CAA de LYON
N° 20LY02769
5ème chambre
M. BOURRACHOT, président
Mme Mathilde LE FRAPPER, rapporteur
M. VALLECCHIA, rapporteur public
AARPI THEMIS, avocats
Lecture du jeudi 27 octobre 2022
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la délibération n° 88-2018 du 12 décembre 2018 par laquelle le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine a décidé de créer une zone d'aménagement différé sur leurs parcelles cadastrées aux sections AI et ZA de la commune de Ménetreux-le-Pitois et a désigné la communauté de communes comme bénéficiaire du droit de préemption, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux, et de mettre à la charge de la communauté de communes une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1901611 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Dijon a annulé la délibération du 12 décembre 2018 (article 1er) et a mis à la charge de la communauté de communes une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administration (article 2).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 21 septembre 2020, la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine, représentée par l'association d'avocats Aarpi Themis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mmes A... et B... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de Mmes A... et B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la communauté de communes était compétente pour adopter la délibération en litige ;
- le moyen soulevé en première instance et tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme est inopérant et n'est pas fondé, dès lors qu'une zone d'aménagement différé créée avant la loi n° 2010 peut être prolongée, ou faire l'objet d'une nouvelle création si elle a entre-temps été frappée de caducité ;
- cette faculté ne méconnaît pas le droit de propriété garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la délibération en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2022, Mme A... et Mme B..., représentées par Me Barberousse, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de la communauté de communes du pays d'Alésia et de la Seine une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés et entendent se prévaloir à nouveau de leurs autres moyens de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son premier protocole additionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Ciaudo, représentant la communauté de communes requérante, et de Me Caille, substituant Me Barberousse, représentant Mmes A... et B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 12 décembre 2018, le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine (COPAS) a créé une zone d'aménagement différé sur des parcelles cadastrées aux sections AI et ZA de la commune de Ménétreux-le-Pitoies et appartenant à Mmes A... et B..., en désignant la communauté de communes comme bénéficiaire du droit de préemption. L'établissement public de coopération intercommunale relève appel du jugement du 7 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Dijon, à la demande des propriétaires des parcelles, a annulé cette délibération.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la délibération attaquée : " Des zones d'aménagement différé peuvent être créées, par décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, sur proposition ou après avis de la commune et après avis de l'établissement public de coopération intercommunale ayant les compétences visées au deuxième alinéa de l'article L. 211-2. (...) / Des zones d'aménagement différé peuvent également être créées par délibération motivée de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant les compétences mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 211-2, après avis des communes incluses dans le périmètre de la zone ". Aux termes de l'article L. 212-2 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris et de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Dans les zones d'aménagement différé, un droit de préemption, qui peut être exercé pendant une période de six ans renouvelable à compter de la publication de l'acte qui a créé la zone, sous réserve de ce qui est dit à l'article L. 212-2-1, est ouvert soit à une collectivité publique ou à un établissement public y ayant vocation, soit au concessionnaire d'une opération d'aménagement. / L'acte créant la zone désigne le titulaire du droit de préemption. / Le renouvellement de la période mentionnée au premier alinéa du présent article se fait selon les modalités prévues à l'article