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Ariane Web: Conseil d'État 314579, lecture du 24 août 2011, ECLI:FR:CESSR:2011:314579.20110824

Décision n° 314579
24 août 2011
Conseil d'État

N° 314579
ECLI:FR:CESSR:2011:314579.20110824
Mentionné au tables du recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
M. Philippe Martin, président
M. Gilles Pellissier, rapporteur
M. Julien Boucher, rapporteur public
SCP CAPRON, CAPRON, avocats


Lecture du mercredi 24 août 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mars et 25 juin 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Yves B, demeurant ... et pour Mme Françoise A, demeurant ... ; M. B et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06NC00983 du 17 janvier 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 12 mai 2006 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejetant leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1996 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer la décharge sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Capron, Capron, avocat de M. B et de Mme A,

- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Capron, Capron, avocat de M. B et de Mme A ;



Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 10 septembre 1996, M. et Mme B ont apporté à la SCI " 1-5 rue de Sévigné ", dont ils détenaient la moitié des parts, 882 actions de la SA Assistance service, dont ils détenaient également la moitié du capital ; qu'ils ont reçu en contrepartie 110 parts de la SCI et placé la plus-value réalisée à l'occasion de cette opération sous le régime du report d'imposition prévu aux articles 160 I ter et 92 B II, alors en vigueur, du code général des impôts ; que l'administration fiscale a remis en cause, selon la procédure de répression des abus de droit, ce report d'imposition ; que, par jugement du 12 mai 1996, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de M. et Mme B en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités résultant de cette remise en cause ; que, par un arrêt du 17 janvier 2008 contre lequel ils se pourvoient en cassation, la cour a confirmé ce jugement ;

Considérant, en premier lieu, que la cour, qui a répondu aux moyens dont elle était saisie, n'était pas tenue de répondre aux arguments tirés de ce que les requérants n'avaient pas apporté l'ensemble de leurs actions à la SCI et de ce que cette dernière était une structure patrimoniale d'investissements commune à deux familles ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) / b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...). / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ; qu'en jugeant que l'administration pouvait faire usage des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions lorsqu'elle entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération se traduisant par le report d'imposition d'une plus-value déclarée dans les conditions prévues par l'article 160 I ter du code général des impôts, la cour n'a commis aucune erreur de droit ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la cour a qualifié l'opération réalisée par ceux-ci d'abus de droit après avoir relevé qu'ils n'apportaient pas la preuve, qui leur incombait, de ce qu'elle aurait poursuivi un but autre qu'exclusivement fiscal ;

Considérant, en quatrième et dernier lieu, que le placement en report d'imposition d'une plus-value réalisée par un contribuable, lors de l'apport de titres à une société qu'il contrôle, et qui a été suivi de leur cession par cette société, est constitutif d'un abus de droit s'il s'agit d'un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l'apport ; qu'il n'a en revanche pas ce caractère s'il ressort de l'ensemble de l'opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de ces cessions dans une activité économique ;

Considérant qu'il ressort des constatations souveraines de la cour que M. et Mme B ont fait apport de leurs actions de la SA Assistance service à la SCI " 1-5 rue de Sévigné ", dont ils détenaient la moitié des parts, l'autre moitié étant détenue par un autre couple qui était également possesseur du reste des actions de la SA Assistance service et qui a procédé, au même moment, au même apport ; que cette SCI, qui a pour objet social la gestion d'immeubles, a peu après revendu pour le prix d'apport sa participation dans le capital de la SA Assistance service et réinvesti le produit de cette cession dans l'acquisition de parts de SCI et d'un immeuble ; qu'eu égard au caractère conjoint de l'apport, de la cession, du réemploi et de la gestion du produit de cette cession, ce produit pouvait être appréhendé par les contribuables ; qu'enfin, il n'a jamais été soutenu que ces investissements immobiliers réalisés par une SCI à caractère patrimonial s'inscrivaient dans le cadre d'une activité économique poursuivie par les porteurs de parts de la SCI ; qu'en déduisant de ces circonstances que M. et Mme B n'apportaient pas la preuve de ce que cette opération avait un autre motif que celui d'atténuer ou d'éluder le paiement de la plus-value qu'ils auraient normalement supportée s'ils n'avaient pas réalisé l'apport, la cour a exactement qualifié les faits de l'espèce ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B et Mme A ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B et de Mme A est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Yves B, à Mme Françoise A et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


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