en particulier l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique en date du 13 septembre 2022, le rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie qui s’est tenue du 9 décembre 2022 au 2 avril 2023, l’avis du Conseil économique, social et environnemental présenté lors de sa séance plénière du 9 mai 2023 ou encore l’avis 23-17 de l’Académie nationale de médecine en date du 27 juin 2023.

4. Il constate que le projet de loi a fait l’objet des consultations préalables requises, notamment celles de la Caisse nationale d’assurance maladie, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), de l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (UNOCAM), du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA), du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) et du Comité consultatif de la législation et de la règlementation financière (CCLRF).

5. Le Conseil d’État considère que l’étude d’impact répond aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, pris pour l’application du troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution sous réserve, comme indiqué au point 37, des données produites pour justifier l’unification des règles de compétence juridictionnelle au profit de la juridiction administrative en ce qui concerne le contentieux des décisions relatives à l’aide à mourir, qui sont insuffisantes.

Au-delà de ces remarques liminaires, et outre des améliorations de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de retenir, ce projet de loi appelle, de la part du Conseil d’État, les observations qui suivent.

Observations préalables

6. Le projet de loi porte sur la fin de vie de personnes atteintes de maladies graves et incurables et dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme. Il a pour objet principal de créer une « aide à mourir » entendue comme la légalisation, sous certaines conditions, de l’assistance au suicide et, dans l’hypothèse où la personne n’est pas en mesure physiquement de s’administrer elle-même la substance létale, de l’euthanasie à la demande de cette personne. 

Sur le cadre juridique en vigueur

7. Le cadre juridique actuellement applicable en matière de fin de vie est issu de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti ». Le second alinéa de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique énonce que « Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté ». 

En application de l’article L. 1110-5-3 du même code, toute personne a le droit de « recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance ». En effet, « Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée ». A cette fin, « Le médecin met en place l'ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie ».

Il résulte également de ce cadre juridique le droit de refuser la mise en œuvre ou la poursuite des traitements lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Ainsi, l’article L. 1110-5-1 du même code prévoit que « Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire ».

Enfin, les dispositions de l’article L. 1110-5-2 du même code ouvrent au patient la faculté de demander, afin « d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie ». Cette sédation profonde et continue peut être mise en œuvre : « 1° Lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; / 2° Lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable ». La sédation profonde et continue peut également être mise en œuvre « lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté », au titre du refus de l'obstination déraisonnable.

Sur les enjeux actuels

8. Le Conseil d’Etat invite à se reporter à son étude adoptée en assemblée générale le 28 juin 2018 sous le titre « Révision de la loi bioéthique : quelles options pour demain ? ». Il estime nécessaire de rappeler les observations suivantes qu’il avait alors formulées, considérant qu’elles demeurent d’actualité.

En premier lieu, il avait fait le constat que « la loi actuelle permet de répondre à l’essentiel des demandes sociales relatives à la fin de vie, dans la mesure elle donne la possibilité au malade de se voir délivrer des soins palliatifs que son état requiert, d’obtenir l’arrêt de l’ensemble des traitements qui lui sont prodigués, une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès et, le cas échéant, une intervention médicale ayant, comme le prévoit l’article L. 1110-5-3 du code de la santé publique, "comme effet d’abréger la vie" ».

En deuxième lieu, il avait relevé que « la loi française ne permet pas (…) de répondre aux demandes d’aide à mourir formées par des patients qui ne sont pas en situation de fin de vie, c’est-à-dire dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme ».

En troisième lieu, faisant le constat, alors « … unanime, d’un développement encore insuffisant de l’accès aux soins palliatifs dans notre pays », il avait considéré que « …l’expression d’une demande d’aide anticipée à mourir ne devrait jamais naître d’un accès insuffisant à des soins palliatifs. L’accès à des soins palliatifs de qualité constitue ainsi une condition indispensable à l’expression d’une volonté libre et éclairée du patient dans les derniers moments de la vie et, plus largement, un préalable nécessaire à toute réflexion éthique aboutie sur la question de la fin de vie ».
 
En quatrième lieu, observant que « le choix a été fait, dans notre pays, d’appréhender la question de la fin de vie par le prisme du droit » et qu’« en dépit [d’] avancées juridiques, la question du mal mourir n’a pas été complètement résolue », il avait souligné « les limites de l’instrument juridique pour appréhender les situations de fin de vie ».

Le Conseil d’Etat l’avait illustré par les considérations suivantes : « Il convient enfin de se garder de l’illusion que le droit pourrait se substituer à […] la "sagesse pratique", celle qui "consiste à inventer les comportements justes appropriés à la singularité des cas". Appréhender les situations de fin de vie à travers le seul instrument juridique risque de paralyser le jugement éthique qui, bien souvent, suffit pour qu’une décision juste soit prise et que personne ne se sente menacé par le point de vue d’autrui. / En la matière, encore plus que dans d’autres, le Conseil d’État ne peut que faire sienne la mise en garde du doyen Carbonnier : "Ne légiférer qu'en tremblant, préférer toujours la solution qui exige moins de droit et laisse le plus aux mœurs et à la morale" ».

9. Dans certains pays, les demandes de patients atteints de maladies graves souhaitant qu’il soit mis fin à leur vie ont été prises en compte par la législation. La Belgique a autorisé l’euthanasie entendue comme l’acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable, la substance létale étant administrée à la personne par un tiers. D’autres, comme la Suisse sur le modèle de l’Etat de l’Oregon aux Etats-Unis, n’ont autorisé que l’assistance au suicide entendue comme le fait de donner à une personne les moyens de se suicider, la personne s’administrant à elle-même la substance létale. D’autres encore, comme les Pays-Bas ou l’Espagne, autorisent les deux actes. Si chaque législation nationale présente des spécificités traduisant des conceptions éthiques et sociales différentes, quatre caractéristiques communes se dégagent : le patient doit être dans une situation médicale sans issue, faire état d’une souffrance physique ou psychique insupportable, être capable de discernement au moment de la formulation de sa demande et exprimer de manière libre sa volonté de mourir.

A l’inverse, l’Allemagne comme le Royaume-Uni ont pris le parti de s’abstenir de légiférer sur ces actes, en dépit de demandes en ce sens et du dépôt de projets de loi. En Allemagne, la Cour constitutionnelle a dégagé un « droit à l’autodétermination dans la mort » (« Recht auf selbstbestimmtes Sterben », Cour constitutionnelle fédérale, décision du 6 février 2020, n° 2 BvR 2347/15), qui conduit à dépénaliser l’assistance au suicide. Au Royaume-Uni, le parquet a édicté des lignes directrices dans le cadre d’une politique pénale préconisant une approche au cas par cas reposant sur une liste de critères non exhaustive.

10. Dans le cadre de la préparation du projet de loi, le Comité consultatif national d’éthique, la Convention citoyenne sur la fin de vie et le Conseil économique, social et environnemental ont recommandé au Gouvernement de consacrer un droit de choisir le moment de sa mort afin de permettre à une personne dont le pronostic vital est engagé de mettre un terme à des souffrances qu’elle considérerait comme insupportables ou afin de lui permettre de ne pas y être exposée. 

Par ce projet de loi, le Gouvernement affirme vouloir apporter une réponse distincte de celles présentées au point 9, à la demande sociale exprimée à l’occasion de ces différents travaux sous la forme d’une aide à mourir.