L. 212-1, sans que l'acte renouvelant le droit de préemption soit nécessairement pris selon la modalité ayant présidé à la prise de l'acte de création de la zone ". Aux termes du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris : " II. - Les zones d'aménagement différé créées avant l'entrée en vigueur de la présente loi prennent fin six ans après cette entrée en vigueur ou, si ce délai est plus court, au terme du délai de quatorze ans prévu à l'article L. 212-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la présente loi ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 27 avril 2004, le préfet de Côte-d'Or a créé sur les parcelles en litige une première zone d'aménagement différé (ZAD) et désigné la commune de Ménétreux-le-Pitois comme bénéficiaire du droit de préemption associé, dont la durée était limitée, en vertu des dispositions alors en vigueur de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme, à quatorze années non renouvelables. Cette ZAD est devenue caduque à la date du 6 juin 2016, en application des dispositions précitées du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010, Mmes A... et B... ayant ainsi retrouvé le plein usage de leurs biens pendant plus de deux années avant l'intervention de la délibération attaquée. Il résulte clairement des dispositions de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue de la loi du 3 juin 2010, que le législateur a désormais entendu permettre le renouvellement de la durée des zones d'aménagement différé, toutefois réduite à six ans, ce qui entraîne la réévaluation plus fréquente de la valeur des biens soumis à l'exercice du droit de préemption. Il ne résulte en outre pas de ces dispositions, ni de celles du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010, que le législateur aurait entendu faire obstacle à la création d'une nouvelle zone d'aménagement différé sur le périmètre d'une précédente zone devenue caduque par l'effet de la loi relative au Grand Paris, postérieurement à cette caducité, même si elle a pour effet d'ouvrir une nouvelle durée d'exercice du droit de préemption. Par suite, en créant une nouvelle ZAD, dont l'objet est de surcroît élargi, sur les mêmes parcelles que l'arrêté préfectoral de 2004 et en se désignant bénéficiaire du droit de préemption, la COPAS n'a pas méconnu les dispositions précitées.
4. En second lieu, la COPAS fait valoir en appel, sans être contestée par les intimées, qui seraient seules en mesure de le faire en qualité de propriétaires de l'ensemble des terrains concernés, que la première ZAD n'a pu permettre de mener à bien le projet initial d'extension de la zone d'activités de Saussis-Bailly du fait de l'absence de transaction ayant porté sur les parcelles incluses dans la zone d'aménagement différé. Il ressort également des pièces du dossier que le périmètre de la ZAD en litige constitue le prolongement immédiat d'une zone d'activités existante à Ménétreux-le-Pitois, que le secteur est proche du chef-lieu de canton concentrant l'essentiel des activités de la COPAS et qu'il est desservi par une voie départementale. Il ressort en outre des écritures d'appel non contestées de la COPAS que la ZAD a une superficie équivalente à celle de la zone d'activités de Vénarey-les-Laumes, chef-lieu de canton, et environ deux fois supérieure à celle de la zone d'activités existante de Ménétreux-le-Pitois, dont il n'est pas utilement contesté qu'elle ne dispose plus de parcelles disponibles, et que sa surface d'un peu plus de 9 hectares ne représente que 0,03% de la superficie de la COPAS et 1,36% de la superficie de la commune de Ménétreux-le-Pitois. Il est enfin justifié que l'établissement public de coopération intercommunale, situé en zone de revitalisation rurale, est inclus, avec d'autres intercommunalités du secteur, dans le programme " Territoires d'industrie " en raison de la présence notamment d'industries du secteur de la métallurgie. Par suite, la zone en litige, qui répond aux objectifs définis par la délibération attaquée, n'apparaît pas hors de proportion au regard de la population, des besoins en équipement dans un avenir prévisible et de la superficie du territoire, ni entachée d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de sa localisation, de son périmètre ou de sa superficie.
5. Il résulte de ce qui précède que la COPAS est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a, pour ces motifs, annulé la délibération du 12 décembre 2018.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... et Mme A....
