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Ariane Web: CAA PARIS 21PA04622, lecture du 17 mars 2022

Décision n° 21PA04622
17 mars 2022
CAA de PARIS

N° 21PA04622

1ère chambre
M. LAPOUZADE, président
M. Stéphane DIEMERT, rapporteur
Mme GUILLOTEAU, rapporteur public
SELARL JEAN-JACQUES DESWARTE, avocats


Lecture du jeudi 17 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la délibération n° 2020-45/API du 30 juin 2020 relative au code de l'environnement de la province des îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie.

Par un jugement n° 2000440 du 17 mai 2021, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé la délibération litigieuse.
Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 12 août 2021 et un mémoire enregistré le 12 novembre 2021, la province des îles Loyauté, représentée par Me Chauchat (SARL Deswarte-Calmet), demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° n° 2000440 du 17 mai 2021du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) de rejeter le déféré du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la délibération litigieuse n'a pas excédé la compétence de la province en matière d'environnement, laquelle doit nécessairement se concilier avec les autres polices administratives spéciales ressortissant à la compétence respective de l'État et de la Nouvelle-Calédonie ; or, les dispositions de la délibération sont effectivement compatibles avec les règles édictées par les autres collectivités compétentes ;
- dans le cadre de sa compétence en matière d'environnement, elle est habilitée à créer un régime juridique spécifique d'accès à la nature, alors même que les autres provinces n'ont pas suivi cette voie ;
- la délibération litigieuse est en tout état de cause divisible, et les premiers juges ne pouvaient en prononcer l'annulation totale.


Par un mémoire en défense enregistré le 12 octobre 2021, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la délibération litigieuse méconnait la répartition des compétences entre les provinces, la Nouvelle-Calédonie et l'État en matière de domanialité maritime, de droit pénal, de procédure pénale, de circulation maritime et de garanties des libertés publiques ;
- ses dispositions excèdent la compétence de la province en matière d'environnement, alors même que le régime d'accès à la nature qu'elle institue n'a pas d'équivalent en droit et le domaine public maritime de la province des îles Loyauté n'est pas précisément défini ;
- les dispositions critiquées sont également illégales en tant qu'elles instituent un régime attentatoire à la liberté d'aller et de venir et à celle du commerce et de l'industrie.
- et qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Le 2 décembre 2021 les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision de la Cour était susceptible d'être fondée sur les moyens, relevés d'office, tiré de ce que :

1° le jugement attaqué est irrégulier, en ce que les premiers juges n'ont pas décidé de transmettre au Conseil d'État, en application de l'article 205 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les questions préjudicielles relatives à la répartition des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces, fondées sur des moyens sérieux invoqués par le haut-commissaire de la République dans son déféré ;

2° la délibération litigieuse (code de l'environnement de la province des îles Loyauté : articles 235-1, 235-2 et 235-5 ; article 2 de la délibération en tant qu'il fixe l'entrée en vigueur des dispositions y annexées au 1er juillet 2021) méconnait les articles 21-II (5°), 86, 87 et 157 de la même loi organique en tant, d'une part, qu'elle édicte des règles relevant de la procédure pénale et du droit pénal relevant de la compétence de l'État et, d'autre part, qu'elle prévoit leur entrée en vigueur sans l'intervention, s'il échet, d'une loi d'homologation ;


3° cette délibération (code de l'environnement de la province des îles Loyauté : articles 232-7 (alinéa 2), 233-1 (alinéa 2 et alinéa 5 : " sur terres coutumières " ; alinéa 6), et 233-3) méconnait également les articles 22 (5°) et 99 (5°) de la même loi organique en tant que certaines de ses dispositions interviennent dans le domaine de statut civil coutumier et de terres coutumières ;

4° la même délibération (code de l'environnement de la province des îles Loyauté : articles 232-6 et 235-4) méconnait les dispositions des articles 173 et 174 de la même loi organique qui confèrent au président de l'assemblée de province la qualité d'exécutif de la province et de chef de l'administration provinciale, en tant, d'une part, qu'elle attribue à une autorité administrative le pouvoir de " valider " des mesures relevant de la compétence du président de l'assemblée de province et, d'autre part, qu'elle subordonne la levée d'une mesure de suspension d'une autorisation à l'avis conforme des autorités coutumières ;

5° ladite délibération (articles 232-2 (premier alinéa), 232-3, 232-5, 232-7 et 233-3 (alinéa 2)) méconnait les principes constitutionnels et les principes généraux du droit garantissant la liberté d'aller et de venir sur le domaine public, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie.
La province des îles Loyauté a présenté, le 15 décembre 2021, des observations en réponse à la communication faite aux parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la transmission au Conseil d'État des questions de compétence est justifiée ;
- les moyens relevés d'office ne sont pas fondés.


