Conseil d'État
N° 299825
ECLI:FR:CESSR:2007:299825.20070406
Mentionné au tables du recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Martin Laprade, président
Mme Carine Soulay, rapporteur
M. Olson, commissaire du gouvernement
BROUCHOT, avocats
Lecture du vendredi 6 avril 2007
Vu, enregistré le 18 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 14 décembre 2006 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, avant de statuer sur la requête de la COMMUNE DE POITIERS, tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 589 922 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2005, en réparation des dépenses qu'elle estime avoir indûment engagées au titre de la gestion des demandes de cartes d'identité entre le 15 octobre 2001 et le 30 septembre 2005 et de la gestion des demandes de passeports entre le 1er octobre 2002 et le 30 septembre 2005, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° L'illégalité du 1er alinéa de l'article 7 du décret n° 2001-185 du 26 février 2001 tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire à avoir confié aux maires la tâche de recueillir les demandes de passeports, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur sont adressés par ces derniers est-elle susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat envers les communes à raison du préjudice résultant pour elles des frais de toute nature qu'elles ont exposés pour exercer leurs attributions en matière de passeports depuis la mise en application de la disposition annulée, alors même que le législateur peut imposer directement ou indirectement aux collectivités locales des dépenses incombant à l'Etat '
2° L'article 4 du décret n° 99-973 du 25 novembre 1999, qui a modifié l'article 3 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité et qui a confié aux maires la tâche de recueillir les demandes de cartes nationales d'identité, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les cartes d'identité qui leur sont adressées par ces derniers, est-il entaché d'illégalité pour incompétence du pouvoir réglementaire à l'édicter, nonobstant la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n°215999 du 27 juillet 2001 Commune de Maisons-Laffitte , qui a rejeté un recours pour excès de pouvoir présenté contre cet article sur le fondement d'autres moyens '
3° En cas de réponse affirmative à cette deuxième question, cette illégalité est-elle susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat envers les communes à raison du préjudice résultant pour elles des frais de toute nature qu'elles ont exposés pour exercer leurs attributions en matière de cartes nationales d'identité depuis la mise en application de la disposition litigieuse '
Vu les pièces du dossier transmises par le tribunal administratif ;
Vu, enregistrées le 5 janvier 2007, les observations présentées par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ; le ministre fait valoir qu'en vertu de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités locales, l'attribution aux maires, en leur qualité d'agents de l'Etat, des tâches consistant à recueillir les demandes de cartes nationales d'identité, à les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et à remettre aux demandeurs les cartes d'identité qui leur sont adressées par ces derniers ne doit faire l'objet d'une disposition législative que si celles-ci induisent un accroissement des dépenses des communes ; que l'application des dispositions de l'article 4 du décret n° 99-973 du 25 novembre 1999 n'a pas eu pour effet d'accroître les dépenses des communes compte tenu de la dotation globale de fonctionnement qui leur est attribuée chaque année et de la simplification de démarches administratives dont elles avaient la charge ; que l'illégalité du 1er alinéa de l'article 7 du décret n° 2001-185 du 26 février 2001 en tant qu'il confiait aux maires la tâche de recueillir les demandes de passeports, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur sont adressés par ces derniers n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'à supposer que le préjudice allégué par chaque commune concernée tire son origine de l'illégalité de ces dispositions, il appartient à ces communes de justifier de la réalité et de l'étendue de ce préjudice ;
Vu, enregistrées le 9 février 2007, les observations présentées pour la COMMUNE DE POITIERS ; la COMMUNE DE POITIERS fait valoir que la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n° 215999 du 27 juillet 2001 Commune de Maisons-Laffitte a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de l'article 4 du décret n° 99-973 du 25 novembre 1999 en tant qu'il confiait aux maires la tâche de recueillir les demandes de cartes nationales d'identité, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les cartes d'identité qui leur sont adressées par ces derniers, sans avoir été saisi du moyen qui a fondé l'annulation du 1er alinéa de l'article 7 du décret n° 2001-185 du 26 février 2001 en tant qu'il confiait aux maires ces mêmes tâches pour les passeports ; que les dispositions de l'article 4 du décret du 25 novembre 1999, qui imposent un accroissement indirect des dépenses des communes, sont entachées d'illégalité au regard de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités locales ; que l'illégalité de l'article 4 du décret du 25 novembre 1999 et de l'article 7 du décret du 26 février 2001 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat du fait du préjudice résultant pour les communes des dépenses supplémentaires induites par ces dispositions, ces dépenses n'ayant pas été compensées par des transferts financiers de l'Etat ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
Vu le décret n° 99-973 du 25 novembre 1999 ;
Vu le décret n° 2001-185 du 26 février 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Soulay, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Brouchot, avocat de la COMMUNE DE POITIERS,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
REND L'AVIS SUIVANT
I. - Aux termes de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales : Aucune dépense à la charge de l'Etat ou d'un établissement public à caractère national ne peut être imposée directement ou indirectement aux collectivités territoriales ou à leurs groupements qu'en vertu de la loi.