Sur l’aide à mourir

11. L’aide à mourir inscrite dans le projet de loi consiste à mettre une substance létale à disposition d’une personne qui en a exprimé la demande, dans les conditions et selon les modalités prévues par la loi, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne.

Les conditions d’accès à l’aide à mourir sont strictement encadrées par le projet de loi. Elle est réservée à des personnes âgées de plus de 18 ans, françaises ou ayant leur résidence stable et régulière en France, atteintes d’une maladie grave et incurable engageant leur pronostic vital à court ou à moyen terme, présentant des souffrances physiques ou psychologiques réfractaires ou insupportables liées à cette affection, et capables de manifester une volonté exprimée de façon libre et éclairée.

Le médecin auprès de qui la personne demande la mise en œuvre de l’aide à mourir est chargé de vérifier que cette personne respecte ces cinq conditions. Il contrôle aussi qu’elle confirme, après un délai de réflexion, sa volonté d’y procéder. Ce médecin prescrit la préparation de la substance létale et détermine, avec la personne, le médecin ou l’infirmier qui l’accompagnera lors de son administration.

Le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner fixe avec cette personne la date et le lieu de l’administration de la substance létale. Il récupère auprès d’une pharmacie d’officine qu’il a choisie la substance qui a été réalisée par une pharmacie à usage intérieur. Il vérifie que la personne confirme sa volonté de procéder à l’administration de la substance et la prépare le cas échéant.

L’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même. Lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, l’administration est effectuée, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsqu’aucune contrainte n’y fait obstacle, soit par le professionnel de santé présent.

12. Le Conseil d’Etat constate que si le dispositif projeté est conditionné par l’état de santé de la personne et repose sur une décision médicale, comme c’est le cas des dispositions présentées au point 7 actuellement applicables en fin de vie, il a jugé que ces dernières n’ont nullement « pour objet ou pour effet de reconnaître ou d’organiser l’exercice d’un "droit de chacun à pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité" au moment de son choix et en dehors de toute situation d’obstination déraisonnable ou de fin de vie » (Conseil d’Etat, 29 décembre 2022, n° 465977, point 5).

En effet, comme le rappelle la Haute Autorité de santé dans son guide du parcours de soins relatif à la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, cette dernière se distingue de l’assistance au suicide ou de l’euthanasie sur cinq points :
-    l’intention : la sédation vise à soulager une souffrance réfractaire, et non pas à répondre à la demande de mort du patient ;
-    le moyen : elle cherche à altérer la conscience profondément, et non pas à provoquer la mort ;
-    la procédure : elle repose sur l’utilisation d’un médicament sédatif dont les doses sont adaptées pour obtenir la sédation profonde et qui ne sont pas létales ;
-    le résultat : la sédation profonde est poursuivie jusqu’au décès dû à l’évolution naturelle de la maladie et la mort immédiate n’est pas recherchée ;
-    la temporalité : la mort survient dans un délai qui ne peut pas être prévu, alors qu’en cas d’assistance au suicide ou d’euthanasie, elle est provoquée rapidement par le produit létal. 

13. Le projet de loi introduit ainsi une double rupture par rapport à la législation en vigueur, d’une part, en inscrivant la fin de vie dans un horizon qui n’est plus celui de la mort imminente ou prochaine et, d’autre part, en autorisant, pour la première fois, un acte ayant pour intention de donner la mort. 

Il met en cause ce principe aussi ancien que fondamental qu’est l’interdit de tuer (article 221 du code pénal) qui est, comme le note l’Académie nationale de médecine dans son avis n° 23-17, « au fondement des soins palliatifs dont la finalité est d’alléger les souffrances et ne pas abandonner les patients qui les endurent, afin que leur fin de vie se déroule de manière digne et apaisée », ainsi que « l’exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble dans une société marquée par de nombreuses fragilités individuelles et collectives et des carences importantes dans le champ de la politique relative à la fin de vie », comme le relevait le CCNE dans son avis n° 121 cité dans l’étude susmentionnée du 28 juin 2018 du Conseil d’Etat.

Ces principes trouvent leur traduction dans la déontologie des médecins, l’article R. 4127-38 du code de la santé publique disposant que : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. / Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort », et dans celle des infirmiers, l’article R. 4312-21 comportant la même interdiction.

14. Le Conseil d’Etat examine les dispositions instituant ce dispositif au regard :

-    de la liberté personnelle protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
-    du principe de légalité des délits et des peines consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
-    de la liberté de conscience qui découle de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
-    du principe du droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
-    du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine qui découle du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
-    de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
-    du droit à la vie garanti par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
-    du droit au recours effectif garanti par l’article 6 de cette convention.
-    du principe d’autonomie ou d’auto-détermination qui est une composante du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la même convention ;
-    de la convention internationale relative aux droits de l’enfant signée à New‑ York le 26 janvier 1990.


Sur les soins d’accompagnement, le plan personnalisé d’accompagnement et les maisons d’accompagnement

15. Le projet de loi entend renforcer l’accompagnement des personnes atteintes d’une affection grave, en créant une nouvelle catégorie de « soins d'accompagnement », en instituant au bénéfice de ces personnes l’obligation d’établir un plan personnalisé d’accompagnement et en créant des « maisons d’accompagnement » destinées aux personnes en fin de vie.

Le Conseil d’Etat observe qu’à ce jour, comme l’expose l’étude d’impact et malgré les progrès opérés, l’offre de soins palliatifs demeure très hétérogène sur le territoire et reste globalement insuffisante, ainsi que l’ont constaté successivement le Comité consultatif national d’éthique dans son avis rendu le 13 septembre 2022, l’Académie nationale de médecine dans son avis rendu le 27 juin 2023 et la Cour des comptes dans son rapport remis en juillet 2023 à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Il ne peut, par suite, qu’approuver les objectifs du projet de loi sur ce sujet. Il souligne cependant que des dispositions législatives, voire réglementaires, sont insuffisantes, à elles seules, pour combler le retard constaté, ce d’autant que les dispositions du projet de loi créent une importante obligation de moyens, en particulier humains, à la charge des professions médicales, médico-sociale et sociales. Si le projet de loi ne comporte pas de dispositions de nature programmatique, notamment budgétaires, permettant de fixer des objectifs clairs à l’action de l’Etat, déterminés en termes quantitatifs et qualitatifs, le Conseil d’Etat prend acte de la volonté du Gouvernement d’arrêter prochainement un plan de développement des soins d’accompagnement qui aura cet objet. Il souligne la nécessité que ce plan déploie des moyens à la hauteur des besoins et bénéficie d’une mise en œuvre effective.

16. Le Conseil d’Etat observe que l’ensemble des dispositions mentionnées au point 15 ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il propose cependant d’apporter au projet de loi les précisions exposées ci-après.

En premier lieu, le projet de loi conçoit les soins d’accompagnement comme couvrant des besoins plus précoces et plus vastes que les soins palliatifs tels qu’ils sont communément entendus aujourd’hui. Il reconnait un droit à ces soins d’accompagnement. Tout en comprenant le choix de définir une nouvelle catégorie de soins, plutôt que d’expliciter la définition actuelle des soins palliatifs figurant à l’article L. 1110-10 du code de la santé publique, que le projet de loi modifie, le Conseil d’Etat estime cependant indispensable de ne pas supprimer toute définition des soins palliatifs, même s’ils deviennent partie des soins d’accompagnement, dès lors que cette notion est connue de tous et qu’y font référence divers articles du code de la santé publique que le projet de loi ne modifie pas. Il propose à cette fin de compléter le projet pour rétablir une définition des soins palliatifs. Il propose également de ne pas supprimer les dispositions reconnaissant au patient dont l’état le requiert, le droit à des soins palliatifs en tant que tels.

