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Ariane Web: Conseil d'État 342104, lecture du 24 avril 2012, ECLI:FR:CESSR:2012:342104.20120424

Décision n° 342104
24 avril 2012
Conseil d'État

N° 342104
ECLI:FR:CESSR:2012:342104.20120424
Publié au recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Eric Aubry, rapporteur
M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du mardi 24 avril 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août et 29 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Abdeslam A et Mme Elene A demeurant ... ; M et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08LY00874 du 31 décembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir annulé le jugement n° 0507053 du 16 octobre 2007 du tribunal administratif de Lyon, a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice résultant pour eux du décès de leur fils, M. Smaïl B ;

2°) réglant l'affaire au fond, de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice subi du fait de la mort de leur fils, avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Aubry, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. et Mme A,

- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. et Mme A ;



Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Smaïl B, incarcéré depuis le 2 mars 1998 à la prison Saint Joseph de Lyon, puis à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône à compter du 6 mai suivant, a été retrouvé pendu dans sa cellule le 9 mai 1998 ; que ses parents, M. et Mme. A, ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à leur verser la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice moral subi du fait du décès de leur fils, soutenant que ce dernier était dû à une faute de l'administration pénitentiaire ; que, par un jugement du 16 octobre 2007, le tribunal administratif a rejeté leur demande ; que, saisie d'un appel formé par M. et Mme A, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif pour méconnaissance de l'obligation de mise en cause de la caisse primaire d'assurance maladie au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, puis, statuant après évocation, a rejeté leur demande d'indemnisation ; que M. et Mme. A se pourvoient en cassation contre cet arrêt ;

Considérant, en premier lieu, que les conclusions des requérants dirigées contre l'article 1er de l'arrêt attaqué qui, en accueillant leur demande tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon, a fait droit à leurs conclusions d'appel, sont irrecevables ; que par suite le moyen tiré de ce que la cour a commis une erreur de droit en annulant le jugement du tribunal administratif de Lyon en raison du défaut de mise en cause de la caisse primaire d'assurance maladie, au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, est inopérant ;

Considérant, en second lieu, que lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux ; qu'ainsi lorsque les ayants droit d'un détenu recherchent la responsabilité de l'Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du suicide de ce détenu, ils peuvent utilement invoquer à l'appui de cette action en responsabilité, indépendamment du cas où une faute serait exclusivement imputable à l'établissement public de santé où a été soigné le détenu, une faute du personnel de santé de l'unité de consultations et de soins ambulatoires de l'établissement public de santé auquel est rattaché l'établissement pénitentiaire s'il s'avère que cette faute a contribué à la faute du service public pénitentiaire ; qu'il en va ainsi alors même que l'unité de consultations et de soins ambulatoires où le personnel médical et paramédical exerce son art est placée sous l'autorité du centre hospitalier ; que dans un tel cas, il est loisible à l'Etat, s'il l'estime fondé, d'exercer une action en garantie contre l'établissement public de santé dont le personnel a concouru à la faute du service public pénitentiaire; que, par suite, en estimant, alors que M. et Mme A soutenaient, d'une part, que le personnel de santé de la prison Saint Joseph de Lyon avait commis une faute en n'assurant pas la transmission du dossier médical de leur fils à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône et en n'informant pas le personnel de santé du nouvel établissement de la nécessité de poursuivre le traitement prescrit et d'exercer une surveillance particulière, et d'autre part, que le personnel de santé de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône n'avait pas informé le personnel pénitentiaire de cette maison d'arrêt de cette nécessité, que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée à raison de fautes commises par le personnel de santé de l'unité de consultations et de soins ambulatoires en milieu pénitentiaire de ces établissements, et que ces fautes, à les supposer établies, n'étaient susceptibles d'engager que la seule responsabilité de l'établissement hospitalier en charge de l'unité de consultations et de soins ambulatoires en milieu pénitentiaire de ces maisons d'arrêt, personne morale distincte de l'Etat, la cour a entaché sa décision d'une erreur de droit ; que dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'article 2 de l'arrêt attaqué doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'aucune faute de nature purement médicale imputable au seul personnel médical ou para-médical de l'établissement de santé n'a été relevée ;

Considérant que la responsabilité de l'Etat en cas de dommage résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée en cas de faute des services pénitentiaires ; que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les ayants droit du détenu peuvent utilement invoquer, à l'appui de leur action en responsabilité contre l'Etat, une faute du personnel médical ou para-médical de l'établissement de santé auquel est rattaché l'établissement pénitentiaire dans le cas où celle-ci a contribué à la faute du service pénitentiaire ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le dossier médical de M. B a été transmis à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône où le jeune homme a été transféré le 6 mai 1998 ; que ce dossier prévoyait le maintien d'une surveillance médicale et d'un traitement thérapeutique, mais ne comportait aucun élément laissant présager un comportement suicidaire ; que dès l'arrivée de M. B dans le nouvel établissement, il a été procédé aux entretiens prévus par les articles D. 285 et D. 381 du code de procédure pénale, avec le chef d'établissement et le médecin responsable du service médical ; que le traitement médical mis en place à la maison d'arrêt de Lyon a été reconduit ; qu'ainsi qu'il ressort des procès-verbaux d'audition des intéressés, M. B ne manifestait toujours aucune intention suicidaire, si bien que les médecins n'ont pas jugé utile de procéder à un signalement de ce détenu ; qu'il ne peut, dès lors, être fait état d'un défaut de coordination entre le service médical de la maison d'arrêt et le personnel pénitentiaire ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte également de l'instruction que lors de son transfèrement et depuis son arrivée à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, le comportement de M. B n'avait pas révélé la nécessité de mettre en place une surveillance particulière du jeune homme ; que, par suite, il ne peut être reproché aucune faute à l'administration pénitentiaire, qui a placé le jeune homme en cellule individuelle et n'a pas renforcé la surveillance dont il faisait l'objet ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que l'administration pénitentiaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ni, par suite, à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice moral qui a résulté pour eux du suicide de leur fils ; que leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative de Lyon du 31 décembre 2009 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme A devant le tribunal administratif de Lyon et le surplus des conclusions du pourvoi sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Abdeslam A et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Copie en sera adressée pour information à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.


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