Vu :
- la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, ensemble la loi n° 95-1311 du 21 décembre 1995 qui a autorisé sa ratification et le décret n° 96-774 du
30 août 1996 qui a décidé sa publication ;
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi du pays n° 2001-017 du 11 janvier 2002 sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ;
- la loi du pays n° 2009-10 du 28 décembre 2009 relative au transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences de l'État en matière de police et sécurité de la circulation maritime s'effectuant entre tous points de la Nouvelle-Calédonie, et de sauvegarde de la vie humaine en mer dans les eaux territoriales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :

1. Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie ayant déféré au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie la délibération n° 2020-45/API du 30 juin 2020 de l'assemblée de la province des îles Loyauté relative au code de l'environnement de la province des îles Loyauté, ainsi que la décision du 16 octobre 2020 rejetant le recours gracieux formé le 19 août 2020 à l'encontre de cette délibération. Par un jugement du 17 mai 2021 dont la province des îles Loyauté relève appel devant la Cour, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie cette juridiction a annulé la délibération et la décision attaquées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 224-3 du code de justice administrative : " Le tribunal administratif soumet au Conseil d'État les questions préjudicielles relatives à la répartition des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes de la Nouvelle-Calédonie, dans les conditions prévues par l'article 205 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. ". Aux termes de l'article 205 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " Lorsque le tribunal administratif est saisi d'un recours pour excès de pouvoir ou d'un recours en appréciation de légalité dirigé contre les actes mentionnés aux 1° du A, 1° du B, 1° à 3° du D du II de l'article 204 et que ce recours est fondé sur un moyen sérieux invoquant l'inexacte application de la répartition des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes ou que ce moyen est soulevé d'office, il transmet le dossier sans délai pour avis au Conseil d'État, par un jugement qui n'est susceptible d'aucun recours. Le Conseil d'État examine la question soulevée dans un délai de trois mois et il est sursis à toute décision sur le fond jusqu'à son avis ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai. Le tribunal administratif statue dans un délai de deux mois à compter de la publication de l'avis au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie ou de l'expiration du délai imparti au Conseil d'État. ". En vertu du D (1°) du II de l'article 204 de la même loi organique, peuvent notamment faire l'objet de la procédure prévue à l'article 205 les délibérations des assemblées de province.

3. Lorsqu'il est saisi dans les conditions prévues par les dispositions précitées, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, sauf à entacher son jugement d'irrégularité, est tenu de transmettre le dossier sans délai pour avis au Conseil d'État après s'être borné à examiner si les moyens invoquant l'inexacte répartition des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes présentent un caractère sérieux, à moins que la question puisse être regardée comme effectivement tranchée par une jurisprudence établie.

4. En l'espèce, et alors que le haut-commissaire de la République lui avait déféré la délibération litigieuse en articulant plusieurs moyens invoquant l'inexacte répartition des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie et les provinces, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, sans transmettre le dossier au Conseil d'État, annulé ladite délibération au seul motif qu'elle restreignait de manière générale la liberté d'aller et venir sur l'ensemble du domaine public maritime provincial et excédait ainsi manifestement la compétence de la province, sans examiner si le rejet de l'ensemble des moyens invoqués pouvaient se fonder sur l'application d'une jurisprudence établie, et a ainsi méconnu son office. Le jugement attaqué est donc entaché d'irrégularité et doit donc être annulé.

5. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de se prononcer sur le déféré du haut-commissaire de la République.

