CAA de LYON
N° 22LY01430
6ème chambre
M. POURNY, président
M. Bernard GROS, rapporteur
Mme COTTIER, rapporteur public
ASC AVOCATS & ASSOCIES, avocats
Lecture du vendredi 10 novembre 2023
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... ... et Mme G... C... ... ont demandé au tribunal administratif de Lyon :
1°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 595 766 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation de préjudices matériels et la somme totale de 80 000 euros en réparation de préjudices immatériels, résultant de l'affaissement du terrain d'assiette de leur maison d'habitation ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros ainsi que les entiers dépens de l'instance, en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2002114 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés, respectivement, les 12 mai 2022, 6 septembre 2022 et 7 février 2023, M. A... I... F... E... et Mme H... D..., représentés par la SELARL ASC Avocats et associés, agissant par Me Sounega, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 24 mars 2022 en ce qu'il rejette leur demande indemnitaire ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser, en réparation de leur préjudice matériel, la somme de 595 766 euros toutes taxes comprises (TTC), dans l'hypothèse d'une démolition/construction nouvelle, ou la somme de 621 997,77 euros, dans l'hypothèse de travaux de reprise, et à verser à chacun d'eux la somme de 50 000 euros en réparation de leurs préjudices immatériels, outre intérêts légaux et capitalisation de ces intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner un complément d'expertise aux fins de déterminer le coût des dommages matériels subis par leur propriété ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 30 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance comprenant les frais d'expertise.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a commis une erreur de droit car leur demande d'indemnisation, fondée sur l'article L. 155-3 du code minier, ne nécessite pas la démonstration d'un sinistre minier au sens de l'article L. 155-5 de ce code, l'article L. 155-6 du même code ne subordonne pas la remise en état de l'habitation à la démonstration de son caractère inhabitable et le rejet de leur demande indemnitaire va à l'encontre du droit positif en matière de réparation de dommages miniers ;
- les désordres évolutifs affectant leur maison d'habitation, provenant d'un affaissement de son terrain d'assiette imputable à l'activité minière, et l'exposition de cette construction à un risque d'effondrement la rendent impropre à sa destination ;
- ces désordres n'étant pas réparables, la réparation intégrale de leur préjudice matériel s'établit, en cas de construction d'une villa sur un autre terrain, à 595 766 euros TTC, dont 150 000 euros pour l'achat d'un terrain constructible similaire au leur, et, en cas de travaux de reprise sur leur bien, à 621 997,77 euros ;
- ils ont subi un préjudice moral qui doit être évalué pour chacun d'eux à 20 000 euros ;
- ils ont subi un préjudice de jouissance qui doit être évalué pour chacun d'eux à 30 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à l'annulation du jugement du 24 mars 2022, en ce qu'il retient le principe de la responsabilité sans faute de l'Etat, et au rejet de la requête d'appel de M. F... E... et Mme D....
Le ministre fait valoir que :
- la demande tendant au versement d'une indemnité de 621 997,77 euros, montant en outre supérieur à celui demandé en première instance, est nouvelle et irrecevable en appel ;
- le jugement est entaché d'irrégularité en raison de l'incompétence du juge administratif ;
- les requérants ne démontrent pas que la déstabilisation des sols en surface, qu'ils allèguent être à l'origine des désordres affectant leur habitation, proviendrait d'une ancienne exploitation minière, alors que la mauvaise évacuation des eaux pluviales sur leur propriété constitue en revanche un élément de nature à conduire à une telle déstabilisation ; la responsabilité sans faute de l'Etat n'est, par suite, pas engagée ;
- les requérants ne démontrant pas davantage l'existence d'un sinistre minier, ils ne peuvent pas se prévaloir des dispositions des articles L. 155-3 et L. 155-6 du code minier ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis.
Par ordonnance du 4 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été en dernier lieu fixée au 10 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code minier ;
- le décret n° 2007-1806 du 21 décembre 2007 portant dissolution et mise en liquidation de Charbonnages de France et modifiant le décret n° 2004-1466 du 23 décembre 2004 relatif à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs ;
- l'arrêté du 30 novembre 2018 portant approbation du compte de clôture de liquidation de Charbonnages de France et transfert à l'Etat de ses derniers actifs et passifs ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 octobre 2023 :
- le rapport de M. Gros, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Barbero, substituant Me Sounega, pour M. F... E... et Mme D....