Par une décision n° 232888 du 5 janvier 2005, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé le 1er alinéa de l'article 7 du décret du 26 février 2001 relatif aux conditions de délivrance et de renouvellement des passeports, en tant qu'il confiait aux maires, agissant en qualité d'agents de l'Etat, la tâche de recueillir les demandes de passeport, de les transmettre aux préfets ou aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur étaient adressés par ces derniers. Cette annulation a été prononcée au motif que ces dispositions avaient pour effet d'imposer indirectement aux communes les dépenses, à la charge de l'Etat, relatives à l'exercice de ces attributions et qu'en application de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales, le législateur était seul compétent pour les édicter.
L'illégalité commise par le pouvoir réglementaire à avoir adopté une mesure que le législateur était seul compétent pour édicter est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, quelle que soit la probabilité que le législateur aurait lui-même adopté cette mesure si elle lui avait été soumise ; toutefois, il appartient à la victime d'établir la réalité de son préjudice et le lien direct de causalité qui le relie à l'illégalité commise.
L'illégalité des dispositions du 1er alinéa de l'article 7 du décret du 26 février 2001 est, par suite, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à la condition que les communes établissent que l'application de ces dispositions est directement à l'origine d'un préjudice, matérialisé par le supplément net des coûts qu'elles ont supportés.
II. - L'article 4 du décret du 25 novembre 1999, modifiant le décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité, a eu pour objet de transférer, sauf à Paris, aux maires des communes dotées de commissariats de police, agissant en tant qu'agents de l'Etat, la charge de recueillir et de transmettre les demandes de cartes nationales d'identité, antérieurement dévolue aux commissariats de police. Ces dispositions ont pour effet d'imposer indirectement aux communes les dépenses, à la charge de l'Etat, relatives à l'exercice de ces attributions. Le pouvoir réglementaire n'était par suite, eu égard aux termes de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales, pas compétent pour édicter ces dispositions qui sont pour ce motif entachées d'illégalité. Cette illégalité est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dans les conditions ci-dessus rappelées.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Poitiers, à la COMMUNE DE POITIERS et au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
N° 299825
ECLI:FR:CESSR:2007:299825.20070406
Mentionné au tables du recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Martin Laprade, président
Mme Carine Soulay, rapporteur
M. Olson, commissaire du gouvernement
BROUCHOT, avocats
Lecture du vendredi 6 avril 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, enregistré le 18 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 14 décembre 2006 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, avant de statuer sur la requête de la COMMUNE DE POITIERS, tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 589 922 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2005, en réparation des dépenses qu'elle estime avoir indûment engagées au titre de la gestion des demandes de cartes d'identité entre le 15 octobre 2001 et le 30 septembre 2005 et de la gestion des demandes de passeports entre le 1er octobre 2002 et le 30 septembre 2005, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° L'illégalité du 1er alinéa de l'article 7 du décret n° 2001-185 du 26 février 2001 tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire à avoir confié aux maires la tâche de recueillir les demandes de passeports, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur sont adressés par ces derniers est-elle susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat envers les communes à raison du préjudice résultant pour elles des frais de toute nature qu'elles ont exposés pour exercer leurs attributions en matière de passeports depuis la mise en application de la disposition annulée, alors même que le législateur peut imposer directement ou indirectement aux collectivités locales des dépenses incombant à l'Etat '
2° L'article 4 du décret n° 99-973 du 25 novembre 1999, qui a modifié l'article 3 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité et qui a confié aux maires la tâche de recueillir les demandes de cartes nationales d'identité, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les cartes d'identité qui leur sont adressées par ces derniers, est-il entaché d'illégalité pour incompétence du pouvoir réglementaire à l'édicter, nonobstant la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n°215999 du 27 juillet 2001 Commune de Maisons-Laffitte , qui a rejeté un recours pour excès de pouvoir présenté contre cet article sur le fondement d'autres moyens '
3° En cas de réponse affirmative à cette deuxième question, cette illégalité est-elle susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat envers les communes à raison du préjudice résultant pour elles des frais de toute nature qu'elles ont exposés pour exercer leurs attributions en matière de cartes nationales d'identité depuis la mise en application de la disposition litigieuse '
Vu les pièces du dossier transmises par le tribunal administratif ;