7. En premier lieu, le 2ème alinéa de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme, auquel renvoie le 3ème alinéa précité de l'article L. 212-1 du même code, prévoit que " la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (...) en matière de plan local d'urbanisme, emporte [sa] compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain ". Selon le I de l'article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction en vigueur à la date de la délibération du 12 décembre 2018, issue notamment de l'article 64 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République : " I. - La communauté de communes exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences relevant de chacun des groupes suivants : / 1° Aménagement de l'espace pour la conduite d'actions d'intérêt communautaire ; schéma de cohérence territoriale et schéma de secteur ; plan local d'urbanisme, document d'urbanisme en tenant lieu et carte communale (...) ". Aux termes du II de l'article 136 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : " II. - La communauté de communes ou la communauté d'agglomération existant à la date de publication de la présente loi, ou celle créée ou issue d'une fusion après la date de publication de cette même loi, et qui n'est pas compétente en matière de plan local d'urbanisme, de documents d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale le devient le lendemain de l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la publication de ladite loi. Si, dans les trois mois précédant le terme du délai de trois ans mentionné précédemment, au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population s'y opposent, ce transfert de compétences n'a pas lieu. / Si, à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, la communauté de communes ou la communauté d'agglomération n'est pas devenue compétente en matière de plan local d'urbanisme, de documents d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, elle le devient de plein droit le premier jour de l'année suivant l'élection du président de la communauté consécutive au renouvellement général des conseils municipaux et communautaires, sauf si les communes s'y opposent dans les conditions prévues au premier alinéa du présent II. / Si, à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, la communauté de communes ou la communauté d'agglomération n'est pas devenue compétente en matière de plan local d'urbanisme, de documents d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale peut également à tout moment se prononcer par un vote sur le transfert de cette compétence à la communauté. S'il se prononce en faveur du transfert, cette compétence est transférée à la communauté, sauf si les communes membres s'y opposent dans les conditions prévues au premier alinéa du présent II, dans les trois mois suivant le vote de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ".
8. Par un arrêté du 15 mars 2017, régulièrement publié le 17 au recueil des actes administratifs de la préfecture de Côte-d'Or, et visé par un arrêté du 6 mars 2019 versé aux débats, le sous-préfet de Montbard a inclus aux compétences obligatoires de la COPAS, à compter du 27 mars 2017, la compétence en matière de plan local d'urbanisme, de document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, sauf constitution d'une minorité de blocage par les communes. Contrairement à ce que soutiennent Mmes A... et B..., il ne saurait être exigé de la COPAS l'administration de la preuve négative d'une absence d'opposition des communes membres dans les proportions prévues aux dispositions précitées. Il incombe à l'inverse aux intimées d'apporter à l'instance des éléments de nature à démontrer qu'un nombre suffisant de communes membres de l'intercommunalité se serait opposé au transfert automatique de la compétence en matière d'urbanisme. En l'absence de toute allégation sérieusement étayée sur ce point, et eu égard aux autres pièces versées à l'instance confirmant l'effectivité du transfert, le moyen tiré de l'incompétence de la COPAS pour adopter la délibération en litige à la date du 12 décembre 2018 doit être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".
10. Mmes A... et B... ne sont, d'une part, pas fondées à soutenir que la délibération en litige aurait pour effet de prolonger le " gel " de leurs biens pour une durée excessive, alors qu'elle intervient au terme d'une période de plus de deux années au cours de laquelle elles avaient retrouvé le plein usage de leurs parcelles du fait de la caducité de la précédente ZAD instituée sur ce périmètre, et qu'il résulte des dispositions de l'article L. 213-4 du code de l'urbanisme que la date de référence pour la fixation du prix d'acquisition sera réactualisée à la date de publication de la délibération créant la ZAD puis à chaque renouvellement ultérieur éventuel. D'autre part, eu égard à ce qui a été dit notamment au point 4 du présent arrêt, l'instauration d'une nouvelle zone d'aménagement différé sur ces parcelles, dans le respect des objectifs prévus par la loi, répond à un intérêt général suffisant et ne porte ainsi pas d'atteinte excessive au droit des intimées au respect de leurs biens. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit, par suite, être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la délibération du 12 décembre 2018.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de Mme A... et de Mme B..., parties perdantes dans la présente instance, la somme de 1 000 euros chacune au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par les intimées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901611 du tribunal administratif de Dijon du 7 juillet 2020 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme A... et Mme B... devant le tribunal administratif de Dijon et leurs conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Mme D... B... et Mme C... A... verseront chacune une somme de 1 000 euros à la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine, à Mme D... B... et à Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 octobre 2022.
