Financement campagnes électorales

Avis consultatif
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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d’État sur la demande concernant les prêts ou avances pour les candidats aux élections politiques, qu’ils émanent de personnes physiques ou morales. Dans l’état actuel des textes, rien n’interdit aux candidats aux élections politiques, y compris présidentielle, d’obtenir des prêts de la part de personnes morales qui ne sont ni des partis politiques, ni des établissements de crédit. Les prêts ne peuvent cependant comporter des conditions financières plus avantageuses que celles habituellement pratiquées sur le marché : un prêt sans intérêt est donc interdit, sauf dans des cas très particuliers admis par la jurisprudence (faiblesse du montant, brièveté du délai de remboursement). Il appartient à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), même si elle ne peut exercer un contrôle systématique, notamment lorsque la durée du prêt excède le délai de clôture et d’examen des comptes de campagne, de s’assurer de la réalité des prêts consentis : elle peut demander aux candidats un certain nombre d’éléments de preuve (contrats écrits, échéanciers de remboursement, constitution de garanties etc…) afin d’éviter que les prêts ne se transforment en fait en dons déguisés.

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Conseil d'Etat
Assemblée générale
Séance du jeudi 9 février 2017
Section de l'Intérieur
N°392602

Extrait du registre des délibérations

AVIS

Le Conseil d’État, saisi par le Premier ministre des questions suivantes :

I.En ce qui concerne les candidats aux élections politiques autres que l’élection présidentielle, le législateur n’a pas prévu d’interdiction des prêts ou avances, qu’ils émanent de personnes physiques ou morales.

a) Dans le silence de la loi, faut-il alors considérer qu’une personne morale, autre qu’un parti politique ou un établissement de crédit, peut accorder des prêts ou avances remboursables, à la seule condition de ne pas en faire son activité habituelle comme l’interdit l’article L. 511-5 du code monétaire et financier.

b) Convient-il alors de n’exclure de cette possibilité que les prêts sans intérêts, ou dont l’intérêt est notoirement inférieur aux taux du marché, et qui devraient alors être considérés comme un avantage prohibé procuré par une personne morale ?

c) Ou doit-on au contraire faire prévaloir l’esprit de la loi et considérer ce type de financement comme irrégulier afin de garantir l’effectivité des dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral en l’absence de moyen de contrôle systématique du remboursement des prêts après l’examen des comptes par la commission ?

d) Enfin, s’agissant de prêts de personnes physiques, la commission est-elle fondée à recommander qu’ils restent inférieurs au plafond des dons autorisés, dans la mesure où elle est dans l’incapacité de s’assurer du remboursement effectif ?

II. S’agissant de l’élection du Président de la République, l’article 3 de la loi
n° 62-1292 du 6 novembre 1962 lui rend applicable l’article L. 52-8 du code électoral, sous réserve de dispositions particulières, notamment que « Les personnes physiques ne peuvent, dans le cadre de l'application des dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, accorder des prêts et avances remboursables aux candidats ».

a) Faut-il donc déduire de ces dispositions qu’a contrario, une personne morale, autre qu’un parti politique ou un établissement de crédit, peut accorder des prêts ou avances remboursables aux candidats à l’élection présidentielle, à la seule condition de ne pas en faire son activité habituelle ?

b) Si tel est bien le cas, les réponses apportées aux questions relatives aux élections politiques autres que l’élection présidentielle (b et c du I ci-dessus) s’appliquent-elles également à l’élection présidentielle ?

III. Enfin, en ce qui concerne les partis politiques, la loi du 11 mars 1988 ne contient aucune disposition particulière, tant en ce qui concerne les prêts de personnes morales que ceux de personnes physique, mais, contrairement au cas des candidats aux élections, la comptabilité des partis est accessible à la commission qui a la possibilité de demander communication des documents lui permettant de suivre l’évolution des postes du bilan retraçant les engagements financiers.

Les réponses apportées ci-dessus aux questions relatives aux personnes morales s’appliquent-elles toutefois également ?