Vu, enregistrées le 5 janvier 2007, les observations présentées par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ; le ministre fait valoir qu'en vertu de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités locales, l'attribution aux maires, en leur qualité d'agents de l'Etat, des tâches consistant à recueillir les demandes de cartes nationales d'identité, à les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et à remettre aux demandeurs les cartes d'identité qui leur sont adressées par ces derniers ne doit faire l'objet d'une disposition législative que si celles-ci induisent un accroissement des dépenses des communes ; que l'application des dispositions de l'article 4 du décret n° 99-973 du 25 novembre 1999 n'a pas eu pour effet d'accroître les dépenses des communes compte tenu de la dotation globale de fonctionnement qui leur est attribuée chaque année et de la simplification de démarches administratives dont elles avaient la charge ; que l'illégalité du 1er alinéa de l'article 7 du décret n° 2001-185 du 26 février 2001 en tant qu'il confiait aux maires la tâche de recueillir les demandes de passeports, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur sont adressés par ces derniers n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'à supposer que le préjudice allégué par chaque commune concernée tire son origine de l'illégalité de ces dispositions, il appartient à ces communes de justifier de la réalité et de l'étendue de ce préjudice ;
Vu, enregistrées le 9 février 2007, les observations présentées pour la COMMUNE DE POITIERS ; la COMMUNE DE POITIERS fait valoir que la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n° 215999 du 27 juillet 2001 Commune de Maisons-Laffitte a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de l'article 4 du décret n° 99-973 du 25 novembre 1999 en tant qu'il confiait aux maires la tâche de recueillir les demandes de cartes nationales d'identité, de les transmettre aux préfets et aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les cartes d'identité qui leur sont adressées par ces derniers, sans avoir été saisi du moyen qui a fondé l'annulation du 1er alinéa de l'article 7 du décret n° 2001-185 du 26 février 2001 en tant qu'il confiait aux maires ces mêmes tâches pour les passeports ; que les dispositions de l'article 4 du décret du 25 novembre 1999, qui imposent un accroissement indirect des dépenses des communes, sont entachées d'illégalité au regard de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités locales ; que l'illégalité de l'article 4 du décret du 25 novembre 1999 et de l'article 7 du décret du 26 février 2001 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat du fait du préjudice résultant pour les communes des dépenses supplémentaires induites par ces dispositions, ces dépenses n'ayant pas été compensées par des transferts financiers de l'Etat ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
Vu le décret n° 99-973 du 25 novembre 1999 ;
Vu le décret n° 2001-185 du 26 février 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Soulay, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Brouchot, avocat de la COMMUNE DE POITIERS,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
REND L'AVIS SUIVANT
I. - Aux termes de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales : Aucune dépense à la charge de l'Etat ou d'un établissement public à caractère national ne peut être imposée directement ou indirectement aux collectivités territoriales ou à leurs groupements qu'en vertu de la loi.
Par une décision n° 232888 du 5 janvier 2005, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé le 1er alinéa de l'article 7 du décret du 26 février 2001 relatif aux conditions de délivrance et de renouvellement des passeports, en tant qu'il confiait aux maires, agissant en qualité d'agents de l'Etat, la tâche de recueillir les demandes de passeport, de les transmettre aux préfets ou aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur étaient adressés par ces derniers. Cette annulation a été prononcée au motif que ces dispositions avaient pour effet d'imposer indirectement aux communes les dépenses, à la charge de l'Etat, relatives à l'exercice de ces attributions et qu'en application de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales, le législateur était seul compétent pour les édicter.
L'illégalité commise par le pouvoir réglementaire à avoir adopté une mesure que le législateur était seul compétent pour édicter est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, quelle que soit la probabilité que le législateur aurait lui-même adopté cette mesure si elle lui avait été soumise ; toutefois, il appartient à la victime d'établir la réalité de son préjudice et le lien direct de causalité qui le relie à l'illégalité commise.
L'illégalité des dispositions du 1er alinéa de l'article 7 du décret du 26 février 2001 est, par suite, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à la condition que les communes établissent que l'application de ces dispositions est directement à l'origine d'un préjudice, matérialisé par le supplément net des coûts qu'elles ont supportés.
II. - L'article 4 du décret du 25 novembre 1999, modifiant le décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité, a eu pour objet de transférer, sauf à Paris, aux maires des communes dotées de commissariats de police, agissant en tant qu'agents de l'Etat, la charge de recueillir et de transmettre les demandes de cartes nationales d'identité, antérieurement dévolue aux commissariats de police. Ces dispositions ont pour effet d'imposer indirectement aux communes les dépenses, à la charge de l'Etat, relatives à l'exercice de ces attributions. Le pouvoir réglementaire n'était par suite, eu égard aux termes de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales, pas compétent pour édicter ces dispositions qui sont pour ce motif entachées d'illégalité. Cette illégalité est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dans les conditions ci-dessus rappelées.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Poitiers, à la COMMUNE DE POITIERS et au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.