La rapporteure,
M. Le FrapperLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° ar
N° 20LY02769
5ème chambre
M. BOURRACHOT, président
Mme Mathilde LE FRAPPER, rapporteur
M. VALLECCHIA, rapporteur public
AARPI THEMIS, avocats
Lecture du jeudi 27 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la délibération n° 88-2018 du 12 décembre 2018 par laquelle le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine a décidé de créer une zone d'aménagement différé sur leurs parcelles cadastrées aux sections AI et ZA de la commune de Ménetreux-le-Pitois et a désigné la communauté de communes comme bénéficiaire du droit de préemption, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux, et de mettre à la charge de la communauté de communes une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1901611 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Dijon a annulé la délibération du 12 décembre 2018 (article 1er) et a mis à la charge de la communauté de communes une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administration (article 2).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 21 septembre 2020, la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine, représentée par l'association d'avocats Aarpi Themis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mmes A... et B... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de Mmes A... et B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la communauté de communes était compétente pour adopter la délibération en litige ;
- le moyen soulevé en première instance et tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme est inopérant et n'est pas fondé, dès lors qu'une zone d'aménagement différé créée avant la loi n° 2010 peut être prolongée, ou faire l'objet d'une nouvelle création si elle a entre-temps été frappée de caducité ;
- cette faculté ne méconnaît pas le droit de propriété garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la délibération en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2022, Mme A... et Mme B..., représentées par Me Barberousse, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de la communauté de communes du pays d'Alésia et de la Seine une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés et entendent se prévaloir à nouveau de leurs autres moyens de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son premier protocole additionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Ciaudo, représentant la communauté de communes requérante, et de Me Caille, substituant Me Barberousse, représentant Mmes A... et B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 12 décembre 2018, le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine (COPAS) a créé une zone d'aménagement différé sur des parcelles cadastrées aux sections AI et ZA de la commune de Ménétreux-le-Pitoies et appartenant à Mmes A... et B..., en désignant la communauté de communes comme bénéficiaire du droit de préemption. L'établissement public de coopération intercommunale relève appel du jugement du 7 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Dijon, à la demande des propriétaires des parcelles, a annulé cette délibération.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la délibération attaquée : " Des zones d'aménagement différé peuvent être créées, par décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, sur proposition ou après avis de la commune et après avis de l'établissement public de coopération intercommunale ayant les compétences visées au deuxième alinéa de l'article L. 211-2. (...) / Des zones d'aménagement différé peuvent également être créées par délibération motivée de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant les compétences mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 211-2, après avis des communes incluses dans le périmètre de la zone ". Aux termes de l'article L. 212-2 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris et de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Dans les zones d'aménagement différé, un droit de préemption, qui peut être exercé pendant une période de six ans renouvelable à compter de la publication de l'acte qui a créé la zone, sous réserve de ce qui est dit à l'article L. 212-2-1, est ouvert soit à une collectivité publique ou à un établissement public y ayant vocation, soit au concessionnaire d'une opération d'aménagement. / L'acte créant la zone désigne le titulaire du droit de préemption. / Le renouvellement de la période mentionnée au premier alinéa du présent article se fait selon