VU la Constitution, notamment son article 4 ;

VU le code électoral, notamment ses articles L. 52-3-1 à L. 52-17 ;

VU le code monétaire et financier, notamment son article L. 511-5 ;

VU la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 modifiée relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ;

VU la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique, notamment son article 11-4 ;

EST D’AVIS qu’il y a lieu de répondre aux questions posées dans le sens des observations suivantes, sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions compétentes :

1. L’article L. 52-8 du code électoral dispose que : « Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d'un ou plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 4 600 euros. / Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. (…) / Aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger. (…) / Les montants prévus au présent article sont actualisés tous les ans par décret. Ils évoluent comme l'indice des prix à la consommation des ménages, hors tabac.

S’agissant de l’élection du Président de la République au suffrage universel, le II de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 susvisée précise que : « Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées par les articles (…) L. 52-4 à L. 52-11, L. 52-12, L. 52-14, L. 52-15, quatrième alinéa, L. 52-16 à L. 52-18 (…) du code électoral, sous réserve des dispositions suivantes : / (…) Les personnes physiques ne peuvent, dans le cadre de l'application des dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, accorder des prêts et avances remboursables aux candidats. (…) ».

S’agissant du financement des partis politiques, l’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988 susvisée prévoit que : « Les personnes morales à l'exception des partis ou groupements politiques ne peuvent contribuer au financement des partis ou groupements politiques, ni en consentant des dons, sous quelque forme que ce soit, à leurs associations de financement ou à leurs mandataires financiers, ni en leur fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. »

2. Ni les dispositions précitées ni aucune autre n’interdisent aux personnes physiques ou morales d’accorder des prêts ou avances remboursables aux candidats à une élection politique autre que l’élection présidentielle ou à des partis politiques au sens de la loi du
11 mars 1988.

Cette faculté est toutefois soumise à des restrictions d’ordre général qui résultent d’abord de règles extérieures au droit électoral. Tel est en particulier le cas, en matière financière, de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier qui « interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel ». Cela peut également être le cas des textes statutaires des personnes morales considérées, dont l’objet ou l’intérêt social peuvent s’opposer à la réalisation d’une opération de prêt à un candidat ou à un parti.

3. L’octroi d’un prêt à un candidat ou à un parti est également soumis, s’agissant des personnes morales, aux restrictions prévues par les dispositions citées au point 1 qui leur prohibent de fournir des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués.

Ainsi, la concession d’un prêt dans des conditions financières, notamment en ce qui concerne le taux d’intérêt, plus avantageuses que celles habituellement pratiquées sur le marché doit être regardée comme proscrite par le droit électoral.

En particulier, la conclusion d’un prêt sans intérêt doit normalement être regardée comme interdite (CC 11 octobre 1995, n° 95-88 PDR ; CC 17 avril 2008, n° 2007-4468 AN). De même, une avance de trésorerie consentie à titre gratuit est présumée constituer un avantage indû au sens de l’article L. 52-8 du code électoral et doit de fait être réintégrée dans le compte de campagne (CE 21 août 1996, Elections municipales de Maisons-Laffitte,
n° 177490, aux Tables).

Si la jurisprudence estime, dans certains cas, que l’octroi d’un prêt sans intérêt ne constitue pas nécessairement un don ou un avantage prohibé, ce n’est qu’en prenant en compte des éléments objectifs tirés notamment de la faiblesse du montant et de la brièveté de la durée du prêt en cause, qui prend fin dès que le candidat a obtenu le remboursement forfaitaire des dépenses électorales prises en charge par l’Etat (CE 30 décembre 1996, Elections municipales de Fontenay-sous-Bois, n° 177437, aux tables ; CE 19 avril 2000, Election cantonale de Choisy-le-Roi, n° 202059, aux tables sur un autre point). Il en résulte que, pour apprécier la légalité de l’octroi d’un prêt sans intérêt au regard des dispositions citées au point 1, le juge pourrait notamment tenir compte des critères suivants :

- existence d’un contrat écrit comportant un échéancier de remboursement ;

- faiblesse du montant du prêt au regard tant des dépenses inscrites dans le compte de campagne que du plafond des dépenses électorales ;

- brièveté de la durée du prêt, au regard notamment de la date de remboursement stipulée par rapport à celle à laquelle le candidat obtient le remboursement de ses dépenses par l’Etat.

