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Ariane Web: Conseil d'État 360024, lecture du 11 juin 2012, ECLI:FR:CEORD:2012:360024.20120611

Décision n° 360024
11 juin 2012
Conseil d'État

N° 360024
ECLI:FR:CEORD:2012:360024.20120611
Mentionné au tables du recueil Lebon
Juge des référés
M. Jacques Arrighi de Casanova, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SPINOSI, avocats


Lecture du lundi 11 juin 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 6 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la COMMUNE DE L'ETANG SALÉ (La Réunion), représentée par son maire en exercice ; la commune demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1200465 du 25 mai 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu pendant la durée de la campagne relative aux élections législatives de 2012 l'exécution des arrêtés des 27 octobre 2000 et 10 juillet 2002, par lesquels son maire a instauré une interdiction générale de circulation des véhicules sonorisés sur l'ensemble du territoire communal, pour une durée indéterminée, puis a assoupli cette interdiction en la réservant à certains usages ;

2°) de rejeter la demande de M. Robert ;

3°) de mettre à la charge de M. Robert le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



elle soutient que l'ordonnance attaquée est irrégulière tant en raison de l'absence des signatures requises par l'article R. 741-8 du code de justice administrative que de l'incompétence du juge ayant statué, faute d'avoir qualité pour remplir les fonctions de juge des référés ; que M. Robert ne justifiait pas d'un intérêt à agir contre l'arrêté municipal litigieux ; que l'ordonnance attaquée est entachée d'erreurs de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation ; que la condition d'urgence n'était pas remplie à l'égard d'une interdiction pour la contestation de laquelle M. Robert n'a pas fait preuve de diligence ; qu'il dispose d'autres moyens usuels de diffusion de sa propagande électorale ; qu'aucune atteinte grave ni manifestement illégale n'a été portée par l'administration du fait des arrêtés litigieux aux libertés fondamentales que sont les libertés de circulation et d'expression ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2012, présenté pour M. Robert qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la COMMUNE DE L'ETANG SALÉ au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient qu'il n'y a plus lieu de statuer depuis l'adoption d'un nouvel arrêté, le 25 mai 2012, autorisant l'utilisation de véhicules sonorisés à des fins de propagande électorale pendant les périodes électorales officielles ; que le juge des référés du Conseil d'Etat a déjà eu l'occasion de confirmer la suspension d'arrêtés municipaux similaires, en des circonstances analogues à celles de la présente espèce ; qu'aucune irrégularité n'entache l'ordonnance attaquée ; qu'il justifiait d'un intérêt pour agir à l'encontre des arrêtés municipaux litigieux ; que la condition d'urgence était remplie en raison de l'impact d'une telle interdiction pour un candidat aux élections législatives pour lesquelles l'ouverture de la campagne est fixée au 21 mai 2012 ; qu'aucun défaut de diligence de sa part dans la contestation de ces arrêtés ne peut être retenu ; qu'en interdisant de façon générale et absolue l'utilisation de véhicules sonorisés, l'administration a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales de circulation et d'expression ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code électoral ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la COMMUNE DE L'ETANG SALÉ et, d'autre part, M. Robert ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 11 juin 2012 à 11 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la COMMUNE DE L'ETANG SALÉ ;

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. Robert, qui précise que ses conclusions à fin de non-lieu doivent s'entendre comme une fin de non-recevoir tirée de ce que l'appel était sans objet ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) " ;