les modalités prévues à l'article L. 212-1, sans que l'acte renouvelant le droit de préemption soit nécessairement pris selon la modalité ayant présidé à la prise de l'acte de création de la zone ". Aux termes du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris : " II. - Les zones d'aménagement différé créées avant l'entrée en vigueur de la présente loi prennent fin six ans après cette entrée en vigueur ou, si ce délai est plus court, au terme du délai de quatorze ans prévu à l'article L. 212-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la présente loi ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 27 avril 2004, le préfet de Côte-d'Or a créé sur les parcelles en litige une première zone d'aménagement différé (ZAD) et désigné la commune de Ménétreux-le-Pitois comme bénéficiaire du droit de préemption associé, dont la durée était limitée, en vertu des dispositions alors en vigueur de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme, à quatorze années non renouvelables. Cette ZAD est devenue caduque à la date du 6 juin 2016, en application des dispositions précitées du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010, Mmes A... et B... ayant ainsi retrouvé le plein usage de leurs biens pendant plus de deux années avant l'intervention de la délibération attaquée. Il résulte clairement des dispositions de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue de la loi du 3 juin 2010, que le législateur a désormais entendu permettre le renouvellement de la durée des zones d'aménagement différé, toutefois réduite à six ans, ce qui entraîne la réévaluation plus fréquente de la valeur des biens soumis à l'exercice du droit de préemption. Il ne résulte en outre pas de ces dispositions, ni de celles du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010, que le législateur aurait entendu faire obstacle à la création d'une nouvelle zone d'aménagement différé sur le périmètre d'une précédente zone devenue caduque par l'effet de la loi relative au Grand Paris, postérieurement à cette caducité, même si elle a pour effet d'ouvrir une nouvelle durée d'exercice du droit de préemption. Par suite, en créant une nouvelle ZAD, dont l'objet est de surcroît élargi, sur les mêmes parcelles que l'arrêté préfectoral de 2004 et en se désignant bénéficiaire du droit de préemption, la COPAS n'a pas méconnu les dispositions précitées.
4. En second lieu, la COPAS fait valoir en appel, sans être contestée par les intimées, qui seraient seules en mesure de le faire en qualité de propriétaires de l'ensemble des terrains concernés, que la première ZAD n'a pu permettre de mener à bien le projet initial d'extension de la zone d'activités de Saussis-Bailly du fait de l'absence de transaction ayant porté sur les parcelles incluses dans la zone d'aménagement différé. Il ressort également des pièces du dossier que le périmètre de la ZAD en litige constitue le prolongement immédiat d'une zone d'activités existante à Ménétreux-le-Pitois, que le secteur est proche du chef-lieu de canton concentrant l'essentiel des activités de la COPAS et qu'il est desservi par une voie départementale. Il ressort en outre des écritures d'appel non contestées de la COPAS que la ZAD a une superficie équivalente à celle de la zone d'activités de Vénarey-les-Laumes, chef-lieu de canton, et environ deux fois supérieure à celle de la zone d'activités existante de Ménétreux-le-Pitois, dont il n'est pas utilement contesté qu'elle ne dispose plus de parcelles disponibles, et que sa surface d'un peu plus de 9 hectares ne représente que 0,03% de la superficie de la COPAS et 1,36% de la superficie de la commune de Ménétreux-le-Pitois. Il est enfin justifié que l'établissement public de coopération intercommunale, situé en zone de revitalisation rurale, est inclus, avec d'autres intercommunalités du secteur, dans le programme " Territoires d'industrie " en raison de la présence notamment d'industries du secteur de la métallurgie. Par suite, la zone en litige, qui répond aux objectifs définis par la délibération attaquée, n'apparaît pas hors de proportion au regard de la population, des besoins en équipement dans un avenir prévisible et de la superficie du territoire, ni entachée d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de sa localisation, de son périmètre ou de sa superficie.
5. Il résulte de ce qui précède que la COPAS est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a, pour ces motifs, annulé la délibération du 12 décembre 2018.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... et Mme A....