Sur la légalité de la délibération litigieuse :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article 20 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " Chaque province est compétente dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'État ou à la Nouvelle-Calédonie par la présente loi, ou aux communes par la législation applicable en Nouvelle-Calédonie. ". Dans l'exercice des compétences qui leur sont ainsi dévolues par les dispositions précitées, les provinces sont tenues de respecter, d'une part, la Constitution, et notamment préambule et son titre XIII, les engagements internationaux de la France et les principes généraux du droit et, d'autre part, les règles édictées par l'État dans l'exercice de ses compétences propres, sauf pour elles à obtenir du Conseil constitutionnel, pour les lois, leur abrogation dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité au motif qu'il serait porté atteinte au caractère définitif des transferts de compétences opéré dans le cadre de l'article 77 de la Constitution. Les provinces sont également tenues de respecter les règles édictées par la Nouvelle-Calédonie dans l'exercice des compétences à elle limitativement dévolues par la loi organique statutaire et, à ce titre, celles édictées par les lois du pays sauf, si elles estiment que ces actes sont intervenus en dehors du domaine des compétences de la Nouvelle-Calédonie, à en contester la validité par la voie de l'exception d'illégalité après que le Conseil d'État, saisi dans les conditions prévues à l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999, aura constaté qu'elles ont un caractère réglementaire pour avoir outrepassé le domaine défini à l'article 99 de cette même loi organique. Enfin, s'agissant des actes règlementaires émanant des autorités de l'État ou de la Nouvelle-Calédonie, les provinces peuvent obtenir des juridictions compétentes, soit qu'elles en prononcent l'annulation ou l'abrogation, soit en qu'elles constatent l'illégalité par la voie de l'exception, lorsqu'ils méconnaissent la répartition des compétences résultant de la loi organique du
19 mars 1999.

7. Dans l'exercice des compétences qu'elles tiennent des dispositions de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les provinces peuvent librement instituer des régimes juridiques nouveaux et mettre en oeuvre des politiques qui leur sont propres, alors même qu'ils diffèrent de ceux décidés par l'État ou par la Nouvelle-Calédonie, pourvu que, ce faisant, elles respectent les règles et principes rappelés au point précédent.

En ce qui concerne la compétence en matière d'environnement :
8. Aux termes de l'article 20 de la loi organique du 19 mars 1999 : " Chaque province est compétente dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'État ou à la Nouvelle-Calédonie par la présente loi, ou aux communes par la législation applicable en Nouvelle-Calédonie ". La préservation de l'environnement ne fait pas partie des compétences que l'article 21 de la même loi organique attribue à l'État. L'article 22 ne la mentionne pas au titre des compétences de la Nouvelle-Calédonie.

9. Les dispositions du titre III (" Accès à la nature ") inséré par la délibération litigieuse dans le livre II (" Protection et valorisation du patrimoine naturel et des intérêts culturels associés ") du code de l'environnement de la province des îles Loyauté relèvent de la préservation de l'environnement et ressortissent, comme tel, à la compétence des provinces en application des dispositions de l'article 20 de la loi organique du 19 mars 1999 citées au point précédent. La circonstance que ni l'État, ni la Nouvelle-Calédonie ni les autres provinces n'ont institué un tel régime est en tout état de cause inopérante, dès lors que, comme il a été dit au point 7, il est loisible à une province, dans l'exercice de son pouvoir normatif, de mettre en oeuvre des politiques reposant sur un cadre juridique nouveau, pour autant que, ce faisant, elle respecte les principes inhérents à la hiérarchie des normes rappelés au point 6. Par suite, le moyen du déféré du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie tiré de ce que l'institution d'un tel régime d'accès à la nature excèderait la compétence de la province des îles Loyauté ne présente pas un caractère sérieux.

En ce qui concerne la compétence en matière de garantie des libertés publiques :

10. En vertu du I (1°) de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, l'État est compétent en matière de " garantie des libertés publiques ". Dans ce cadre, et ainsi qu'il a été rappelé au point 6, les règles édictées par les provinces ne peuvent remettre en cause, notamment, les principes généraux du droit, parmi lesquels figure celui de la liberté d'aller et de venir sur le domaine public et celui de la liberté du commerce et de l'industrie.

11. La délibération attaquée, en tant qu'elle crée dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les articles 232-2 (premier alinéa), 232-3, 232-5, 232-7 et 233-3, (alinéa 2), qui soumettent à déclaration ou autorisation la plupart des activités susceptibles d'être exercées sur le domaine public maritime de la province, est susceptible de méconnaitre la répartition des compétences entre l'État et les provinces telle que rappelée au point précédent.

