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Ariane Web: Conseil d'État 292088, lecture du 17 décembre 2008, ECLI:FR:CESSR:2008:292088.20081217

Décision n° 292088
17 décembre 2008
Conseil d'État

N° 292088
ECLI:FR:CESSR:2008:292088.20081217
Publié au recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Daël, président
Mlle Aurélie Bretonneau, rapporteur
SPINOSI, avocats


Lecture du mercredi 17 décembre 2008
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le pourvoi, enregistré le 6 avril 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 2 février 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement du 18 mai 2004 par lequel le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à M. et Mme A une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du décès de leur fils ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Auditeur,

- les observations de Me Spinosi, avocat de M. et Mme A,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Commissaire du gouvernement ;



Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. Jawad A, né le 2 janvier 1976, a été incarcéré le 12 juillet 1996 dans une cellule occupée par deux autres jeunes détenus à la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy ; que le 23 juillet vers 1h20, l'un de ses codétenus, craignant d'être exposé à un risque de contagion d'une affection cutanée dont était atteint l'occupant d'une cellule voisine, a exigé d'être déplacé et a proféré des menaces d'incendie volontaire ; que ces menaces ont été mises à exécution aux environs d'1h25 par la mise à feu de matelas ainsi que de divers objets inflammables présents dans la cellule ; que, l'alerte ayant été donnée et les personnels de l'établissement chargés de lutter contre l'incendie étant arrivés sur les lieux, M. A et l'un de ses codétenus ont été extraits inanimés de la cellule qu'ils occupaient ; que leur décès, provoqué par l'inhalation des fumées particulièrement toxiques dégagées par la combustion des matelas en mousse, a été constaté par le SAMU vers 2h05 ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par M. et Mme A, parents de M. Jawad A ;

Considérant qu'il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Versailles a relevé, d'une part, que le danger provoqué par la combustion des matelas en mousse, tant en raison de la nature des fumées dégagées que de l'extrême rapidité de l'embrasement, de même que la fréquence des incidents provoqués par des détenus enflammant leur matelas, étaient connus de l'administration pénitentiaire, sans que celle-ci ait mis en oeuvre de dispositions préventives appropriées, d'autre part, qu'eu égard à la particulière toxicité de la fumée en cause, à la rapidité de la combustion du matériau et à l'exiguïté relative de la fenêtre de la cellule, le système de dégagement des fumées présentait un caractère inadapté, enfin, qu'alors même que son accès à l'intérieur de la cellule ne pouvait, en vertu des instructions applicables, être immédiat, l'impossibilité pratique et matérielle pour le surveillant de nuit d'accéder rapidement au matériel de lutte contre l'incendie a retardé de cinq minutes au moins la mise en oeuvre des moyens propres à permettre l'ouverture de la cellule totalement enfumée par les objets en feu ; que la cour s'est ainsi livrée à une appréciation souveraine des faits qui n'est pas susceptible, en l'absence de dénaturation, d'être contestée devant le juge de cassation ; qu'en estimant que cet ensemble de circonstances présentait un caractère fautif, la cour n'a pas commis d'erreur dans la qualification juridique des faits ; qu'alors même qu'aucune de ces circonstances ne revêt le caractère d'une faute lourde dans l'organisation ou le fonctionnement du service de surveillance des détenus, la cour a pu, sans entacher son arrêt d'une erreur de droit, juger que la responsabilité de l'État était susceptible d'être engagée à raison du décès de M. A ; qu'eu égard notamment à la rapidité du décès de ce dernier par inhalation des fumées toxiques dégagées par la combustion des matelas enflammés, la cour n'a pas davantage donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification en retenant un lien de causalité direct entre les fautes commises et le préjudice invoqué par les requérants ; qu'il suit de là que le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État le versement à M. et Mme A de la somme de 4 000 euros que ceux-ci demandent au titre des frais engagés par eux et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 2 : L'État versera à M. et Mme A la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE et à M. et Mme Salah A.


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