Le Conseil d’Etat relève, en second lieu, que la mise en place, pour chaque personne atteinte d’une maladie grave et de concert avec elle, d’un plan personnalisé d’accompagnement est conforme aux meilleures pratiques recommandées au plan international. Il propose, afin de mieux répondre aux propositions faites notamment par la Convention citoyenne ainsi qu’au consensus scientifique en la matière, que le projet de loi soit complété de telle sorte, notamment, que l’élaboration du plan tienne compte non seulement des besoins mais aussi des préférences du patient, qu’elle permette au patient d’être assisté des personnes de son choix et que le plan individuel, une fois élaboré, soit adapté en fonction de l’évolution de la situation et des aspirations du patient.

17. Le projet de loi améliore la clarté des dispositions législatives relatives à la « personne de confiance » prévue à l’article L. 1111-6 du code de la santé publique. Il confirme le choix du dossier médical partagé comme lieu de conservation privilégié des directives anticipées. Enfin, il ouvre au titulaire d’un espace numérique de santé la possibilité d’autoriser sa personne de confiance, un parent ou un proche à y accéder et à y effectuer pour son compte toute action, telles que la gestion des droits d’accès des professionnels de santé aux documents qu’il contient. Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions, qui visent à sécuriser des situations où des proches aidants assistent un patient dans les démarches associées à sa pathologie et ne remettent pas en question les règles d’accès des professionnels au dossier médical partagé, ne portent pas atteinte au secret médical, mais qu’eu égard à la sensibilité des données en cause, il importera que le titulaire soit particulièrement éclairé sur les conséquences d’un tel choix. Il propose d’ajouter également des dispositions pour régir le cas spécifique des mineurs et des majeurs qui font l’objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne.

Sur la création d’un dispositif d’assistance au suicide et d’euthanasie à la demande de la personne

18. Le Conseil d’Etat relève, en premier lieu, que si le Conseil constitutionnel n’a jamais été conduit, à ce jour, à se prononcer sur l’assistance au suicide en fin de vie ni sur l’euthanasie à la demande de la personne, il a jugé, au regard, d’une part, du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, érigé en tant que principe constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994 relative aux lois de bioéthique, et, d’autre part, de la liberté personnelle proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qu’ : « Il appartient au législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles la poursuite ou l’arrêt des traitements d’une personne en fin de vie peuvent être décidés, dans le respect de ces exigences constitutionnelles » (Conseil constitutionnel, n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, paragr. 6, 7 et 8 ; n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022, paragr. 6,7 et 8).

19. Le Conseil d’Etat relève, en second lieu, que la Cour européenne des droits de l’homme juge, d’une part, que la protection du droit à la vie énoncée à l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « impose à l’État l’obligation non seulement de s’abstenir de donner la mort "intentionnellement" (obligation négative), mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (obligation positive) » (CEDH, 4 octobre 2022, n° 78017/17, Mortier c. Belgique, § 116) obligeant ainsi « les autorités internes à empêcher un individu de mettre fin à ses jours si sa décision n’avait pas été prise librement et en toute connaissance de cause » (même arrêt, § 121). La Cour juge d’autre part que « Le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin est l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée » garantie par l’article 8 de la Convention (même arrêt, § 135). Le Conseil d’Etat note que la Cour considère en conséquence que « Pour être compatible avec l’article 2 de la Convention, la dépénalisation de l’euthanasie doit être encadrée par la mise en place de garanties adéquates et suffisantes visant à éviter les abus et, ainsi, à assurer le respect du droit à la vie » (même arrêt, § 139).

20. Le Conseil d’Etat estime qu’aucune règle ou aucun principe constitutionnel ou conventionnel ne fait obstacle à un dispositif instaurant, en fin de vie, une assistance au suicide et une euthanasie à la demande de la personne.

Il considère cependant que pour être conforme aux principes constitutionnels et conventionnels présentés aux points 18 et 19, un tel dispositif doit prévoir, d’une part, que la demande de la personne s’appuie sur la manifestation d’une volonté libre et éclairée et, d’autre part, que cette expression de volonté, s’agissant en particulier des personnes les plus vulnérables, est entourée de garanties renforcées.

Sur la définition de l’aide à mourir

21. Le projet de loi emploie les termes d’« aide à mourir », une expression pouvant être comprise comme visant des pratiques autres que l’assistance au suicide ou l’euthanasie à la demande de la personne, tels les soins palliatifs ou d’autres formes d’accompagnement, et qui est d’ailleurs utilisée pour désigner des réalités différentes d’un pays francophone à l’autre, notamment au Canada et en Suisse, et qui a été reprise par le Comité consultatif national d’éthique dans son avis 139, sous la forme amendée d’aide active à mourir. 

Ainsi qu’il a été dit au point 6, le Conseil d’Etat constate que, sous cette expression dont l’emploi n’appelle pas d’objection de sa part, le projet de loi crée une procédure autorisant l’assistance au suicide et l’euthanasie à la demande de la personne. 

Le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur l’importance qui s’attache, au regard notamment des considérations relatives au droit pénal présentées au point 39, à définir de manière suffisamment claire et précise les actes entrant dans le champ de l’aide à mourir. A ce titre, il recommande de modifier le projet de loi pour prévoir expressément que l’aide à mourir couvre non seulement l’administration d’une substance létale, mais consiste aussi à mettre une telle substance à disposition d’une personne qui en a exprimé la demande, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne.

Sur les conditions d’accès à l’aide à mourir

22. Le projet de loi prévoit que la personne qui demande la mise en œuvre de l’aide à mourir pour elle-même doit respecter cinq conditions :

-    être âgée de 18 ans ;
-    être de nationalité française ou résider de manière stable et régulière sur le territoire national ;
-    être atteinte d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme ;
-    présenter une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable liée à cette affection ;
-    être capable de manifester sa volonté de façon libre et éclairée.

23. S’agissant des trois premières conditions, le Conseil d’Etat considère qu’en les retenant le projet de loi ne méconnaît pas les principes constitutionnels et conventionnels présentés aux points 18 et 19. 

Pour l’appréciation de la troisième condition relative à l’échéance du « moyen terme », le Conseil d’Etat estime que cette expression ne peut être entendue que dans le sens employé par la pratique médicale, pour laquelle elle correspond à un horizon temporel qui n’excède pas douze mois. Il considère qu’elle n’est dès lors pas entachée d’incompétence négative. Il observe que les modalités d’appréciation de l’horizon de « moyen terme » pourront être utilement éclairées, selon les pathologies en cause, par des recommandations formulées par la Haute Autorité de santé.

24. S’agissant de la condition tenant aux souffrances physiques ou psychologiques subies par la personne qui demande l’aide à mourir, le Conseil d’Etat relève que le projet de loi prévoit que les souffrances doivent être liées à l’affection qui engage le pronostic vital, ce qui constitue une garantie dans le cas de personnes susceptibles d’être atteintes, par ailleurs, de maladies psychiatriques altérant ou abolissant, le cas échéant, leur discernement.