En ce qui concerne la compétence en matière de droit pénal et de procédure pénale :

12. Aux termes de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " L'État est compétent dans les matières suivantes : / (..) / 2° Justice, (...), procédure pénale, (...). / II. - L'État est également compétent dans les matières suivantes : / (...) / 5° Droit pénal, sous réserve des dispositions prévues aux articles 86,87,88 et au deuxième alinéa de l'article 157 ; / (...). ". Aux termes de l'article 87 de la même loi organique : " Sous réserve d'une homologation de sa délibération par la loi, le congrès peut assortir les infractions aux lois du pays et aux règlements qu'il édicte de peines d'emprisonnement qui respectent la classification des délits et n'excèdent pas le maximum prévu pour les infractions de même nature par les lois et règlements de la République. / Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi d'homologation, seules les peines d'amende et les peines complémentaires éventuellement prévues par la délibération sont applicables. ". Selon l'article 157 de la même loi organique : " Dans les matières de sa compétence, l'assemblée de province peut prendre les mesures prévues par les articles 86 à 88 ".

13. La délibération litigieuse, tant en ce qu'elle crée dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les articles 235-1, 235-2 et 235-5 qu'en tant que son article 2 fixe sans autre précision l'entrée en vigueur des dispositions y annexées au 1er juillet 2021, est susceptible de méconnaitre la répartition des compétences entre l'État et les provinces qui résulte des dispositions précitées, d'une part, en édictant des règles relevant manifestement de la procédure pénale - telle que les modalités de constatation des infractions, et du droit pénal - telle que l'édiction d'une obligation de signalement, la création d'une incrimination pour rébellion et d'une peine complémentaire de confiscation, et, d'autre part, en omettant de reporter l'entrée en vigueur des dispositions prévoyant une peine d'emprisonnement à l'intervention, s'il échet, d'une loi d'homologation comme il est prévu à l'article 87 de la loi organique statutaire.
En ce qui concerne la compétence en matière de desserte maritime :

14. Aux termes de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " I. - L'État est compétent dans les matières suivantes : / (...) / 6° Desserte maritime et aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et les autres points du territoire de la République ; (...) statut des navires ; (...) ; / 14° Police et sécurité (...) de la circulation maritime, sous réserve du III du présent article ; / (...). / III. - L'État exerce également jusqu'à leur transfert à la Nouvelle-Calédonie, dans les conditions prévues à l'article 26, les compétences suivantes : / (...) / 1° bis Police et sécurité de la circulation maritime s'effectuant entre tous points de la Nouvelle-Calédonie ; sauvegarde de la vie en mer dans les eaux territoriales ; / (...). ". Aux termes de l'article 22 de la même loi organique : " La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes : (...) / 8° Desserte maritime d'intérêt territorial ; (...) ".

15. Aux termes de l'article 1er de la loi du pays n° 2009-10 du 28 décembre 2009 relative au transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences de l'État en matière de police et sécurité de la circulation maritime s'effectuant entre tous points de la Nouvelle-Calédonie, et de sauvegarde de la vie humaine en mer dans les eaux territoriales : " La Nouvelle-Calédonie exerce, à compter de la date de leur transfert effectif fixée à l'article 6 de la présente loi du pays, les compétences prévues au 1° bis du III de l'art. 21 de la loi organique modifiée n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. / Pour la mise en oeuvre du transfert, le terme de " circulation maritime " comprend la notion de " navigation maritime ". Les eaux territoriales comprennent les eaux intérieures. / Dans ce cadre, et dans le respect de la répartition des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes prévue par la loi organique précitée, la Nouvelle-Calédonie est en charge de : / - la police et la réglementation de la circulation maritime dans les eaux territoriales ; / - la sécurité de la navigation dans les eaux territoriales ; / - la réglementation de la sécurité des navires et l'inspection des navires qui sont immatriculés en Nouvelle-Calédonie et qui effectuent une navigation entre tous points de la Nouvelle-Calédonie ; / - la sauvegarde de la vie humaine en mer dans les eaux territoriales. ". Aux termes de l'article 2 de la même loi du pays : " En matière de police et de réglementation de la circulation maritime dans les eaux territoriales, la Nouvelle-Calédonie est notamment compétente pour : / - réglementer la circulation maritime et assurer la police administrative spéciale destinée à assurer le respect de cette réglementation ; / (...) / - fixer les règles relatives aux manifestations nautiques. ". En vertu de l'article 6 de la même loi du pays, le transfert des compétences portant sur la sécurité de la navigation dans les eaux territoriales a pris effet le
1er janvier 2011, et celui relatif à la police et la réglementation de la circulation maritime dans les eaux territoriales ainsi qu'à la sauvegarde de la vie humaine en mer dans les eaux territoriales, le 1er juillet 2011.
16. La délibération attaquée, en tant qu'elle crée dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les articles 232-2 (premier alinéa), 232-3, 232-5, 232-7 et 233-3, (alinéa 2), qui soumettent à déclaration ou autorisation l'accès des navires au domaine public maritime de la province, est susceptible de méconnaitre la répartition des compétences en matière de desserte maritime entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces telle que rappelée au point précédent.

