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Ariane Web: CAA PARIS 20PA04262, lecture du 7 décembre 2022

Décision n° 20PA04262
7 décembre 2022
CAA de PARIS

N° 20PA04262

7ème chambre
M. JARDIN, président
Mme Elodie JURIN, rapporteur
Mme BREILLON, rapporteur public
CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE, avocats


Lecture du mercredi 7 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2013, ainsi que des majorations et des intérêts de retard correspondants.

Par un jugement n° 1915526/1-1 du 4 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 décembre 2020 et le 16 février 2022, M. et Mme B..., représentés par Mes Lacroix et Herbet, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1915526/1-1 du 4 novembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge de cette imposition ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
- l'administration a considéré à tort que les titres cédés n'étaient pas identifiables et appliqué la règle du " premier entré, premier sorti " ;
- l'augmentation de capital du 12 mai 2009 ne peut pas constituer le point de départ pour le calcul de la durée de détention ;
- ils sont fondés à se prévaloir du paragraphe 40 du bulletin officiel des impôts BOI-RFPI-SPI-20, du paragraphe 10 du BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-40, du BOI-BIC-AMT-20-20-30 ainsi que de la réponse ministérielle n° 80.034 du 17 juin 2008 ;
- par un mémoire distinct, ils ont contesté la constitutionnalité du mode de calcul du délai de détention prévu par la version de l'article 150-0 D du code général des impôts applicable au litige.

Par des mémoires distincts, enregistrés le 28 décembre 2020 et le 19 février 2021, M. et Mme B... ont demandé à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa du 1 du quinquies de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 17 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

Par une ordonnance n° 20PA04262 du 24 février 2021, le président de la 7ème chambre de la Cour a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de ne pas transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par des mémoires en défense, enregistré le 2 juillet 2021 et le 25 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Breillon, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... ont acquis, par deux actes des 13 décembre 1985 et 8 janvier 1986, les 500 parts composant le capital social de la société à responsabilité limitée (SARL) Perlandis. Le 29 septembre 2004, ces parts ont été remplacées par 5 000 parts sociales d'une valeur de 8 euros chacune. Le 12 mai 2009, le capital de la société, devenue société par actions simplifiée (SAS), a été augmenté de 40 000 euros et 5 000 nouvelles actions d'une valeur de 8 euros ont été émises. M. et Mme B... ont souscrit à cette augmentation de capital, à concurrence respectivement de 2 946 et de 2 049 actions. Le 18 octobre 2012, par un acte de donation partage en pleine propriété, 7 895 actions ont été cédées aux enfants des requérants pour une valeur totale de 15 010 000 euros. Le 11 octobre 2013, après avoir procédé à la division par dix de la valeur nominale des actions restantes et en procédant à l'échange d'une action d'une valeur nominale de 8 euros pour 10 actions d'une valeur nominale de 80 centimes, M. et Mme B... ont cédé les 20 890 actions leur restant à la SAS Raphamel pour un montant de 4 282 450 euros. Ils ont déclaré une plus-value d'un montant de 4 230 221 euros et ont pratiqué l'abattement de 65 % réservé aux actions détenues depuis au moins huit ans par les dispositions du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts.

2. A la suite d'un contrôle sur pièces de leur dossier, les services fiscaux ont recalculé le montant de la plus-value après abattement et ont adressé aux époux B... le 5 septembre 2016 une proposition de rectification dans laquelle l'abattement a été calculé sur une durée de détention comprise entre deux et huit ans et dans laquelle le prix de revient des actions a été réévalué. Les contribuables ont saisi le Tribunal administratif de Paris en vue d'obtenir la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis à la suite de ce contrôle au titre de l'année 2013 ainsi que des majorations et des intérêts de retard correspondants. Ils relèvent appel du jugement ayant rejeté cette demande.

Sur l'application de la loi fiscale :

3. Aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts dans sa version alors applicable : " I.-1. (...), les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement (...) de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 150-0 D du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, rendue applicable aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013 par l'effet du III de l'article 17 de la même loi de finances : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition (...). /Les gains nets résultant de la cession à titre onéreux (...) sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. (...)1 ter. L'abattement mentionné au 1 est égal à : /a) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ; /b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution. (...)1 quinquies. Pour l'application de l'abattement mentionné au 1, la durée de détention est décomptée à partir de la date de souscription ou d'acquisition des actions, parts, droits ou titres. (...) En cas de cessions antérieures de titres ou droits de la société concernée pour lesquels le gain net a été déterminé en retenant un prix d'acquisition calculé suivant la règle de la valeur moyenne pondérée d'acquisition prévue au premier alinéa du 3, le nombre de titres ou droits cédés antérieurement est réputé avoir été prélevé en priorité sur les titres ou droits acquis ou souscrits aux dates les plus anciennes. (...) 3. En cas de cession d'un ou plusieurs titres appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents, le prix d'acquisition à retenir est la valeur moyenne pondérée d'acquisition de ces titres. (...) ".