Une note en délibéré, enregistrée le 19 octobre 2023, a été présentée pour Mme D... et M. F... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. F... E... et Mme D... ont acquis, le 7 août 2009, une maison d'habitation implantée sur un terrain d'une superficie de 634 m² situé ... sur le territoire de la commune de ..., terrain désormais couvert par un plan de prévention des risques miniers. Par courrier daté du 1er octobre 2019 adressé à la préfecture de la Loire, ils ont, sur le fondement de l'article L. 155-3 du code minier, sollicité le versement d'une indemnité d'un montant total de 615 736 euros en réparation des préjudices liés aux désordres affectant leur bien et qu'ils imputent à une ancienne activité minière conduite sur le site. Leur demande ayant été implicitement rejetée, ils ont saisi le tribunal administratif de Lyon d'une requête aux mêmes fins, en portant le montant total de l'indemnité à 675 766 euros. Par un jugement n° 2002114 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon, tout en reconnaissant la responsabilité sans faute de l'Etat, a rejeté la requête de M. F... E... et de Mme D.... Ces derniers relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 155-3 du code minier, applicable en l'espèce : " L'explorateur ou l'exploitant ou, à défaut, le titulaire du titre minier est responsable des dommages causés par son activité. Il peut s'exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d'une cause étrangère / Sa responsabilité n'est limitée ni au périmètre du titre minier ni à sa durée de validité / En cas de disparition ou de défaillance du responsable, l'Etat est garant de la réparation des dommages causés par son activité minière. Il est subrogé dans les droits de la victime à l'encontre du responsable ".
3. Les actions qui tendent à mettre en oeuvre la responsabilité civile de l'explorateur ou de l'exploitant ou, à défaut, du titulaire du titre minier, sur le fondement des dispositions rappelées ci-dessus du premier alinéa de l'article L. 155-3 du code minier, pour les dommages causés par l'activité minière qui a, par nature, un caractère industriel, relèvent en principe de la compétence du juge judiciaire, que cette action trouve sa cause directement dans les conséquences de cette activité ou dans un contrat de mutation foncière intervenu entre l'auteur du dommage et la victime. En revanche, si l'action procède du refus par l'Etat d'assurer la garantie prévue par le dernier alinéa du même article, en cas de disparition ou de défaillance du responsable, un tel litige repose sur un régime spécifique de solidarité et relève ainsi de la juridiction administrative.
4. L'établissement public industriel et commercial Charbonnages de France, dernier exploitant de l'activité minière en cause, a disparu par suite de sa dissolution prononcée par décret n° 2007-1806 du 21 décembre 2007, qui confie à l'Etat, au 1er janvier 2008, les biens, droits et obligations de cet établissement non concernés par les opérations de liquidation. Le compte de clôture de liquidation de Charbonnages de France a été approuvé par arrêté interministériel du 30 novembre 2018. Il en résulte que le présent litige, qui porte sur une contestation d'un refus de l'Etat de garantir les requérants de dommages qui auraient été causés à leur habitation par une activité minière conduite par Charbonnages de France, établissement qui a disparu, relève de la juridiction administrative et n'a ainsi pas été porté devant une juridiction incompétente pour en connaître.
5. En second lieu, le moyen soulevé par les requérants, selon lequel le tribunal aurait entaché son jugement d'une erreur de droit en subordonnant leur indemnisation à l'existence d'un sinistre minier et en allant à l'encontre du " droit positif ", relève du bien-fondé du jugement et se trouve dépourvu d'incidence sur sa régularité.
Sur la recevabilité des conclusions tendant au versement d'une indemnité de 621 997,77 euros :
6. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. Il en va ainsi quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. Si, une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur. Il n'est fait exception à ces règles que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. Dans ce cas, qu'il s'agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l'administration d'une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus. Dans ce même cas, la victime peut également, si le juge administratif est déjà saisi par elle du litige indemnitaire né du refus opposé à sa réclamation, ne pas saisir l'administration d'une nouvelle réclamation et invoquer directement l'existence de ces nouveaux éléments devant le juge administratif saisi du litige en premier ressort afin que, sous réserve le cas échéant des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle, il y statue par la même décision. La victime peut faire de même devant le juge d'appel, dans la limite toutefois du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant de l'indemnité demandée au titre des dommages qui sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement de première instance.
