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Ariane Web: CAA de PARIS 22PA05283, lecture du 7 décembre 2023

Décision n° 22PA05283
7 décembre 2023
CAA de PARIS

N° 22PA05283

1ère chambre
M. DIEMERT, président
M. Jean-François GOBEILL, rapporteur
M. DORE, rapporteur public
SELARL JURIADIS, avocats


Lecture du jeudi 7 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision implicite de rejet née du silence observé par le maire de la commune de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) sur sa demande tendant à la saisine du tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la mise en conformité des constructions édifiées en méconnaissance du permis de construire sur un terrain sis 73, allée Jean-Baptiste Clément.

Par une ordonnance n° 2207815 du 26 octobre 2022, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 13 décembre 2022 et 9 juin 2023, M. B... A..., représenté par Me Maujeul, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2207815 du 26 octobre 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande ;

3°) d'enjoindre au maire de la commune de Livry-Gargan de saisir le tribunal judiciaire de Bobigny afin que ce dernier condamne la société civile immobilière Maeva Shana à mettre en conformité l'ouvrage avec le permis de construire dans un délai d'un mois à compter de l'intervention du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Livry-Gargan le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le premier juge ne pouvait se fonder sur un moyen relevé d'office tiré de ce que la commune n'était pas compétente pour répondre favorablement à sa demande, sans avoir au préalable informé les parties ;
- l'ordonnance est entachée d'une erreur de droit ;
- l'ordonnance ne comporte pas la signature du magistrat qui l'a rendue, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 742-5 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme ne fait pas obstacle à ce que la commune saisisse le juge judiciaire quand bien même elle ne serait plus titulaire de la compétence en matière d'urbanisme ;
- la décision n'est pas suffisamment motivée.


Par un mémoire enregistré le 9 mars 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucune des demandes formulées par M. A... n'est dirigée contre l'Etat.


Par un mémoire en défense enregistré le 28 avril 2023, la commune de Livry-Gargan, représentée par Me Gorand, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. A... le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention volontaire enregistré le 2 juin 2023, l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est, représenté par Me Peynet, conclut à l'annulation de l'ordonnance contestée.

Il soutient que :
- son intervention est recevable dès lors qu'il présente d'un intérêt suffisant ;
- la circonstance que la commune ne dispose plus de la compétence en matière d'urbanisme ne fait pas obstacle à ce qu'elle saisisse le juge judiciaire en application des dispositions de l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.



Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gobeill,
- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
- et les observations de Me Akli, substituant Me Gorand, représentant la commune de Livry-Gargan.


Considérant ce qui suit :

1. Par une demande du 12 janvier 2021, M. A... a saisi le maire de Livry-Gargan d'une demande tendant à la saisine du tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la mise en conformité des constructions édifiées en méconnaissance du permis de construire délivré à la société civile immobilière Marva Shana pour la construction de logements sur un terrain sis
73, allée Jean-Baptiste Clément. Cette demande a été implicitement rejetée. M. A... relève appel de l'ordonnance du 26 octobre 2022 par laquelle le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur l'intervention volontaire de l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est :

2. Est recevable à former une intervention toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. En invoquant la circonstance que les dispositions de l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme prévoient sa compétence pour mettre en oeuvre ces dispositions, l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours [...], les requêtes ne comportant que (...) des moyens inopérants (...).".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme : " La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux. ".

5. Pour rejeter la requête de M. A... par une ordonnance prise sur le fondement des dispositions du huitième alinéa (7°) de l'article R. 222-1 du code de justice administrative au motif que les moyens soulevés étaient inopérants, le premier juge a relevé que dès lors que l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est, dont relève la commune de Livry-Gargan, disposait d'une compétence de plein droit en matière de plan local d'urbanisme, le maire de la commune n'était pas compétent pour saisir le tribunal judiciaire sur le fondement de l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme précité et était, dès lors, tenu de rejeter la demande de M. A....

6. Toutefois, quand bien même la compétence relative au plan local d'urbanisme a été transférée à un établissement public de coopération intercommunale, les dispositions précitées du code de l'urbanisme n'ont pas pour objet ni pour effet d'exclure que le maire de la commune, au demeurant compétent pour la délivrance des autorisations d'urbanisme et chargé de l'exécution des lois et règlements en vertu des dispositions de l'article L. 2122-7 du code général des collectivités locales, puisse saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée.

7. Il en résulte qu'en rejetant la demande de M. A... pour le motif rappelé au point 3, le premier juge a entaché son ordonnance d'irrégularité.

8. Il y a donc lieu d'annuler l'ordonnance du 26 octobre 2022 de la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Montreuil et de renvoyer l'affaire devant cette juridiction.

Sur les frais de l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de la commune de Livry-Gargan au profit de M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est est admise.
Article 2 : L'ordonnance n° 2207815 du 26 octobre 2022 de la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Montreuil est annulée.
Article 3 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Montreuil pour qu'il soit statué sur la demande de M. A....
Article 4 : La commune de Livry-Gargan versera une somme de 1 500 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la commune de Livry-Gargan, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère,
- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.
Le rapporteur, Le président,
J.-F. GOBEILL S. DIÉMERT
La greffière
C. POVSE

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.