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Ariane Web: CAA de VERSAILLES 24VE02253, lecture du 24 juin 2025

Décision n° 24VE02253
24 juin 2025
CAA de VERSAILLES

N° 24VE02253

4ème chambre
M. ETIENVRE, président
M. Jean-Edmond PILVEN, rapporteur
Mme VILLETTE, rapporteure publique
SELARL GOUTAL, ALIBERT & ASSOCIES, avocats


Lecture du mardi 24 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C..., agissant au nom de son enfant mineur, A... C..., a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'annulation de la décision du 15 février 2023 par laquelle la maire de Puteaux a rejeté sa demande tendant à ce que son enfant soit placé dans un dortoir de garçons au cours du séjour aux sports d'hiver organisé par la commune pendant les vacances d'hiver du 25 février au 4 mars 2023.

Par un jugement n° 2302363 du 13 juin 2024, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la requête de Mme C....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 août 2024, Mme C..., représentée par Me Larose, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 780 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé ;
- la décision attaquée est discriminatoire dès lors que la commune a demandé la production d'un certificat médical, non prévue par les textes, sur sa transition de genre, que le sexe de son enfant n'aurait pas dû être rendu public et que les principes de la circulaire Blanquer ont été méconnus ;
- les dispositions de l'article R. 227-6 du code de l'action sociale et des familles ont été méconnues ; son enfant a été placé en chambre de filles alors que c'est un garçon transgenre et il n'existait pas de difficultés matérielles pour placer son enfant dans une chambre de trois garçons avec deux de ses camarades ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme a été méconnu dès lors qu'il a été porté atteinte au respect de la vie privée de son enfant.

Par mémoire, enregistré le 22 mai 2025, la commune de Puteaux, représentée par Me Idrissi, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la demande présentée en première instance n'était pas recevable et qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Vielh, pour la commune de Puteaux.



Considérant ce qui suit :

1. A... C..., enfant mineur né fille sous le prénom d'Emma en 2010, a obtenu une modification de son prénom à l'état-civil le 25 avril 2022 et est suivi au sein d'une consultation d'accompagnement des transidentités de l'hôpital Robert-Debré de Paris comme garçon transgenre. Cet enfant était inscrit à un séjour de vacances aux sports d'hiver du 25 février au 4 mars 2023, organisé par la commune de Puteaux qui a informé sa mère Mme C..., par un courriel du 3 février 2023, du placement A... dans un dortoir de filles lors du séjour à venir. Par un courriel du 12 février 2023, Mme C... a formé un recours gracieux contre cette décision, rejeté par la commune de Puteaux le 15 février 2023. Mme C... relève appel du jugement du 13 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal a mentionné, avec une précision suffisante, les raisons pour lesquelles le recours de la requérante était rejeté. Les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments avancés par les parties et ont ainsi suffisamment motivé leur jugement. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 227-1 du code de l'action sociale et des familles : " Tout mineur accueilli hors du domicile de ses parents jusqu'au quatrième degré ou de son tuteur est placé sous la protection des autorités publiques (...) ". Aux termes de l'article R. 227-6 du même code : " Les accueils avec hébergement mentionnés à l'article R. 227-1 doivent être organisés de façon à permettre aux filles et aux garçons âgés de plus de six ans de dormir dans des lieux séparés (...) ".

5. Mme C... soutient que la décision de la maire de Puteaux de refuser de placer A... dans un dortoir de garçons lors du séjour aux sports d'hiver méconnait les dispositions de l'article R. 227-6 du code de l'action sociale et des familles. Elle fait valoir que son enfant est de genre masculin, comme l'établissent son changement de prénom mentionné sur sa carte d'identité et sa transition de genre attestée par l'hôpital Robert Debré, et qu'aucune obligation légale n'imposait à la commune de placer son enfant dans une chambre pour filles. Toutefois, les dispositions de l'article R. 227-6 du code de l'action sociale et des familles doivent être entendues comme différenciant les enfants selon leur sexe et non selon leur genre et comme retenant une obligation de non-mixité lors des accueils avec hébergement pour les enfants de plus de six ans. Or, il ressort des pièces du dossier, et notamment de son certificat de naissance ainsi que de sa carte nationale d'identité, que l'enfant de la requérante était de sexe féminin, quand bien même son prénom d'origine avait été remplacé par celui A.... Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance l'article R. 227-6 précité doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier que confrontée à la demande de Mme C... de placer son enfant en hébergement de garçons, la commune de Puteaux n'est pas restée inactive pour essayer de traiter au mieux la situation A..., en prenant notamment contact avec la mission d'accueil collectif des mineurs du service départemental à la jeunesse, à l'engagement et aux sports, afin de connaître la conduite à tenir dans cette affaire délicate. Les mêmes pièces révèlent par ailleurs que la commune de Puteaux, dans l'esprit de la circulaire du ministre de l'éducation nationale pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire du 29 septembre 2021, a, tout d'abord, envisagé un placement en chambre double avec un de ses camarades avant de constater le 15 février 2023, au vu des informations transmises par l'agence de voyages, que cette solution n'était pas possible. Elle a, ensuite, retenu la proposition d'un logement dans une chambre de trois garçons, sur demande de la requérante et avec l'accord des parents des deux camarades masculins A... concernés. Toutefois, une telle solution n'a finalement pas pu aboutir, le prestataire choisi pour ce séjour aux sports d'hiver en Italie ayant indiqué que la seule chambre disponible de trois personnes, affectée au groupe, était destinée à accueillir des filles, sans qu'il soit établi que cette impossibilité ait procédé d'une mauvaise volonté de la commune, comme le soutient la requérante. Enfin, aucun élément du dossier ne permet d'établir que la décision de la commune aurait été constitutive d'une volonté de discrimination. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par la commune, que la décision d'hébergement A... en chambre de filles, pour un séjour facultatif en montagne d'une durée d'une semaine, ne peut être regardée, dans les circonstances particulières de l'espèce, et compte tenu notamment des contraintes matérielles s'imposant à la commune ainsi que des démarches engagées par celle-ci pour y remédier, comme ayant porté au droit de cet enfant au respect de sa vie privée une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise, alors, au demeurant, qu'il n'est pas contesté que cet enfant avait été inscrit l'année précédente à un séjour de vacances où il avait été placé en hébergement avec des filles sans qu'il soit établi que cette situation ait été perçue comme une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention précitée.

8. En dernier lieu, les arguments se rapportant à l'exclusion d'Eliott d'un autre séjour, à la révélation de son identité sexuelle ainsi que ceux qui se rapportent à l'exécution de la décision contestée sont sans incidence sur sa légalité et ne peuvent qu'être écartés comme inopérants.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 13 juin 2024, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision de la maire de Puteaux du 15 février 2023.

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. La commune de Puteaux n'étant pas la partie perdante, les conclusions de Mme C... tendant à mettre une somme à sa charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de Mme C... en application des mêmes dispositions.




D É C I D E :



Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Puteaux tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et à la commune de Puteaux.


Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :

M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.


Le rapporteur,




J-E. PilvenLe président,




F. Etienvre
La greffière,




S. Diabouga

La République mande et ordonne à la ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24VE0225300