Il recommande de modifier le projet de loi, par cohérence avec les dispositions du 1° et du 2° de l’article L. 1110-5-2 du code de la santé publique relatives à la sédation profonde et continue, pour rappeler qu’est regardée comme réfractaire une souffrance que présente un patient malgré les traitements, et comme insupportable la souffrance que présente un patient qui a arrêté un traitement.

Il observe qu’une personne faisant état de souffrances psychologiques insupportables liées à l’annonce d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à l’horizon de quelques mois, ce qui n’est pas rare à l’annonce d’un tel diagnostic, pourra remplir cette condition alors qu’elle ne subit pas encore de souffrances physiques et qu’elle aura refusé un traitement de nature à soulager ses souffrances présentes et à venir. 

Il considère que ces dispositions caractérisent, avec suffisamment de clarté et de précision, la situation dans laquelle une personne peut demander l’aide à mourir et qu’elles ne méconnaissent pas les principes constitutionnels et conventionnels mentionnés aux points 18 et 19.

25. La cinquième condition fixée par le projet de loi et mentionnée au point 22 prévoit que l’accès à l’aide à mourir est fondée sur l’expression de la volonté libre et éclairée de la personne qui demande l’aide à mourir. Cette exigence est assortie de garanties, et son respect est contrôlé à plusieurs étapes de la procédure.

En premier lieu, le projet de loi prévoit que le médecin chargé de se prononcer sur la demande apporte à la personne des informations sur son état de santé et ses perspectives, sur son droit à renoncer à tout moment à sa demande ainsi que sur les modalités de mise en œuvre de l’aide à mourir. Ce médecin doit lui proposer également des soins palliatifs.

En second lieu, le projet de loi prévoit que la personne doit demander elle-même l’accès à l’aide à mourir à un médecin et la confirmer, lorsque celui-ci rend une décision favorable, après un délai de réflexion d’au moins 48 heures. Le médecin ou l’infirmier qui accompagne ensuite la personne lors de l’administration de la substance létale doit également vérifier, avant de préparer l’administration de cette substance, que la personne en exprime toujours la volonté.

Le Conseil d’Etat examine ces dispositions au regard de l’exigence particulière qui s’attache, au regard des principes présentés aux points 18 et 19, à la définition, par la loi, de garanties que la mise en œuvre de l’aide à mourir repose effectivement, en pratique, sur l’expression de la volonté libre et éclairée de la personne. 

Il rappelle, d’une part, que les personnes dont une maladie psychiatrique altère gravement le discernement lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peuvent pas, selon le projet de loi, être regardées comme manifestant une volonté libre et éclairée. Il recommande de le préciser explicitement dans le projet de loi, ainsi que d’indiquer que la demande doit être expresse.

Si aucun principe d'ordre constitutionnel ou conventionnel n’impose de réserver l’aide à mourir aux seules personnes pour lesquelles les soins palliatifs ne seraient pas parvenus à soulager la souffrance, c’est-à-dire aux personnes ressentant des souffrances réfractaires, il considère d’autre part nécessaire, comme souligné dans son étude mentionnée aux points 8 et 15, de prévoir que la personne ait pu effectivement avoir accès préalablement aux soins palliatifs. Il propose, dans cette mesure, de compléter le projet de loi pour préciser que le médecin chargé de se prononcer sur la demande est tenu de s’assurer que la personne peut y avoir accès en pratique si elle en a exprimé la demande lors de leur entretien.

Le Conseil d’Etat propose enfin de compléter le projet de loi pour prévoir explicitement qu’il est mis fin à la procédure lorsque la personne renonce à sa demande.

Sur la décision d’accès à l’aide à mourir

26. Le projet de loi confie à un médecin le soin de vérifier le respect des conditions présentées au point 22 et le pouvoir d’autoriser l’accès à l’aide à mourir. Il prévoit qu’avant de rendre sa décision, le médecin sollicité recueille l’avis d’un autre médecin qui ne connaît pas la personne et qui est, si le premier médecin ne l’est pas lui-même, un spécialiste de la pathologie de la personne, ainsi que l’avis d’un auxiliaire médical ou d’un aide-soignant qui intervient auprès de la personne, ou, à défaut d’un autre auxiliaire médical. Le projet de loi prévoit également que le médecin peut recueillir l’avis d’autres professionnels qui interviennent auprès de la personne, notamment des psychologues, des infirmiers ou des aides-soignants.

Le Conseil d’Etat relève que le choix de confier à un médecin la mission de se prononcer sur l’accès à l’aide à mourir est nécessaire et cohérent dans la mesure où plusieurs des conditions mentionnées au point 22 imposent une appréciation médicale de la situation de la personne. Le projet de loi prévoit également que le médecin chargé de se prononcer sur la demande doit recueillir obligatoirement au moins deux avis, même si la décision appartient à lui seul. Compte tenu du rôle de ce médecin et de l’importance de l’avis de son confrère dans son appréciation des conditions mentionnées au point 22, le Conseil d’Etat propose, pour garantir que la décision sera prise de la façon la plus objective et éclairée, de compléter le projet de loi afin de prévoir, d’une part, que ces médecins ne sont pas des membres de la famille de la personne (un ascendant, un descendant, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un grand-oncle, une grand-tante, un neveu ou une nièce, ainsi que le conjoint, le concubin et le partenaire lié par un pacte civil de solidarité d'une des personnes précédentes ou de la personne elle-même) et, d’autre part, que le médecin chargé d’émettre un avis a également accès au dossier médical et peut, s’il le souhaite, demander à examiner la personne.

Tant pour assurer la protection de la personne qui demande l’aide à mourir que pour mieux circonscrire l’étendue de la responsabilité du médecin, le Conseil d’Etat estime nécessaire de compléter le projet de loi pour prévoir que la procédure d’aide à mourir s’interrompt si le médecin chargé de se prononcer sur la demande prend connaissance, postérieurement à sa décision, d’éléments d’information le conduisant à considérer que les conditions mentionnées au point 22 n’étaient pas remplies lorsqu’il l’a prise, ou cessent de l’être.

Sur l’accès des majeurs protégés à l’aide à mourir

27. Le projet de loi n’exclut pas les majeurs protégés de l’accès à l’aide à mourir. Afin toutefois de prendre en compte les observations du Conseil d’Etat sur l’absence de dispositions propres les concernant malgré leur vulnérabilité particulière, une saisine rectificative a ajouté au projet, pour les personnes qui font l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, une modalité supplémentaire spécifique d’évaluation de la condition tenant à l’aptitude à exprimer leur volonté de façon libre et éclairée. Le médecin saisi de la demande d’autorisation doit, d’une part, informer la personne chargée de la mesure de protection et, d’autre part, tenir compte, le cas échéant, des observations de cette personne.

Le Conseil d’Etat considère qu’il résulte des principes constitutionnels de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de la liberté personnelle, et conventionnels du droit à la vie et du droit au respect de la vie privée, rappelés aux points 18 et 19, que des dispositions spécifiques s’ajoutant à celle introduite par la saisine rectificative, sont nécessaires pour permettre d’apporter les garanties propres à prendre en compte la situation de particulière vulnérabilité des majeurs protégés. Il s’assure de la cohérence des garanties supplémentaires qu’il propose avec les protections prévues par le code civil et d’autres dispositions, comme celles figurant dans le code de la santé publique. 