En ce qui concerne la compétence en matière de domanialité :

17. Aux termes de l'article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes : / (...) / 31° Droit domanial de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ; (...). ". L'article 45 de la même loi organique dispose que : " Le domaine public maritime des provinces comprend, (...), la zone dite des cinquante pas géométriques, les rivages de la mer, les terrains gagnés sur la mer, le sol et le sous-sol des eaux intérieures, dont ceux des rades et lagons, telles que définies par les conventions internationales, ainsi que le sol et le sous-sol des eaux territoriales. (...) ". Selon l'article 46 de cette loi organique : " Sous réserve des compétences de l'État mentionnées au 3° du I de l'article 21, les provinces réglementent et exercent les droits d'exploration, d'exploitation, de gestion et de conservation des ressources naturelles biologiques et non biologiques des eaux intérieures, dont celles des rades et lagons, de leur sol et de leur sous-sol, et du sol, du sous-sol et des eaux surjacentes de la mer territoriale. / Les provinces prennent, après avis du conseil coutumier concerné, les dispositions particulières nécessaires pour tenir compte des usages coutumiers. " L'article 99 de la même loi organique dispose que : " Les délibérations par lesquelles le congrès adopte des dispositions portant sur les matières définies à l'alinéa suivant sont dénommées : "lois du pays". / Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la présente loi : / (...) / 7° Règles du droit domanial de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, sous réserve des dispositions du 13° de l'article 127 ; / (...) / 10° Principes fondamentaux concernant le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales. ". D'une part, ressortissent ainsi du domaine des lois du pays, au titre du neuvième alinéa (7°) de l'article 99 précité de la loi organique du 19 mars 1999, la fixation des règles relatives à l'usage du domaine public, y compris celles qui fondent l'édiction par l'autorité administrative et dans un but d'intérêt général, tel celui de la protection des milieux naturels, de mesures, restreintes à certaines zones, d'interdiction d'aller et venir sur ce domaine, ou qui soumettent l'accès à ces zones à son autorisation. Au demeurant, l'article 3 de la loi du pays n° 2001-017 du 11 janvier 2002 sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces dispose que : " L'accès des piétons aux rivages et aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale, de protection de l'environnement ou de respect des usages coutumiers de jouissance reconnus nécessitent des dispositions particulières. / L'usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des rivages et plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines. ". D'autre part, ressortissent également au domaine des lois du pays, au titre du douzième alinéa (10°) de l'article 99 précité de la loi organique du 19 mars 1999, les dispositions qui apportent des limitations de principe à l'exercice d'une profession déterminée, sans préjudice de l'exercice du pouvoir de police générale par l'autorité compétente.

18. La délibération attaquée, en tant qu'elle crée dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les articles 232-2 (premier alinéa), 232-3, 232-5, 232-7 et 233-3, (alinéa 2), qui, comme il a été dit, soumettent à déclaration ou autorisation la plupart des activités susceptibles d'être exercées sur le domaine public maritime de la province, est susceptible de méconnaitre la répartition des compétences en matière de domanialité entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces telle que rappelée au point précédent.

19. En revanche, ni la création de lieux de mouillages et d'amarrages mis à disposition des plaisanciers, ni la création d'un régime de servitudes écologiques et coutumières destiné à favoriser l'accès de tous à la nature ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, la répartition des compétences en matière domaniale visée au point précédent. Par suite, ce moyen, tel qu'articulé dans le déféré du haut-commissaire de la République à l'encontre des article 232-6 et 233-1 à 233-4, ne présente pas un caractère sérieux.

En ce qui concerne la compétence en matière de statut civil coutumier et de terres coutumières :

20. Aux termes de l'article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes : (...) / 5° Statut civil coutumier ; terres coutumières et palabres coutumiers ; limites des aires coutumières ; (...). ". En vertu de l'article 99 (5°) de la même loi organique, ressortissent au domaine des lois du pays dispose les matières suivantes : " statut civil coutumier, régime des terres coutumières et des palabres coutumiers ".