7. Il résulte de l'instruction que dans leur courrier du 1er octobre 2019 adressé à la préfecture de la Loire, M. F... E... et Mme D... ont réclamé le versement d'une indemnité totale de 615 736 euros, en se référant à un rapport d'expertise qui chiffrait un préjudice matériel de 595 736 euros, correspondant au coût de démolition de l'habitation existante et de construction, sur un nouveau terrain, d'une habitation similaire à la leur, et un préjudice moral de 20 000 euros. Ils n'ont pas, dans cette demande préalable et dans leurs écritures de première instance, sollicité l'indemnisation, à hauteur de 621 997,77 euros, du préjudice alternatif, résultant du même fait générateur, correspondant au coût de travaux de reprise sur l'habitation existante. Toutefois ce préjudice n'était pas alors connu dans sa totalité par M. F... E... et Mme D..., lesquels ont depuis constaté une aggravation des dommages affectant leur habitation, en particulier l'apparition de nouvelles fissures aux murs et l'élargissement de celles alors existantes. Les conclusions tendant à la réparation de ce chef de préjudice, actualisé devant le juge d'appel à la somme de 621 997,77 euros, sont dès lors recevables.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'origine des désordres et la responsabilité de l'Etat :
8. Il ressort de l'expertise datée du 25 juillet 2019, qui avait été diligentée par le tribunal de grande instance de Saint-Etienne, réalisée par un ingénieur géologue, que les désordres en cause, qui se manifestent par des fissures, internes et externes, affectant la maison d'habitation, essentiellement en sa partie nord, ainsi que le garage des requérants, et par des affaissements du plancher de pièces de l'habitation, résultent de l'implantation de ces immeubles sur une ancienne zone d'exploitation minière, où des forages ont révélé plusieurs vides, des " ouvertures franches " ou fracturations/décompressions de la roche, à 10 mètres et 14 mètres de profondeur, outre des filets charbonneux. Ces cavités ont conduit à l'altération du toit schisto-gréseux situé à une profondeur de 80 centimètres, que recouvrent des argiles sableuses où sont ancrées les fondations de la maison, générant ainsi un phénomène d'effondrement en surface, appelé fontis, et des tassements différentiels des immeubles. Par ailleurs, la propriété des requérants se trouve en zone rouge R3 du plan de prévention des risques miniers approuvé le 29 mars 2019, qui correspond à un aléa effondrement localisé de niveau faible à moyen, en raison de la proximité d'un puits d'extraction et de la présence, un peu plus loin, d'une fendue ainsi que de travaux situés à moins de 30 mètres de profondeur, et correspond à un aléa tassement de niveau faible en raison de travaux à moins de 50 mètres de profondeur. Les avis Geoderis des 1er décembre 2016, 6 février 2019 et 18 juin 2019 dont se prévaut le ministre en défense, qui émettaient l'hypothèse d'une atteinte aux fondations de l'habitation générée par un lessivage des fines, occasionné par des infiltrations d'eaux pluviales mal collectées et évacuées par le dispositif prévu à cet effet, modifié en 2011, avant d'émettre l'hypothèse d'un lien entre décompression rocheuse et lithologie, ne sont pas de nature en remettre en cause les conclusions de l'ingénieur géologue qui, s'il reconnaît l'insuffisance des fondations, a nettement exclu, compte tenu des caractéristiques de la couche argileuse, une origine superficielle des désordres affectant la propriété de M. F... E... et de Mme D.... De tels désordres doivent ainsi être regardés comme directement liés à l'exploitation minière menée, dans la zone d'implantation du bien des appelants, par l'établissement Charbonnages de France dissous au 1er janvier 2008.
9. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 155-3 du code minier, rappelées au point 2 du présent arrêt.
10. Aux termes de l'article L. 155-6 du code minier : " L'indemnisation des dommages immobiliers liés à l'activité minière présente ou passée consiste en la remise en l'état de l'immeuble sinistré. Lorsque l'ampleur des dégâts subis par l'immeuble rend impossible la réparation de ces désordres dans des conditions normales, l'indemnisation doit permettre au propriétaire de l'immeuble sinistré de recouvrer dans les meilleurs délais la propriété d'un immeuble de consistance et de confort équivalents ".
11. Il résulte de ces dispositions que l'indemnisation des dommages immobiliers liés à l'activité minière ne concerne pas les seuls sinistres miniers, constatés par le représentant de l'Etat et définis à l'article L. 155-5 du code minier, dont les dispositions ne s'appliquent que lorsqu'une clause exonérant l'exploitant de sa responsabilité avait été valablement insérée dans un contrat de mutation immobilière. Les requérants sont par suite fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon leur a opposé le fait que le dommage qu'ils ont subi ne présentait pas le caractère d'un "sinistre minier" au sens de l'article L. 155-5 du code minier.
En ce qui concerne les préjudices :
12. Les requérants réclament le versement d'une indemnité de 595 766 euros destinée à couvrir le coût de démolition de leur actuelle maison d'habitation, qu'ils estiment inhabitable en raison des désordres qui l'affectent, et le coût d'édification d'une habitation équivalente et de ses annexes sur un autre terrain qu'ils devront acquérir. Le ministre en défense ne discute pas sérieusement les estimations des différents postes de dépenses composant cette somme totale de 595 766 euros, en particulier le coût estimatif de 250 000 euros pour la maison et le garage et le coût estimatif de 150 000 euros pour un terrain de même contenance, qui figurent dans le rapport d'expertise du 25 juillet 2019, et n'apparaissent pas excessifs. Les requérants réclament alternativement le versement d'une indemnité de 621 997,77 euros couvrant les coûts générés par une reprise en sous-oeuvre de leur habitation.