4. En tout état de cause, si les modalités de financement rappelées aux points précédents ne sont pas interdites en l’état de la législation, il revient aux autorités qui en ont la charge de s’assurer de la réalité des prêts consentis, en vue de prévenir les risques de détournement, tels que la dissimulation de dons prohibés sous forme de prêts non remboursés.

A cet égard, le Conseil d’Etat observe que, si le contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ne peut être systématique au regard de la durée de certains contrats de prêt par rapport au délai de clôture et d’examen des comptes de campagne, il est déjà loisible à cette autorité de demander aux intéressés un certain nombre d’éléments probatoires : contrats écrits, échéanciers de remboursement, constitution de garanties, absence de clauses permettant à l’une ou l’autre des parties de renoncer en cours de contrat au remboursement…

De même, en cas de doute sérieux quant à la régularité des comptes examinés au regard notamment des dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral, il lui appartient de transmettre au ministère public les éléments en sa possession, y compris lorsque le prêt n’est pas remboursé à la date d’examen des comptes.

5. En revanche, s’agissant des prêts consentis par des personnes physiques, aucun plafonnement du montant ou de la durée du prêt ne peut a priori être imposé, en l’absence de toutes dispositions en ce sens. Il est cependant loisible à la CNCCFP d’appeler l’attention des candidats et des éventuels prêteurs sur le fait que l’abandon de créance ou l’absence de remboursement du prêt sont de nature à conduire à sa requalification en don illégal si le montant non remboursé est supérieur au plafond autorisé par la loi.

6. S’agissant des règles propres à l’élection du Président de la République, elles diffèrent de la législation applicable aux autres élections politiques en ce qu’elles prohibent expressément aux personnes physiques d’accorder des prêts ou avances remboursables aux candidats.

Les autres prescriptions de l’article L. 52-8 du code électoral lui sont toutefois applicables, ce dont il faut déduire, d’une part, que les personnes morales ont pour leur part la faculté d’accorder de tels prêts ou avances aux candidats et que, d’autre part, elles sont également soumises à l’interdiction de fournir ce service à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. Les principes rappelés aux points 2 à 4 leur sont donc également applicables.

7. S’agissant enfin du financement des partis politiques, les mêmes principes que ceux énoncés ci-dessus s’appliquent, en particulier l’interdiction pour les personnes morales, posée par l’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988, de fournir des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. Il appartient à la CNCCFP de veiller à leur respect dans le cadre du contrôle qu’elle exerce à l’occasion du dépôt annuel des comptes auquel les partis politiques sont tenus.

8. Alors que deux élections majeures se tiennent dans les mois à venir et que les mesures qui permettraient d’améliorer l’effectivité du dispositif relèvent du domaine de la loi voire de la loi organique, le Conseil d’Etat observe qu’il ne lui appartient pas à ce stade, au titre de ses attributions consultatives, de se prononcer sur la nature ou l’opportunité des modifications qu’il y aurait lieu d’apporter à l’état du droit rappelé aux points précédents.

Il reviendra au Gouvernement, sur la base notamment des enseignements qui seront tirés des scrutins appelés à se dérouler en 2017 et des modifications qui pourraient résulter, le cas échéant, des prochaines évolutions législatives, d’examiner les mesures tendant à accroître l’effectivité de la législation relative à la transparence financière de la vie politique.

Le Conseil d’Etat ne manquera pas, si le Gouvernement le juge utile, d’éclairer, par ses avis ou ses études, les travaux qui seront menés dans ce cadre.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 9 février 2017.