En ce qui concerne le point de départ de la durée de détention :

4. Il résulte de l'instruction que l'augmentation de capital de la société Perlandis, le 12 mai 2009, a été faite par apport en numéraire de la part des associés et non par incorporation des réserves. Ainsi quand bien même cette augmentation de capital a été faite pour un montant peu important et sans prime d'émission et quand bien même la répartition du capital n'a pas été modifiée, la date de souscription des actions nouvelles émises à cette occasion peut être prise en compte pour l'application des dispositions précitées du 1 quinquies de l'article 150-0 D du code général des impôts.

En ce qui concerne le caractère fongible des titres cédés :

5. Il résulte de l'instruction que la société Perlantis comprenait avant la donation-partage intervenue le 18 octobre 2012, 10 000 actions dont la moitié était issue de la constitution de la société et l'autre moitié était issue de l'augmentation de capital réalisée le 12 mai 2009. Ces actions n'ont été identifiées ni à la date de création de la société, ni lors de l'augmentation du capital de la société. La numérotation des actions réalisés le 30 août 2012 n'a pas eu pour effet de les identifier dès lors que ces titres n'ont pas été différenciés lors de cette opération. Si l'acte de donation-partage et l'acte de cession du 11 octobre 2013 rappelant l'origine de la propriété des titres cédés précisaient que ces titres avaient été acquis en 1985 et 1986 et au cours de la vie sociale, ces mentions n'ont eu pour effet ni d'identifier les titres ni de les rendre identifiables. Ainsi c'est à bon droit que l'administration fiscale a considéré que les titres cédés le 11 octobre 2013 étaient non identifiables et par conséquent fongibles.

En ce qui concerne l'application de la méthode dite du " premier entré / premier sorti " :

6. Les requérants font valoir qu'en l'absence d'identification des titres et afin de définir la date de souscription des titres cédés, l'administration ne pouvait appliquer la méthode du " premier entré / premier sorti ".

7. Il résulte des dispositions précitées de l'article 150-0 D du code général des impôts que, quand existent des cessions antérieures à titre onéreux, le législateur a choisi la méthode du " premier entré / premier sorti " pour permettre la détermination du point de départ de la durée de détention des titres cédés, qui est nécessaire pour que les contribuables puissent invoquer l'abattement auxquels ils ont droit. A défaut d'adoption par le législateur d'une disposition explicite permettant de déterminer ce point de départ quand des cessions à titre onéreux succèdent à des cessions à titre gratuit, il y a également lieu de faire application de cette méthode dans cette hypothèse afin d'assurer une application cohérente de la loi fiscale.

8. Ainsi l'administration a pu légalement appliquer la méthode du " premier entré / premier sorti " et estimer, en application de celle-ci, que, par l'acte de donation-partage, les titres les plus anciens avaient été prélevés en priorité et qu'à l'issue de cette opération ne restaient que des titres issus de l'opération d'augmentation de capital réalisée le 12 mai 2009. Ainsi à la date des cessions dont les gains nets ont été imposés en l'espèce, les requérants détenaient les titres cédés depuis au moins deux ans et moins de huit ans cette durée de détention ouvrait donc droit à un abattement de 50 % en application du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, et non de 65 %.

Sur la garantie contre les changements de doctrine :

9. En premier lieu, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir des commentaires figurant dans l'instruction référencée BOI-RFPI-SPI-20 en son paragraphe 40, dans l'instruction référencée BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-40, et notamment son point 10, ou dans l'instruction référencée BOI-BIC-AMT-20-20-30, lesquels ne donnent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il a été fait application à des cessions de titres non identifiables.

10. En second lieu, à supposer que les requérants aient entendu se prévaloir, en application des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la réponse ministérielle n° 80.034 du 17 juin 2008, ils ne peuvent toutefois pas utilement le faire, dès lors que la réponse ministérielle à M. D..., député, publiée au journal officiel du 17 juin 2008, porte sur les réductions d'impôt sur le revenu et d'impôt de solidarité sur la fortune consécutives aux investissements fait par les personnes physiques au capital de petites ou moyennes entreprises communautaires opérationnelles et non cotées ou cotées sur un marché non réglementé et non sur les gains retirés des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., à Mme C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- Mme Jurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2022.
La rapporteure,
E. A...Le président,
C. JARDIN

La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA0426





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