13. Il résulte de l'instruction que la construction d'une nouvelle maison, sur un autre terrain, doit être privilégiée. En effet, l'expert ingénieur géologue a exclu, dans son rapport du 25 juillet 2019 une solution de reprise en sous-oeuvre de l'habitation existante, en raison du caractère évolutif des formations rocheuses sous-jacentes et préconisé une reconstruction " sur radier général posé sur une couche de substitution ". Mais, comme le souligne ce même expert, le plan de prévention des risques miniers de la vallée du Gier, approuvé le 29 mars 2019, prohibe, dans la zone rouge R3 concernée, la reconstruction d'habitations affectées par un sinistre minier au sens de ce plan.
14. Toutefois cet expert n'a pas déclaré la maison d'habitation existante impropre à sa destination. De même, si un expert géotechnicien, requis par les requérants, constate, le 29 avril 2022, l'apparition de nouvelles fissures, traversantes, et une fermeture difficile d'ouvrants, une porte-fenêtre en partie nord et la porte d'entrée, privant, selon les requérants, la construction d'une étanchéité à l'air et à l'eau et créant un risque d'effraction, il ne s'en déduit pas que cette construction serait devenue inhabitable et qu'elle serait exposée à un risque caractérisé d'effondrement. L'élargissement de certaines fissures et la présence, près du pignon nord de la maison, d'un trou de dimensions 11 centimètres x 16 centimètres, profond de 55 centimètres, constatés par un huissier de justice le 18 novembre 2022, ne le démontrent pas davantage.
15. Il résulte de ce qui précède que, pour déterminer l'indemnité due à M. F... E... et à Mme D... afin qu'ils recouvrent la propriété d'une habitation de consistance et de confort équivalente à celle qu'ils détiennent, doit être déduit de la somme de 595 766 euros, mentionnée au point 12, le coût, qu'ils estiment à 38 000 euros, de démolition des constructions existantes, non menacées d'effondrement. Ensuite, de cette indemnité doit être déduite la valeur actuelle, tenant compte des désordres qui l'affectent, de leur bien acquis au prix de 152 000 euros en 2009, et qui désormais atteindrait un montant de l'ordre de 100 000 euros. L'indemnité à verser à M. F... E... et à Mme D... au titre de leur préjudice matériel s'élève ainsi à la somme totale de 457 766 euros.
16. En outre, il résulte de l'instruction que les désordres qui affectent leur maison d'habitation est générateur, pour les requérants, d'un préjudice moral et de jouissance. Il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due à ce titre en la fixant à la somme de 6 000 euros.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
17. M. F... E... et Mme D... ont droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 463 766 euros que l'Etat est condamné à leur verser en application des points 15 et 16 du présent arrêt, à compter du 9 octobre 2019, date à laquelle la préfecture de Loire a, au plus tôt, reçu leur demande indemnitaire préalable. La capitalisation ayant été demandée pour la première fois le 12 mai 2022, et les intérêts étant dus depuis au moins un an, une année entière d'intérêts est due à compter de cette date et à chaque échéance annuelle.
18. Il résulte de tout ce qui précède, sans besoin de prescrire le complément d'expertise sollicité à titre subsidiaire par les requérants, que M. F... E... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande et ils sont fondés à demander la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité en réparation de leurs préjudices dans les conditions fixées aux points 10 à 16 du présent arrêt.
Sur les dépens :
19. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties / L'Etat peut être condamné aux dépens ".
20. Les frais de l'expertise judiciaire, s'élevant à 10 898,40 euros, qui a été diligentée à la suite de la saisine par les requérants du tribunal de grande instance de Saint-Etienne, pour utile à la solution du présent litige que cette expertise se soit avérée, ne relèvent pas des dépens de l'instance devant le juge administratif, au sens des dispositions précitées. Dès lors, les conclusions des requérants tendant à la mise à la charge de l'Etat de tels frais doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. F... E... et Mme D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 2002114 du 24 mars 2022 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à M. F... E... et Mme D... la somme de 463 766 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2019, capitalisés à compter du 12 mai 2022 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. F... E... et Mme D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. A... B... F... E... et Mme H... D....