Considérant que, par un premier arrêté du 27 octobre 2000, le maire de l'Etang Salé, faisant usage des pouvoirs de police qui lui sont conférés par les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, a interdit sur le territoire de sa commune, en vue de préserver la tranquillité publique, " la circulation de tout véhicule équipé de hauts parleurs ou de porte-voix diffusant des publicités, des propagandes ou tout message de quelque nature que ce soit " ; qu'un second arrêté a été pris par cette autorité le 10 juillet 2002, afin de restreindre cette interdiction à certaines utilisations des véhicules ainsi équipés, notamment celles répondant à des fins de propagande électorale ; que, dans le contexte de la campagne électorale précédant les élections législatives des 10 et 17 juin 2012, M. Robert, candidat déclaré à ces élections dans la septième circonscription de La Réunion et qui avait à ce titre intérêt à agir, a saisi le 23 mai 2012 le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis d'une demande de suspension de cette interdiction, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, par l'ordonnance attaquée du 25 mai 2012, le juge des référés a estimé qu'en arrêtant une prohibition générale à l'égard des véhicules sonorisés de propagande électorale, le maire avait porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés de circulation et d'expression ; qu'il a en conséquence suspendu l'exécution de cette mesure pendant la durée de la campagne des élections législatives de 2012 ;

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 522-1 du code de justice administrative : " L'ordonnance du juge des référés porte les mentions définies au chapitre 2 du titre IV du livre VII (...) " ; que par suite, le moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée ne comporterait pas les signatures requises par les dispositions de l'article R. 741-8 qui, étant inséré au chapitre 1er du titre IV du livre VII, n'est pas applicable aux ordonnances de référé, est inopérant ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative : " Sont juges des référés les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, ainsi que les magistrats qu'ils désignent à cet effet et qui, sauf absence ou empêchement, ont une ancienneté minimale de deux ans et ont atteint au moins le grade de premier conseiller " ;

Considérant que l'ordonnance porte la mention, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, de la désignation par le président du tribunal, en qualité de juge des référés, du magistrat qui l'a rendue ; qu'à supposer que ce magistrat n'ait pas atteint le grade requis, il ne ressort pas des pièces du dossier que ceux qui remplissaient cette condition n'aient pas été absents ou empêchés à la date de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que cette ordonnance aurait été rendue par un magistrat n'ayant pas qualité pour exercer les fonctions de juge des référés doit être écarté ;

Au fond :

Considérant, d'une part, que la liberté d'expression a, comme la liberté de communication des idées et des opinions, le caractère d'une liberté fondamentale, à laquelle les autorités de police ne peuvent apporter de restrictions, afin de concilier son exercice avec les exigences de l'ordre public, que dans la mesure où elles sont strictement nécessaires et proportionnées à ces exigences ; qu'il en va tout particulièrement ainsi dans le cadre des campagnes électorales ;

Considérant que, compte tenu du caractère général de la prohibition de toute propagande électorale au moyen de véhicules équipés de hauts parleurs ou de porte-voix, édictée par le maire de l'Etang Salé en vue de préserver la tranquillité publique, mais sans aucune distinction selon l'heure de la journée et alors que l'utilisation à certaines autres fins de véhicules ainsi équipés demeurait permise, le premier juge a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, juger que le maire avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'exercice des libertés dont M. Robert se prévalait en sa qualité de candidat à l'élection du député de la circonscription dans laquelle se situe cette commune ;

Considérant, d'autre part, qu'alors même que l'interdiction litigieuse était en vigueur depuis plusieurs années et que d'autres moyens de diffusion pouvaient être utilisés par M. Robert, le juge des référés a pu estimer, à bon droit, qu'en raison de la proximité des élections en vue desquelles il avait équipé un véhicule d'une sonorisation afin de pouvoir adresser des messages aux électeurs pendant la campagne, la condition d'urgence particulière qui s'attache à la mise en oeuvre des mesures décidées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative pouvait être regardée comme satisfaite ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de ce que l'appel de la commune était sans objet, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge le versement d'une somme de 3 000 euros à M. Robert au même titre ;



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la COMMUNE DE L'ETANG SALÉ est rejetée.
Article 2 : La COMMUNE DE L'ETANG SALÉ versera une somme de 3 000 euros à M. Robert au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la COMMUNE DE L'ETANG SALÉ et à M. Thierry Robert.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.


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