28. Le Conseil d’Etat observe en premier lieu que l’inclusion des majeurs protégés dans le champ d’application de la loi est cohérente avec les conditions d’ouverture des différentes mesures de protection définies par le code civil, qui ne permettent pas d’exclure qu’une personne bénéficiant d’une mesure de protection juridique puisse être en mesure d’exprimer sa volonté de façon libre et éclairée. Il relève en outre que les évolutions législatives récentes relatives au droit des majeurs protégés (loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé) prolongent le mouvement amorcé par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, tendant à privilégier une approche plus respectueuse du droit des personnes et des libertés individuelles et renforçant l’autonomie du majeur protégé. A ce titre et afin de souligner l’indépendance des dispositions régissant le présent projet et la législation civile, il propose de modifier le projet de loi pour prévoir que le médecin contrôle l’aptitude de la personne, et non pas sa capacité, à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
 
29. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat relève que l’aide à mourir s’entend comme un « acte dont la nature implique un consentement strictement personnel », au sens de l’article 458 du code civil, qui ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée. Pour l’application des principes mentionnés au point 19, dont il découle que les « autorités [ont] le devoir de protéger les personnes vulnérables même contre des agissements par lesquels elles menacent leur propre vie » et l’obligation « d’empêcher un individu de mettre fin à ses jours si sa décision n’a pas été prise librement et en toute connaissance de cause » (CEDH, 20 janvier 2011, n° 31322/07, Haas c. Suisse, § 54), des garanties consistant en un contrôle de l’état de la volonté du majeur protégé peuvent dès lors être envisagées. Le Conseil d’Etat considère toutefois que la seule information de la personne chargée d’une mesure de protection avec représentation de la personne, et la possibilité pour celle-ci de former des observations dont le médecin devra tenir compte, sont insuffisantes.

30. Il estime en effet que doivent être regardées comme des personnes vulnérables non seulement les personnes bénéficiant d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, mais également celles bénéficiant d’une mesure avec assistance à la personne, l’existence d’une mesure de protection à la personne (assistance ou représentation) révélant, selon les termes mêmes de l’article 459 du code civil, que « l’état de la personne protégée ne lui permet pas de prendre seule une décision personnelle éclairée ». Il considère en conséquence que des garanties doivent être prévues pour l’ensemble de ces personnes.  

31. Le Conseil d’Etat considère en troisième lieu, au titre des garanties nécessaires exposées au point 27, que le projet de loi doit prévoir que les personnes chargées de cette mesure de protection peuvent saisir un juge dans l’intérêt de la personne protégée. En cohérence avec les dispositions du code civil rappelées aux points précédents et avec les dispositions du code de la santé publique qui prévoient l’intervention du juge des tutelles s’agissant des actes médicaux graves qui concernent un majeur protégé (articles L. 1111-4, L. 1122-2, L. 1241-4 et L. 2123-2 ), il propose de modifier le projet de loi pour prévoir que la décision du médecin autorisant une personne faisant l’objet d’une telle mesure de protection juridique à accéder à l’aide à mourir peut être contestée par la personne chargée de la mesure de protection devant le juge des tutelles. 

32. Afin de garantir l’effectivité du recours ainsi prévu, le Conseil d’Etat propose de compléter le projet de loi pour prévoir que la décision qui se prononce sur la demande d’un majeur protégé faisant l’objet d’une mesure d’assistance ou de représentation de la personne est notifiée à la personne chargée de cette mesure. 

33. Relevant que les garanties, telles qu’étendues et complétées aux points 30 à 32, ne pourront s’appliquer qu’à la condition que le médecin ait connaissance de l’existence d’une mesure de protection, le Conseil d’Etat propose en dernier lieu de compléter le projet de loi pour prévoir que la personne qui fait l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne l’indique au médecin. Il appelle en outre l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’organiser d’autres voies d’information du médecin qui recueille la demande d’aide à mourir sur l’existence d’une mesure de protection. 

Sur les recours contre les décisions se prononçant sur l’aide à mourir

34. Le projet de loi prévoit que la décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ne peut être contestée que par la personne qui en fait l’objet, à l’exclusion de tout autre recours. Cette disposition a pour conséquence d’interdire tout recours d’un tiers contre une telle décision.

35. Le Conseil d’Etat relève que le Conseil constitutionnel a admis que des restrictions puissent être apportées, pour des motifs d’intérêt général, au droit au recours des personnes susceptibles de justifier d’un intérêt leur donnant qualité pour agir (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, cons. 6 et 7 ; décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013, cons. 7 et 8 ; décision n° 2015-722 DC du 26 novembre 2015, cons. 18). Sous réserve des considérations exposées au point 31, le Conseil d’Etat estime, eu égard au caractère éminemment intime de la demande d’accès à l’aide à mourir qui trouve son fondement dans la liberté personnelle garantie par l’article 2 de la Déclaration de 1789 et dans le principe d’autonomie qui découle du droit au respect de la vie privée et familiale énoncé à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que le projet de loi peut restreindre aux seules personnes dont émane la demande le droit de former un recours contre la décision du médecin, sans méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ni la protection du droit à la vie.

    S’agissant des décisions se prononçant favorablement sur la demande d’aide à mourir, le Conseil d’Etat précise que les dispositions du présent projet de loi ne font pas obstacle à ce qu’une personne intéressée saisisse le procureur d’une plainte si elle estime que des infractions sont commises du fait d’erreurs ou de fraudes affectant la décision du médecin, notamment s’agissant des conditions du recueil de la volonté de la personne ou de la vérification des conditions tenant à l’âge ou à l’aptitude à exprimer une volonté libre et éclairée, qui visent à protéger les personnes les plus vulnérables, telles que les personnes dont le discernement est gravement altéré par des maladies psychiatriques. Il appartiendra à l’autorité judiciaire compétente de prendre les mesures propres à interrompre, le cas échant, la poursuite de la procédure d’aide à mourir.

Sur l’unification des règles de compétence juridictionnelle

36. Le projet de loi prévoit que les recours de la personne ayant demandé l’aide à mourir contre les décisions prises par le médecin chargé de se prononcer sur le respect des conditions d’accès à l’aide à mourir relèvent de la compétence de la juridiction administrative.

37. Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel juge que le législateur peut, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé, et ainsi déroger aux « règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire » (Conseil constitutionnel, n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, cons. 15 et 16 ; n° 2019 807 QPC du 4 octobre 2019, paragr. 6), « lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire » (Conseil constitutionnel, n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, cons. 19 et 20 ; n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, cons. 36). 

Au cas présent, le Conseil d’Etat constate, d’une part, que l’étude d’impact indique de manière succincte et peu convaincante que c’est le juge administratif qui devrait être majoritairement saisi, au motif, non étayé, que les personnes atteintes des pathologies en cause seraient le plus souvent prises en charge dans des établissements publics de santé. Il constate, d’autre part, que le législateur n’a pas, s’agissant des recours dirigés contre les décisions d’arrêt des traitements et de sédation profonde et continue, unifié les règles de compétence juridictionnelle au sein de la juridiction administrative. Il estime dans ces conditions qu’il n’est pas établi que l’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie de déroger aux règles habituelles de compétence entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire. Il propose de modifier le projet de loi sur ce point.
 