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
M. Gros, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2023.
Le rapporteur,
B. Gros
Le président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N°
N° 22LY01430
6ème chambre
M. POURNY, président
M. Bernard GROS, rapporteur
Mme COTTIER, rapporteur public
ASC AVOCATS & ASSOCIES, avocats
Lecture du vendredi 10 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... ... et Mme G... C... ... ont demandé au tribunal administratif de Lyon :
1°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 595 766 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation de préjudices matériels et la somme totale de 80 000 euros en réparation de préjudices immatériels, résultant de l'affaissement du terrain d'assiette de leur maison d'habitation ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros ainsi que les entiers dépens de l'instance, en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2002114 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés, respectivement, les 12 mai 2022, 6 septembre 2022 et 7 février 2023, M. A... I... F... E... et Mme H... D..., représentés par la SELARL ASC Avocats et associés, agissant par Me Sounega, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 24 mars 2022 en ce qu'il rejette leur demande indemnitaire ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser, en réparation de leur préjudice matériel, la somme de 595 766 euros toutes taxes comprises (TTC), dans l'hypothèse d'une démolition/construction nouvelle, ou la somme de 621 997,77 euros, dans l'hypothèse de travaux de reprise, et à verser à chacun d'eux la somme de 50 000 euros en réparation de leurs préjudices immatériels, outre intérêts légaux et capitalisation de ces intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner un complément d'expertise aux fins de déterminer le coût des dommages matériels subis par leur propriété ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 30 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance comprenant les frais d'expertise.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a commis une erreur de droit car leur demande d'indemnisation, fondée sur l'article L. 155-3 du code minier, ne nécessite pas la démonstration d'un sinistre minier au sens de l'article L. 155-5 de ce code, l'article L. 155-6 du même code ne subordonne pas la remise en état de l'habitation à la démonstration de son caractère inhabitable et le rejet de leur demande indemnitaire va à l'encontre du droit positif en matière de réparation de dommages miniers ;
- les désordres évolutifs affectant leur maison d'habitation, provenant d'un affaissement de son terrain d'assiette imputable à l'activité minière, et l'exposition de cette construction à un risque d'effondrement la rendent impropre à sa destination ;
- ces désordres n'étant pas réparables, la réparation intégrale de leur préjudice matériel s'établit, en cas de construction d'une villa sur un autre terrain, à 595 766 euros TTC, dont 150 000 euros pour l'achat d'un terrain constructible similaire au leur, et, en cas de travaux de reprise sur leur bien, à 621 997,77 euros ;
- ils ont subi un préjudice moral qui doit être évalué pour chacun d'eux à 20 000 euros ;
- ils ont subi un préjudice de jouissance qui doit être évalué pour chacun d'eux à 30 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à l'annulation du jugement du 24 mars 2022, en ce qu'il retient le principe de la responsabilité sans faute de l'Etat, et au rejet de la requête d'appel de M. F... E... et Mme D....
Le ministre fait valoir que :
- la demande tendant au versement d'une indemnité de 621 997,77 euros, montant en outre supérieur à celui demandé en première instance, est nouvelle et irrecevable en appel ;
- le jugement est entaché d'irrégularité en raison de l'incompétence du juge administratif ;
- les requérants ne démontrent pas que la déstabilisation des sols en surface, qu'ils allèguent être à l'origine des désordres affectant leur habitation, proviendrait d'une ancienne exploitation minière, alors que la mauvaise évacuation des eaux pluviales sur leur propriété constitue en revanche un élément de nature à conduire à une telle déstabilisation ; la responsabilité sans faute de l'Etat n'est, par suite, pas engagée ;
- les requérants ne démontrant pas davantage l'existence d'un sinistre minier, ils ne peuvent pas se prévaloir des dispositions des articles L. 155-3 et L. 155-6 du code minier ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis.
Par ordonnance du 4 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été en dernier lieu fixée au 10 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code minier ;
- le décret n° 2007-1806 du 21 décembre 2007 portant dissolution et mise en liquidation de Charbonnages de France et modifiant le décret n° 2004-1466 du 23 décembre 2004 relatif à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs ;
- l'arrêté du 30 novembre 2018 portant approbation du compte de clôture de liquidation de Charbonnages de France et transfert à l'Etat de ses derniers actifs et passifs ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 octobre 2023 :
- le rapport de M. Gros, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Barbero, substituant Me Sounega, pour M. F... E... et Mme D....
