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Ariane Web: CAA NANTES 19NT04244, lecture du 17 juillet 2020

Décision n° 19NT04244
17 juillet 2020
CAA de NANTES

N° 19NT04244

2ème chambre
M. PEREZ, président
Mme Christiane BRISSON, rapporteur
M. DERLANGE, rapporteur public
CABINET LEXCAP RENNES, avocats


Lecture du vendredi 17 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Manche a déféré au tribunal administratif de Caen l'arrêté du 6 décembre 2018 par lequel le maire de Poilley a accordé à la commune de Poilley un permis d'aménager en vue de la construction d'un lotissement de trente-cinq lots à la Godardière.


Par un jugement n° 1900504 du 2 octobre 2019, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 octobre 2019 et un mémoire enregistré le 31 janvier 2020, la commune de Poilley, représentée par Me C... demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 octobre 2019 ;

2°) de rejeter le déféré du préfet de la Manche ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que :
. l'article R. 711-3 du code de justice administrative a été méconnu ;
. l'article L. 5 du code de justice administrative a été méconnu ;
- le jugement est mal fondé dès lors que l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme a été méconnu.

Par un mémoire enregistré le 27 décembre 2019, le préfet de la Manche conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- aucune irrégularité n'entache le jugement attaqué ;
- aucun moyen n'est fondé.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. D...,
- et les observations de Me A..., substituant Me C..., représentant la commune nouvelle de Poilley.


Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 6 décembre 2018, le maire de la commune de Poilley (Manche) a délivré à la commune un permis d'aménager en vue de la construction d'un lotissement de 35 lots à La Godardière sur les parcelles cadastrées sections ZN n° 252 et 55. Le préfet de la Manche, sur le fondement de l'article L. 2121-6 du code général des collectivités territoriales, a déféré au tribunal administratif de Caen cet arrêté. Par un jugement du 2 octobre 2019, dont la commune de Poilley relève appel, le tribunal a annulé cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire ". Aux termes de l'article L. 7 de ce code : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ". Les règles applicables l'établissement du rôle, aux avis d'audience et à la communication du sens des conclusions du rapporteur public sont fixées aux articles R. 711- 1 à R. 711-3 du code de justice administrative. L'article R. 711-2 du même code indique que l'avis d'audience mentionne les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public. Le premier alinéa de l'article R. 711-3 du même code dispose : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".

3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. En outre, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il se propose d'accueillir.

4. Il ressort des pièces du dossier de procédure que, préalablement à l'audience devant le tribunal administratif de Caen, le rapporteur public a, le 17 septembre 2019, soit dans un délai raisonnable avant cette audience qui s'est tenue le 2 octobre 2019, coché dans l'application " Sagace " la case " annulation totale ou partielle ". Toutefois, cette indication ne permettait pas de connaître l'étendue de l'annulation proposée ni le cas échéant d'identifier la partie de l'acte que le rapporteur public proposait d'annuler. Par suite, cette indication n'a pas mis les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique ainsi que de préparer, le cas échéant, des observations orales et d'envisager la production après cette audience d'une note en délibéré. Dès lors, la commune est fondée à soutenir que l'article R. 711-3 du code de justice administrative a été méconnu et que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière. Le jugement doit, par voie de conséquence, être annulé sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le préfet de la Manche devant le tribunal administratif de Caen.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de l'article 42 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13, à des fins exclusives d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et d'implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs. ".

7. Aux termes du III de l'article 42 de cette loi : " Jusqu'au 31 décembre 2021, des constructions et installations qui n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites, dans les secteurs mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la présente loi, mais non identifiés par le schéma de cohérence territoriale ou non délimités par le plan local d'urbanisme en l'absence de modification ou de révision de ces documents initiée postérieurement à la publication de la présente loi ".

8. Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En outre, dans les secteurs déjà urbanisés ne constituant pas des agglomérations ou des villages, des constructions peuvent être autorisées en dehors de la bande littorale des cent mètres et des espaces proches du rivage dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, sous réserve que ces secteurs sont identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme.

9. Il ressort des pièces du dossier et notamment des cartographies et photographies aériennes produites par les parties que le lieudit La Godardière, lui-même localisé au sein d'une zone naturelle, comporte de part et d'autre de la route départementale n° 976 et de la voie communale n°5, outre une vingtaine d'habitations, une dizaine de locaux à vocation commerciale et artisanale. Ces constructions ne présentent ni par leur nombre, ni par leurs caractéristiques d'implantation, une densité significative permettant de les regarder comme un village existant ou comme étant situées en continuité d'une agglomération ou d'un village existant. En outre, il n'est pas établi ni même allégué qu'un schéma de cohérence territoriale aurait délimité les secteurs déjà urbanisés dans lesquels des constructions nouvelles peuvent être accueillies.

10. Par suite, le projet de création d'un lotissement de 35 lots aurait pour effet d'étendre le périmètre du bâti existant et d'en modifier de manière significative les caractéristiques, en méconnaissance des dispositions précitées.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Manche est fondé à demander l'annulation du permis d'aménager délivré le 6 décembre 2018 par le maire de Poilley.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas en l'espèce la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par la commune de Poilley ne peuvent dès lors être accueillies.


DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 2 octobre 2019 et le permis d'aménager du 6 décembre 2018 sont annulés.



Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par la commune de Poilley est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Poilley, au préfet de la Manche et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Délibéré après l'audience du 16 juin 2020, où siégeaient :

- M. Perez, président de chambre,
- Mme B..., président-assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.



Le rapporteur,




C. B... Le président,




A. PEREZ


Le greffier,


K. BOURON



La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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