Sur la liberté de conscience des professionnels de santé

38. Le projet de loi prévoit que les professionnels de santé, qui pourraient être amenés à se prononcer sur l’accès à l’aide à mourir, en prenant la décision ou en donnant leur avis, ou à accompagner la personne pour l’administration de la substance létale ne sont pas tenus de le faire, mais doivent dans ce cas orienter la personne vers un professionnel susceptible d’y participer. Le projet de loi dispose par ailleurs que les responsables des établissements ou services au sein desquelles la personne pourrait être admise sont tenus de permettre l’intervention des professionnels concourant à l’aide à mourir. 

Eu égard à ce qui a été dit au point 13, le Conseil d’Etat observe que les missions confiées par le projet de loi à ces professionnels de santé, en vue d’une assistance au suicide ou d’une euthanasie à la demande de la personne, peuvent heurter leurs convictions personnelles dans des conditions de nature à porter atteinte à leur liberté de conscience. Il relève toutefois qu’en prévoyant une clause de conscience leur permettant de ne pas concourir à la procédure d’aide à mourir, tout en garantissant la possibilité pour la personne d’être orientée vers un professionnel de santé susceptible d’intervenir, le projet de loi permet de sauvegarder leur liberté de conscience, qui est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit en application de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (Conseil constitutionnel, n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, cons. 13 à 15).

En revanche, le Conseil d’Etat estime que les missions de réalisation de la préparation magistrale létale et de délivrance de la substance létale, qui interviennent après la prise de décision et avant la mise en œuvre de l’administration de la substance létale, ne concourent pas de manière suffisamment directe à l’aide à mourir pour risquer de porter atteinte à la liberté de conscience des pharmaciens et des personnes qui travaillent auprès d’eux.

Sur le cadre pénal

39. Le Conseil d’Etat considère que l’aide à mourir prévue par le projet de loi constitue une cause d’irresponsabilité pénale par autorisation de la loi, au sens de l’article 122-4 du code pénal selon lequel « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Il suggère de l’expliciter dans le projet de loi.

Il rappelle, toutefois, que pour qu’une telle cause objective d’irresponsabilité puisse constituer un fait justificatif d’un acte susceptible de faire l’objet de poursuites pénales, elle doit respecter les principes applicables à la législation pénale et, en premier lieu, le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé à deux reprises que les lois qui instituent des « immunités » pénales doivent respecter ce principe (Conseil constitutionnel, n° 98-399 DC du 5 mai 1998 sur la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, cons. 5 à 8 ; n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 sur la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 57). Pour le Conseil constitutionnel, le principe de légalités des délits et des peines est respecté dès lors que l’infraction est définie « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de l’égalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire » (Conseil constitutionnel, n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 sur la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, cons. 11). Le Conseil d’Etat estime en l’espèce que, sous réserve des observations faites aux points 21, 24, 25 et 26, le projet de loi décrit de manière suffisamment claire, détaillée et précise les actes autorisés et leurs conditions de réalisation ainsi que les différentes étapes de la procédure et qu’il satisfait, par conséquent, aux exigences qui découlent du principe de légalité des délits et des peines. 

Le Conseil d’Etat souligne cependant qu’il ne peut être exclu que des manquements dans la mise en œuvre de la procédure prévue pour l’accès à l’aide à mourir puissent donner lieu à des poursuites, notamment pour le délit d’homicide involontaire, dans les conditions et selon les distinctions prévues par l’article 221-6 du code pénal. 

Sur la création d’un système d’information

40. Le projet de loi prévoit la création d’un système d’information dans lequel chacun des professionnels intervenant au cours de la procédure d’aide à mourir est tenu de tracer les actes qu’il effectue, à chaque étape de la procédure. Ce traitement de données, dont la responsabilité est confiée à une commission de contrôle et d’évaluation des procédures d’aide à mourir, a pour finalités d’assurer le suivi des procédures d’aide à mourir et le contrôle a posteriori de chacune d’entre elles, tant sur les conditions de fond que sur la procédure à suivre, ainsi que l’évaluation annuelle de la mise en œuvre de la loi. Le projet de loi renvoie à un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), la définition des modalités de mise en œuvre de ce traitement.

41. Le Conseil d’Etat observe, en premier lieu, que ce traitement porte sur des données de santé, qui sont des données à caractère personnel dites sensibles relevant de l’article 9 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (dit « RGPD »). Si le paragraphe 1 de cet article fixe un principe d’interdiction du traitement de telles données, son paragraphe 2 énonce les conditions dans lesquelles cette interdiction est susceptible d’être levée. Le traitement envisagé par le projet de loi, qui a notamment pour finalité de permettre un contrôle des procédures d’aide à mourir en vue d’identifier, le cas échéant, des anomalies susceptibles de révéler l’existence d’un délit ou d’un crime ou de donner lieu à des actions en responsabilité, remplit la condition prévue au f) de ce paragraphe 2 dès lors qu’il est nécessaire à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en justice. Au regard de la condition prévue au i) du même paragraphe, le traitement peut également être regardé comme nécessaire pour des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique.

42. Le Conseil d’Etat relève, en deuxième lieu, qu’en application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, l’autorisation d’un tel traitement, même lorsque celui-ci est mis en œuvre par une personne publique et qu’il est d’une ampleur importante, ne nécessite pas en principe l’intervention du législateur mais uniquement un acte réglementaire de l’autorité compétente (cf. par exemple, Conseil d’Etat, 6 novembre 2019, Fédération des acteurs de la solidarité, n° 434376).

Le recours à une loi est cependant nécessaire dans l’hypothèse où le traitement envisagé ne peut être mis en œuvre sans modification d’une disposition législative qui y fait obstacle ainsi que dans celle où le traitement conduit à fixer des règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et entre ainsi dans le champ des matières que l’article 34 de la Constitution réserve à la loi (Conseil d’Etat, 26 octobre 2011, Association pour la Promotion de l’Image, n° 317827).
 
Le recours à des dispositions législatives étant nécessaire pour déroger aux dispositions de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique réservant l’accès aux données couvertes par le secret médical aux professionnels participant à la prise en charge d’une personne, le Conseil d’Etat estime que le système d’information envisagé doit être autorisé par la loi.
 
Il rappelle, toutefois, que la loi peut se borner, sous réserve d’en encadrer les finalités, à autoriser la création d’un traitement de données en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin d’en préciser les conditions de mise en œuvre, en particulier la liste des données traitées, leur durée de conservation, les modalités de traitement de ces données et les personnes autorisées à y avoir accès, ainsi que le prévoit le présent projet de loi.

43. Le Conseil d’Etat relève, en dernier lieu, qu’il résulte des dispositions du a du 4° du I de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978, dans leur rédaction résultant de l'ordonnance du 12 décembre 2018, que la CNIL doit être préalablement consultée sur tout projet de loi ou de décret qui détermine, dans leurs caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel.

Le Conseil d’Etat estime que la consultation de la CNIL sur les dispositions législatives autorisant la création du système d’information n’est pas nécessaire dès lors que le projet de loi, qui se borne à définir le responsable du traitement et ses finalités et renvoie à un décret en Conseil d’Etat la définition des modalités de sa mise en œuvre, ne peut être regardé comme définissant par lui-même, dans ses caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel. 