Une note en délibéré, enregistrée le 19 octobre 2023, a été présentée pour Mme D... et M. F... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. F... E... et Mme D... ont acquis, le 7 août 2009, une maison d'habitation implantée sur un terrain d'une superficie de 634 m² situé ... sur le territoire de la commune de ..., terrain désormais couvert par un plan de prévention des risques miniers. Par courrier daté du 1er octobre 2019 adressé à la préfecture de la Loire, ils ont, sur le fondement de l'article L. 155-3 du code minier, sollicité le versement d'une indemnité d'un montant total de 615 736 euros en réparation des préjudices liés aux désordres affectant leur bien et qu'ils imputent à une ancienne activité minière conduite sur le site. Leur demande ayant été implicitement rejetée, ils ont saisi le tribunal administratif de Lyon d'une requête aux mêmes fins, en portant le montant total de l'indemnité à 675 766 euros. Par un jugement n° 2002114 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon, tout en reconnaissant la responsabilité sans faute de l'Etat, a rejeté la requête de M. F... E... et de Mme D.... Ces derniers relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 155-3 du code minier, applicable en l'espèce : " L'explorateur ou l'exploitant ou, à défaut, le titulaire du titre minier est responsable des dommages causés par son activité. Il peut s'exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d'une cause étrangère / Sa responsabilité n'est limitée ni au périmètre du titre minier ni à sa durée de validité / En cas de disparition ou de défaillance du responsable, l'Etat est garant de la réparation des dommages causés par son activité minière. Il est subrogé dans les droits de la victime à l'encontre du responsable ".
3. Les actions qui tendent à mettre en oeuvre la responsabilité civile de l'explorateur ou de l'exploitant ou, à défaut, du titulaire du titre minier, sur le fondement des dispositions rappelées ci-dessus du premier alinéa de l'article L. 155-3 du code minier, pour les dommages causés par l'activité minière qui a, par nature, un caractère industriel, relèvent en principe de la compétence du juge judiciaire, que cette action trouve sa cause directement dans les conséquences de cette activité ou dans un contrat de mutation foncière intervenu entre l'auteur du dommage et la victime. En revanche, si l'action procède du refus par l'Etat d'assurer la garantie prévue par le dernier alinéa du même article, en cas de disparition ou de défaillance du responsable, un tel litige repose sur un régime spécifique de solidarité et relève ainsi de la juridiction administrative.
4. L'établissement public industriel et commercial Charbonnages de France, dernier exploitant de l'activité minière en cause, a disparu par suite de sa dissolution prononcée par décret n° 2007-1806 du 21 décembre 2007, qui confie à l'Etat, au 1er janvier 2008, les biens, droits et obligations de cet établissement non concernés par les opérations de liquidation. Le compte de clôture de liquidation de Charbonnages de France a été approuvé par arrêté interministériel du 30 novembre 2018. Il en résulte que le présent litige, qui porte sur une contestation d'un refus de l'Etat de garantir les requérants de dommages qui auraient été causés à leur habitation par une activité minière conduite par Charbonnages de France, établissement qui a disparu, relève de la juridiction administrative et n'a ainsi pas été porté devant une juridiction incompétente pour en connaître.
5. En second lieu, le moyen soulevé par les requérants, selon lequel le tribunal aurait entaché son jugement d'une erreur de droit en subordonnant leur indemnisation à l'existence d'un sinistre minier et en allant à l'encontre du " droit positif ", relève du bien-fondé du jugement et se trouve dépourvu d'incidence sur sa régularité.
Sur la recevabilité des conclusions tendant au versement d'une indemnité de 621 997,77 euros :
6. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. Il en va ainsi quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. Si, une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur. Il n'est fait exception à ces règles que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. Dans ce cas, qu'il s'agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l'administration d'une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus. Dans ce même cas, la victime peut également, si le juge administratif est déjà saisi par elle du litige indemnitaire né du refus opposé à sa réclamation, ne pas saisir l'administration d'une nouvelle réclamation et invoquer directement l'existence de ces nouveaux éléments devant le juge administratif saisi du litige en premier ressort afin que, sous réserve le cas échéant des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle, il y statue par la même décision. La victime peut faire de même devant le juge d'appel, dans la limite toutefois du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant de l'indemnité demandée au titre des dommages qui sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement de première instance.