7. En premier lieu, le 2ème alinéa de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme, auquel renvoie le 3ème alinéa précité de l'article L. 212-1 du même code, prévoit que " la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (...) en matière de plan local d'urbanisme, emporte [sa] compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain ". Selon le I de l'article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction en vigueur à la date de la délibération du 12 décembre 2018, issue notamment de l'article 64 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République : " I. - La communauté de communes exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences relevant de chacun des groupes suivants : / 1° Aménagement de l'espace pour la conduite d'actions d'intérêt communautaire ; schéma de cohérence territoriale et schéma de secteur ; plan local d'urbanisme, document d'urbanisme en tenant lieu et carte communale (...) ". Aux termes du II de l'article 136 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : " II. - La communauté de communes ou la communauté d'agglomération existant à la date de publication de la présente loi, ou celle créée ou issue d'une fusion après la date de publication de cette même loi, et qui n'est pas compétente en matière de plan local d'urbanisme, de documents d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale le devient le lendemain de l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la publication de ladite loi. Si, dans les trois mois précédant le terme du délai de trois ans mentionné précédemment, au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population s'y opposent, ce transfert de compétences n'a pas lieu. / Si, à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, la communauté de communes ou la communauté d'agglomération n'est pas devenue compétente en matière de plan local d'urbanisme, de documents d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, elle le devient de plein droit le premier jour de l'année suivant l'élection du président de la communauté consécutive au renouvellement général des conseils municipaux et communautaires, sauf si les communes s'y opposent dans les conditions prévues au premier alinéa du présent II. / Si, à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, la communauté de communes ou la communauté d'agglomération n'est pas devenue compétente en matière de plan local d'urbanisme, de documents d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale peut également à tout moment se prononcer par un vote sur le transfert de cette compétence à la communauté. S'il se prononce en faveur du transfert, cette compétence est transférée à la communauté, sauf si les communes membres s'y opposent dans les conditions prévues au premier alinéa du présent II, dans les trois mois suivant le vote de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ".
8. Par un arrêté du 15 mars 2017, régulièrement publié le 17 au recueil des actes administratifs de la préfecture de Côte-d'Or, et visé par un arrêté du 6 mars 2019 versé aux débats, le sous-préfet de Montbard a inclus aux compétences obligatoires de la COPAS, à compter du 27 mars 2017, la compétence en matière de plan local d'urbanisme, de document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, sauf constitution d'une minorité de blocage par les communes. Contrairement à ce que soutiennent Mmes A... et B..., il ne saurait être exigé de la COPAS l'administration de la preuve négative d'une absence d'opposition des communes membres dans les proportions prévues aux dispositions précitées. Il incombe à l'inverse aux intimées d'apporter à l'instance des éléments de nature à démontrer qu'un nombre suffisant de communes membres de l'intercommunalité se serait opposé au transfert automatique de la compétence en matière d'urbanisme. En l'absence de toute allégation sérieusement étayée sur ce point, et eu égard aux autres pièces versées à l'instance confirmant l'effectivité du transfert, le moyen tiré de l'incompétence de la COPAS pour adopter la délibération en litige à la date du 12 décembre 2018 doit être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".
10. Mmes A... et B... ne sont, d'une part, pas fondées à soutenir que la délibération en litige aurait pour effet de prolonger le " gel " de leurs biens pour une durée excessive, alors qu'elle intervient au terme d'une période de plus de deux années au cours de laquelle elles avaient retrouvé le plein usage de leurs parcelles du fait de la caducité de la précédente ZAD instituée sur ce périmètre, et qu'il résulte des dispositions de l'article L. 213-4 du code de l'urbanisme que la date de référence pour la fixation du prix d'acquisition sera réactualisée à la date de publication de la délibération créant la ZAD puis à chaque renouvellement ultérieur éventuel. D'autre part, eu égard à ce qui a été dit notamment au point 4 du présent arrêt, l'instauration d'une nouvelle zone d'aménagement différé sur ces parcelles, dans le respect des objectifs prévus par la loi, répond à un intérêt général suffisant et ne porte ainsi pas d'atteinte excessive au droit des intimées au respect de leurs biens. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit, par suite, être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la délibération du 12 décembre 2018.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de Mme A... et de Mme B..., parties perdantes dans la présente instance, la somme de 1 000 euros chacune au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par les intimées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901611 du tribunal administratif de Dijon du 7 juillet 2020 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme A... et Mme B... devant le tribunal administratif de Dijon et leurs conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Mme D... B... et Mme C... A... verseront chacune une somme de 1 000 euros à la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine, à Mme D... B... et à Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 octobre 2022.
La rapporteure,
M. Le FrapperLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° ar