Il considère, en revanche, qu’en application des dispositions du paragraphe 4 de l’article 36 du RGPD aux termes desquelles l’autorité de contrôle doit obligatoirement être consultée sur tout projet de texte réglementaire définissant les caractéristiques principales d’un traitement dont la création est prévue par une disposition législative, la CNIL devra être consultée sur le décret en Conseil d’Etat auquel renvoient les dispositions législatives autorisant la création du traitement.

Sur la commission de contrôle et d’évaluation

44. Le projet de loi prévoit la création d’une commission de contrôle et d’évaluation qui a pour mission principale de contrôler a posteriori, à partir notamment des données enregistrées dans le système d’information, que chaque procédure d’aide à mourir a bien été mise en œuvre dans le respect des conditions prévues par le présent projet de loi. L’exercice d’un tel contrôle, s’il a vocation à s’exercer après le décès des intéressés, vise à vérifier que l’aide à mourir n’est pratiquée que dans les cas et dans les conditions définis par la loi. Il est conçu comme une garantie.

45. En premier lieu, le Conseil d’Etat relève que le caractère suffisant d’un contrôle a posteriori a été admis par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans son arrêt du 4 octobre 2022, Mortier contre Belgique (78017/17), celle-ci a jugé que le choix de la Belgique de mettre en place un contrôle a posteriori des actes d’euthanasie n’était pas incompatible avec les articles 2 et 8 de la Convention, dès lors que ces actes sont soumis à des conditions strictement réglementées par la loi qui prévoit un certain nombre de garanties matérielles et procédurales. Partant du principe que l’obligation qui pèse sur l’État de protéger le droit à la vie implique non seulement des obligations positives matérielles, mais aussi l’obligation positive procédurale de veiller à ce que soit en place, pour les cas de décès, un système judiciaire effectif et indépendant, elle a considéré que le contrôle a posteriori dont est chargée la commission fédérale belge participe de cette obligation positive procédurale, au même titre qu’une enquête pénale, dont elle a estimé qu’elle n’est en général pas requise lorsque l’euthanasie est pratiquée dans le cadre d’une législation qui l’autorise tout en la subordonnant à des conditions strictes. Elle a cependant souligné la nécessité qu’un tel contrôle soit « effectué de manière particulièrement rigoureuse pour satisfaire aux obligations prévues par l’article 2 », et en particulier que les règles de composition et de fonctionnement de la commission chargée de ce contrôle garantissent son indépendance.

Le Conseil d’État estime par ailleurs que le principe même de l’existence d’une telle commission ne contrevient à aucun principe de nature constitutionnelle, les prérogatives de l’autorité judiciaire ne faisant l’objet d’aucune restriction dès lors, d’une part, que l’appréciation de la commission ne revient pas, en droit, à éteindre l’action publique et, d’autre part, que l’action publique n’est pas subordonnée à l’action de la commission. 

En effet, d’une part, le cadre strict dans lequel s’inscrit l’aide à mourir, qui permet de l’envisager comme une cause d’irresponsabilité pénale par autorisation de la loi, au sens de l’article 122-4 du code pénal, ne semble pas justifier un contrôle systématique de l’autorité judiciaire, dont l’indépendance est garantie par la Constitution. La commission de contrôle et d’évaluation devant être regardée comme une « autorité constituée » au sens de l’article 40 du code de procédure pénale aux termes duquel « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatif », elle sera tenue, si elle suspecte, dans le cadre de son contrôle, que des faits sont susceptibles de constituer un crime ou un délit, d’effectuer un signalement au procureur de la République, à qui seul appartiendra d’apprécier l’opportunité d’engager des poursuites.

D’autre part, les proches des personnes décédées pourraient engager l’action publique en saisissant directement le parquet d’une plainte ou en se constituant partie civile. L’intervention de la commission ne délivrerait pas non plus les professionnels de santé, notamment ceux exerçant au sein du service public hospitalier, des obligations prévues en particulier à l’article 40 du code de procédure pénale et à l’article 434-1 du code pénal, aux termes duquel toute personne ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, est tenue d’en informer les autorités judiciaires ou administratives.

46. En deuxième lieu, le projet de loi prévoit de renvoyer à un décret simple la définition de la composition et du fonctionnement de la commission. Le Conseil d’Etat estime toutefois qu’il appartient au législateur, eu égard aux exigences d’indépendance et d’impartialité qui s’imposent à la commission pour garantir l’effectivité d’un contrôle sur la nouvelle procédure d’aide à mourir, d’exercer sa compétence en encadrant davantage cette délégation au pouvoir réglementaire. Il propose en conséquence de modifier le projet de loi pour préciser que la composition de la commission et ses règles de fonctionnement, définies par un décret en Conseil d’Etat, doivent être propres à garantir son indépendance et son impartialité.

47. Le Conseil d’Etat estime en outre nécessaire au plein exercice de ses missions par la commission de lui permettre d’accéder non seulement aux données enregistrées dans le système d’information mais également, en cas de besoin, au dossier médical de la personne. Il propose cependant de limiter cette nouvelle dérogation aux dispositions de l’article L. 1110-4 du code de santé publique, qui doit être proportionnée aux objectifs poursuivis, au bénéfice des seuls médecins membres de la commission. Il importera donc que la commission comporte au moins deux médecins, pour les cas où l’un d’entre eux devrait se déporter.

Sur le registre des professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre des dispositions relatives à l’aide à mourir

48. Le projet de loi prévoit la création, sous la responsabilité de la commission de contrôle et d’évaluation, d’un registre des professionnels de santé se déclarant disposés à participer à la mise en œuvre des dispositions relatives à l’aide à mourir. Ce registre a pour objet de permettre d’orienter les personnes demandant l’aide à mourir vers des professionnels volontaires, dans l’hypothèse où un professionnel de santé leur oppose sa clause de conscience.

Si le recours à des dispositions législatives pour autoriser la création d’un tel traitement de données ne s’impose pas, le Conseil d’Etat l’estime justifié au regard de la finalité du registre, qui est de garantir que l’exercice de la liberté de conscience des professionnels de santé ne constitue pas un obstacle pour les personnes demandant l’aide à mourir. Il estime qu’il convient d’en limiter l’accès aux médecins, seuls chargés d’examiner la demande d’aide à mourir et d’accompagner la personne ou de convenir avec elle d’un infirmier ou d’un autre médecin disposé à l’accompagner, et de renvoyer à un décret en Conseil d’Etat la définition des conditions de mise en œuvre de ce traitement. 

En application des dispositions du paragraphe 4 de l’article 36 du RGPD rappelées au point 43, le Conseil d’Etat rappelle que la CNIL devra être consultée sur le décret en Conseil d’Etat auquel renvoient les dispositions législatives autorisant la création de ce registre.

Sur la codification

49. Le projet de loi ne codifie pas ses dispositions instaurant l’aide à mourir, définissant sa procédure et son contrôle, en dépit de leur caractère permanent, alors qu’il insère dans le code de la santé publique ses dispositions relatives à la préparation utilisée pour l’aide à mourir. Le Conseil d’Etat rappelle que si le Conseil constitutionnel ne se prononce pas sur l’opportunité du choix de codification (Conseil constitutionnel, n° 2001- 454 DC du 17 janvier 2002, cons. 26 et 27), il juge que la codification tend à faciliter l’accessibilité et l’intelligibilité des règles de droit (Conseil constitutionnel, n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, cons. 13). Il appelle en conséquence l’attention du Gouvernement sur l’opportunité de procéder à la codification des dispositions relatives aux conditions, à la procédure et au contrôle de l’aide à mourir. Il estime que la section 2 du chapitre 1er du titre 1er du livre 1er de la première partie du code de la santé publique intitulée « Expression de la volonté des malades refusant un traitement et des malades en fin de vie » pourrait accueillir ces dispositions. Le Conseil d’Etat n’a toutefois pas été en mesure d’y procéder en raison du délai qui lui a été imparti pour examiner ce projet, particulièrement court au demeurant au regard des enjeux et des difficultés constitutionnelles ou conventionnelles qu’il soulève.