7. Il résulte de l'instruction que dans leur courrier du 1er octobre 2019 adressé à la préfecture de la Loire, M. F... E... et Mme D... ont réclamé le versement d'une indemnité totale de 615 736 euros, en se référant à un rapport d'expertise qui chiffrait un préjudice matériel de 595 736 euros, correspondant au coût de démolition de l'habitation existante et de construction, sur un nouveau terrain, d'une habitation similaire à la leur, et un préjudice moral de 20 000 euros. Ils n'ont pas, dans cette demande préalable et dans leurs écritures de première instance, sollicité l'indemnisation, à hauteur de 621 997,77 euros, du préjudice alternatif, résultant du même fait générateur, correspondant au coût de travaux de reprise sur l'habitation existante. Toutefois ce préjudice n'était pas alors connu dans sa totalité par M. F... E... et Mme D..., lesquels ont depuis constaté une aggravation des dommages affectant leur habitation, en particulier l'apparition de nouvelles fissures aux murs et l'élargissement de celles alors existantes. Les conclusions tendant à la réparation de ce chef de préjudice, actualisé devant le juge d'appel à la somme de 621 997,77 euros, sont dès lors recevables.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'origine des désordres et la responsabilité de l'Etat :
8. Il ressort de l'expertise datée du 25 juillet 2019, qui avait été diligentée par le tribunal de grande instance de Saint-Etienne, réalisée par un ingénieur géologue, que les désordres en cause, qui se manifestent par des fissures, internes et externes, affectant la maison d'habitation, essentiellement en sa partie nord, ainsi que le garage des requérants, et par des affaissements du plancher de pièces de l'habitation, résultent de l'implantation de ces immeubles sur une ancienne zone d'exploitation minière, où des forages ont révélé plusieurs vides, des " ouvertures franches " ou fracturations/décompressions de la roche, à 10 mètres et 14 mètres de profondeur, outre des filets charbonneux. Ces cavités ont conduit à l'altération du toit schisto-gréseux situé à une profondeur de 80 centimètres, que recouvrent des argiles sableuses où sont ancrées les fondations de la maison, générant ainsi un phénomène d'effondrement en surface, appelé fontis, et des tassements différentiels des immeubles. Par ailleurs, la propriété des requérants se trouve en zone rouge R3 du plan de prévention des risques miniers approuvé le 29 mars 2019, qui correspond à un aléa effondrement localisé de niveau faible à moyen, en raison de la proximité d'un puits d'extraction et de la présence, un peu plus loin, d'une fendue ainsi que de travaux situés à moins de 30 mètres de profondeur, et correspond à un aléa tassement de niveau faible en raison de travaux à moins de 50 mètres de profondeur. Les avis Geoderis des 1er décembre 2016, 6 février 2019 et 18 juin 2019 dont se prévaut le ministre en défense, qui émettaient l'hypothèse d'une atteinte aux fondations de l'habitation générée par un lessivage des fines, occasionné par des infiltrations d'eaux pluviales mal collectées et évacuées par le dispositif prévu à cet effet, modifié en 2011, avant d'émettre l'hypothèse d'un lien entre décompression rocheuse et lithologie, ne sont pas de nature en remettre en cause les conclusions de l'ingénieur géologue qui, s'il reconnaît l'insuffisance des fondations, a nettement exclu, compte tenu des caractéristiques de la couche argileuse, une origine superficielle des désordres affectant la propriété de M. F... E... et de Mme D.... De tels désordres doivent ainsi être regardés comme directement liés à l'exploitation minière menée, dans la zone d'implantation du bien des appelants, par l'établissement Charbonnages de France dissous au 1er janvier 2008.
9. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 155-3 du code minier, rappelées au point 2 du présent arrêt.
10. Aux termes de l'article L. 155-6 du code minier : " L'indemnisation des dommages immobiliers liés à l'activité minière présente ou passée consiste en la remise en l'état de l'immeuble sinistré. Lorsque l'ampleur des dégâts subis par l'immeuble rend impossible la réparation de ces désordres dans des conditions normales, l'indemnisation doit permettre au propriétaire de l'immeuble sinistré de recouvrer dans les meilleurs délais la propriété d'un immeuble de consistance et de confort équivalents ".
11. Il résulte de ces dispositions que l'indemnisation des dommages immobiliers liés à l'activité minière ne concerne pas les seuls sinistres miniers, constatés par le représentant de l'Etat et définis à l'article L. 155-5 du code minier, dont les dispositions ne s'appliquent que lorsqu'une clause exonérant l'exploitant de sa responsabilité avait été valablement insérée dans un contrat de mutation immobilière. Les requérants sont par suite fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon leur a opposé le fait que le dommage qu'ils ont subi ne présentait pas le caractère d'un "sinistre minier" au sens de l'article L. 155-5 du code minier.
En ce qui concerne les préjudices :
12. Les requérants réclament le versement d'une indemnité de 595 766 euros destinée à couvrir le coût de démolition de leur actuelle maison d'habitation, qu'ils estiment inhabitable en raison des désordres qui l'affectent, et le coût d'édification d'une habitation équivalente et de ses annexes sur un autre terrain qu'ils devront acquérir. Le ministre en défense ne discute pas sérieusement les estimations des différents postes de dépenses composant cette somme totale de 595 766 euros, en particulier le coût estimatif de 250 000 euros pour la maison et le garage et le coût estimatif de 150 000 euros pour un terrain de même contenance, qui figurent dans le rapport d'expertise du 25 juillet 2019, et n'apparaissent pas excessifs. Les requérants réclament alternativement le versement d'une indemnité de 621 997,77 euros couvrant les coûts générés par une reprise en sous-oeuvre de leur habitation.