21. La délibération litigieuse, en tant qu'elle crée, dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les dispositions des articles 232-7 (alinéa 2), 233-1 (alinéa 2 et alinéa 5 : " sur terres coutumières " ; alinéa 6) et 233-3, est susceptible de méconnaitre la répartition des compétences en matière de statut civil coutumier et de terres coutumières entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces telle que rappelée au point précédent.

22. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil d'État, en application de l'article 205 de la loi organique 19 mars 1999, les questions de répartition des compétences entre les provinces, la Nouvelle-Calédonie et l'État en matière de garantie des libertés publiques, de droit pénal et de procédure pénale, de desserte maritime, de domanialité et de statut civil coutumier et de terres coutumières mentionnées aux points 10 à 21 du présent arrêt, tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt étant réservés jusqu'en fin d'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000440 du 17 mai 2021 du tribunal administratif de la Nouvelle Calédonie est annulé.
Article 2 : Le dossier du déféré du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie est transmis au Conseil d'État pour examen des questions de répartition des compétences entre les provinces, la Nouvelle-Calédonie et l'État en matière de garantie des libertés publiques, de droit pénal et de procédure pénale, de desserte maritime, de domanialité et de statut civil coutumier et de terres coutumières ci-après :

" 1° La délibération de l'assemblée de de la province des îles Loyauté, n° 2020-45/API du 30 juin 2020 relative au code de l'environnement de la province des îles Loyauté, en tant qu'elle crée dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les articles 232-2 (premier alinéa), 232-3, 232-5, 232-7 et 233-3, (alinéa 2), qui soumettent à déclaration ou autorisation la plupart des activités susceptibles d'être exercées sur le domaine public maritime de la province, méconnait-elle la répartition des compétences entre l'État et les provinces résultant du I (1°) de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, en vertu duquel, l'État étant compétent en matière de " garantie des libertés publiques ", les règles édictées par les provinces ne peuvent remettre en cause, notamment, les principes généraux du droit, parmi lesquels figure celui de la liberté d'aller et de venir sur le domaine public et celui de la liberté du commerce et de l'industrie '

" 2° La même délibération, tant en ce qu'elle crée dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les articles 235-1, 235-2 et 235-5 qu'en tant que son article 2 fixe sans autre précision l'entrée en vigueur des dispositions y annexées au 1er juillet 2021, méconnait-elle la répartition des compétences entre l'État et les provinces qui résulte des articles 21 (I-2° et II-5°), 87 et 157 de la loi organique du 19 mars 1999 susmentionnée, d'une part, en édictant des règles relevant de la procédure pénale, telle que les modalités de constatation des infractions, et du droit pénal, telle que l'édiction d'une obligation de signalement, la création d'une incrimination pour rébellion et d'une peine complémentaire de confiscation, et, d'autre part, en omettant de reporter l'entrée en vigueur des dispositions prévoyant une peine d'emprisonnement à l'intervention, s'il échet, d'une loi d'homologation comme il est prévu à l'article 87 de la loi organique statutaire '

" 3° Cette délibération, en tant qu'elle crée dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les articles 232-2 (premier alinéa), 232-3, 232-5, 232-7 et 233-3, (alinéa 2), qui soumettent à déclaration ou autorisation l'accès des navires au domaine public maritime de la province, méconnait-elle la répartition des compétences en matière de desserte maritime entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces telle que déterminée par les articles 22 (31°), 45, 46 et 99 (7° et 10°) de la loi organique du 19 mars 1999 susmentionnée et par l'article 3 de la loi du pays n° 2001-017 du 11 janvier 2002 sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces '

" 4° La même délibération, en tant qu'elle crée, dans le code de l'environnement de la province des îles Loyauté les dispositions des articles 232-7 (alinéa 2), 233-1 (alinéa 2 et alinéa 5 : " sur terres coutumières " ; alinéa 6) et 233-3, méconnait-elle la répartition des compétences en matière de statut civil coutumier et de terres coutumières entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces telle que déterminée par les articles 22 (5°) et 99 (5°) de la loi organique du 19 mars 1999 susmentionnée '

Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de la province des îles Loyauté jusqu'à l'avis du Conseil d'État ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois à compter de la transmission du dossier prévue à l'article 1er.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la province des îles Loyauté, au ministre des Outre-mer et au président de la section du contentieux du Conseil d'État.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2022.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLe président,
J. LAPOUZADE La greffière,
C. POVSE
La République mande et ordonne au ministre des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA0462

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