Sur la préparation, délivrance et évaluation des substances létales

50. Le projet de loi définit le cadre dans lequel s’inscrivent la préparation, la mise à disposition et l’évaluation des substances létales destinées à être utilisées pour la mise en œuvre de l’aide à mourir. Le Conseil d’Etat observe que ces substances létales pourront prendre la forme de préparations magistrales ou, à terme, de spécialités pharmaceutiques disposant d’une autorisation de mise sur le marché pour cette indication.

Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi prévoit que les préparations magistrales létales sont préparées par une liste limitative de pharmacies à usage intérieur autorisées par un arrêté du ministre chargé de la santé et sont insérées dans un circuit spécifique et sécurisé, reposant en grande partie sur le circuit prévu par le code de la santé publique pour les substances vénéneuses. Il souligne qu’une attention particulière devra être portée, en pratique, à la prévention d’éventuels trafics. 

Le projet de loi confie l’évaluation de ces substances à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il charge la Haute Autorité de santé d’élaborer des recommandations de bonne pratique portant sur les substances létales susceptibles d’être utilisées pour l’aide à mourir, à destination des prescripteurs de ces substances, des pharmaciens responsables de leur préparation et des professionnels de santé qui accompagneront leur administration. Le Conseil d’Etat estime important qu’elle puisse prendre connaissance, pour élaborer ses recommandations, des comptes-rendus dressés par les professionnels de santé chargés de superviser l’administration de ces substances. Il appelle l’attention du Gouvernement sur le caractère public de recommandations qui porteront sur l’élaboration de préparations magistrales létales et sur les précautions qui devront être prises en conséquence. 

Sur la prise en charge des frais

51. Le projet de loi comporte, au nombre des dispositions diverses, un article modifiant le code de la sécurité sociale sur la prise en charge des frais liés à l’aide à mourir ainsi que sur les prix de cession des préparations magistrales létales et les modalités de rémunération des professionnels intervenant dans la procédure, qui seront précisés par voie réglementaire. Le Conseil d’Etat estime qu’il est loisible au législateur de prévoir que les frais liés à la procédure d’aide à mourir, qui peuvent au demeurant être regardés comme se rattachant aux conséquences de la maladie au sens de l’article L.111-2-1 du code de la sécurité sociale, sont pris en charge par les régimes d’assurance maladie obligatoire, au titre de la protection sociale. Il est également loisible au législateur de prévoir l’exonération du ticket modérateur ainsi que de la participation forfaitaire pour ces actes. 

Sur les dispositions législatives du code des assurances et de la mutualité

52. Le projet de loi impose, dans les contrats d’assurance décès, y compris en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi, la couverture du risque de décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir. Cette mesure vise à prévenir toute exclusion de couverture de l’aide à mourir, notamment liée à une éventuelle assimilation au suicide, dont la prise en charge par les assurances décès est encadrée par l’article L. 132 7 du code des assurances et par l’article L. 223-9 du code de la mutualité, ainsi que, s’agissant des institutions de prévoyance, par l’article L. 932-23 du code de la sécurité sociale, qui renvoie à l’article L. 132-7 du code des assurances.

Le Conseil d’Etat relève que cette mesure est propre à garantir la liberté de choix de la personne susceptible d’avoir accès à ce dispositif, en neutralisant toute incidence de ce choix pour le ou les bénéficiaires du contrat d’assurance décès qu’elle a souscrit. Il observe qu’en clarifiant par avance ce qui aurait pu résulter d’une interprétation des lois et conventions applicables sur le suicide, auquel n’est pas assimilable le recours à l’aide à mourir, cette mesure concourt à la sécurité juridique et à l’égalité de traitement de l’ensemble des souscripteurs d’assurance décès.

S’agissant des contrats d’assurance décès qui seront souscrits après l’entrée en vigueur de la réforme, l’aide à mourir n’étant ouverte, aux termes du projet de loi, qu’aux personnes dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme, le Conseil d’Etat considère que le risque que de tels contrats soient souscrits pour faire profiter leurs bénéficiaires du prochain décès du souscripteur n’est pas différent selon que ce dernier choisit, ou pas, de recourir à l’aide à mourir. 

S’agissant des contrats en cours, compte tenu du très grand nombre de contrats individuels et collectifs existant à ce jour et de la proportion très limitée de ceux qui seront susceptibles d’être concernés par l’aide à mourir, le Conseil d’Etat estime que l’application de la mesure à ces contrats, d’une part, est une condition même de son effectivité dans les premières années qui suivront l’entrée en vigueur de la loi et, d’autre part, ne porte pas aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant (Conseil constitutionnel, décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019) et ne méconnaît pas le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Mellacher et autres c/ Autriche, 19 décembre 1989, n°10522/83, points 50 à 57). 

Le Conseil d’Etat déduit de ce qui précède que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel.

Sur l’habilitation à légiférer par ordonnance

53. Le projet de loi comporte une habilitation afin de permettre au Gouvernement de prendre par ordonnance, en application de l’article 38 de la Constitution, les mesures permettant d’une part d’adapter les dispositions pour Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, compte tenu des différences d’organisation des systèmes de sécurité sociale et d’offre de soins, d’autre part de rendre applicables en les adaptant les dispositions du projet de loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie Française et à Wallis-et-Futuna, en tant seulement qu’elles relèvent de la compétence de l’Etat.

Le Conseil d’Etat observe que le recours à une habilitation donnée sur le fondement de l’article 38 de la Constitution est possible, même s’agissant de dispositions relatives aux collectivités régies par l’article 74 de la Constitution. Il note que pour l’extension en Nouvelle Calédonie et en Polynésie-française, l’identification des dispositions relevant de la compétence de l’Etat en ce qu’elles se rattachent à des principes qui mettent en cause le droit des personnes et les garanties des libertés publiques ou en ce qu’elles présentent une adhérence telle avec les normes de fond qu’il appartient à l’Etat de les définir, devra être précisée lors de l’examen de l’ordonnance.

Autres dispositions du projet

54. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet :

- de simplifier le dispositif de la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 du code de la santé publique ; 
- de conforter le droit de visite des personnes hébergées en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, remis en cause durant la crise sanitaire 2020 2021 ; 
- d’instituer un cadre juridique permettant d’organiser la création de maisons d’accompagnement ;
- de prévoir la conservation privilégiée des directives anticipées dans le dossier médical partagé. 
Ces dispositions bienvenues qui ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel n’appellent pas d’observations. 
Le Conseil d’Etat appelle l’attention sur les deux premières dispositions mentionnées ci-dessus, qui figurent déjà dans des termes quasi identiques dans la loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie définitivement votée le 27 mars dernier par le Parlement, mais non encore promulguée. Il appartiendra au Gouvernement d’en tirer, le cas échéant, les conséquences au cours de la discussion parlementaire.

Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 4 avril 2024.