13. Il résulte de l'instruction que la construction d'une nouvelle maison, sur un autre terrain, doit être privilégiée. En effet, l'expert ingénieur géologue a exclu, dans son rapport du 25 juillet 2019 une solution de reprise en sous-oeuvre de l'habitation existante, en raison du caractère évolutif des formations rocheuses sous-jacentes et préconisé une reconstruction " sur radier général posé sur une couche de substitution ". Mais, comme le souligne ce même expert, le plan de prévention des risques miniers de la vallée du Gier, approuvé le 29 mars 2019, prohibe, dans la zone rouge R3 concernée, la reconstruction d'habitations affectées par un sinistre minier au sens de ce plan.
14. Toutefois cet expert n'a pas déclaré la maison d'habitation existante impropre à sa destination. De même, si un expert géotechnicien, requis par les requérants, constate, le 29 avril 2022, l'apparition de nouvelles fissures, traversantes, et une fermeture difficile d'ouvrants, une porte-fenêtre en partie nord et la porte d'entrée, privant, selon les requérants, la construction d'une étanchéité à l'air et à l'eau et créant un risque d'effraction, il ne s'en déduit pas que cette construction serait devenue inhabitable et qu'elle serait exposée à un risque caractérisé d'effondrement. L'élargissement de certaines fissures et la présence, près du pignon nord de la maison, d'un trou de dimensions 11 centimètres x 16 centimètres, profond de 55 centimètres, constatés par un huissier de justice le 18 novembre 2022, ne le démontrent pas davantage.
15. Il résulte de ce qui précède que, pour déterminer l'indemnité due à M. F... E... et à Mme D... afin qu'ils recouvrent la propriété d'une habitation de consistance et de confort équivalente à celle qu'ils détiennent, doit être déduit de la somme de 595 766 euros, mentionnée au point 12, le coût, qu'ils estiment à 38 000 euros, de démolition des constructions existantes, non menacées d'effondrement. Ensuite, de cette indemnité doit être déduite la valeur actuelle, tenant compte des désordres qui l'affectent, de leur bien acquis au prix de 152 000 euros en 2009, et qui désormais atteindrait un montant de l'ordre de 100 000 euros. L'indemnité à verser à M. F... E... et à Mme D... au titre de leur préjudice matériel s'élève ainsi à la somme totale de 457 766 euros.
16. En outre, il résulte de l'instruction que les désordres qui affectent leur maison d'habitation est générateur, pour les requérants, d'un préjudice moral et de jouissance. Il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due à ce titre en la fixant à la somme de 6 000 euros.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
17. M. F... E... et Mme D... ont droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 463 766 euros que l'Etat est condamné à leur verser en application des points 15 et 16 du présent arrêt, à compter du 9 octobre 2019, date à laquelle la préfecture de Loire a, au plus tôt, reçu leur demande indemnitaire préalable. La capitalisation ayant été demandée pour la première fois le 12 mai 2022, et les intérêts étant dus depuis au moins un an, une année entière d'intérêts est due à compter de cette date et à chaque échéance annuelle.
18. Il résulte de tout ce qui précède, sans besoin de prescrire le complément d'expertise sollicité à titre subsidiaire par les requérants, que M. F... E... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande et ils sont fondés à demander la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité en réparation de leurs préjudices dans les conditions fixées aux points 10 à 16 du présent arrêt.
Sur les dépens :
19. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties / L'Etat peut être condamné aux dépens ".
20. Les frais de l'expertise judiciaire, s'élevant à 10 898,40 euros, qui a été diligentée à la suite de la saisine par les requérants du tribunal de grande instance de Saint-Etienne, pour utile à la solution du présent litige que cette expertise se soit avérée, ne relèvent pas des dépens de l'instance devant le juge administratif, au sens des dispositions précitées. Dès lors, les conclusions des requérants tendant à la mise à la charge de l'Etat de tels frais doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. F... E... et Mme D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 2002114 du 24 mars 2022 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à M. F... E... et Mme D... la somme de 463 766 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2019, capitalisés à compter du 12 mai 2022 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. F... E... et Mme D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. A... B... F... E... et Mme H... D....
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
M. Gros, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2023.
Le rapporteur,
B. Gros
Le président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N°