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Ariane Web: Conseil d'État 359479, lecture du 26 septembre 2012, ECLI:FR:CESSR:2012:359479.20120926

Décision n° 359479
26 septembre 2012
Conseil d'État

N° 359479
ECLI:FR:CESSR:2012:359479.20120926
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Raphaël Chambon, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP BOULLOCHE ; SPINOSI, avocats


Lecture du mercredi 26 septembre 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 16 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice ; le garde des sceaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1202500 du 2 mai 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a ordonné, à la demande de M. A...B..., la suspension de l'exécution de la note de service du 21 mars 2012 par laquelle la directrice du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse a organisé les fouilles à l'issue des parloirs " famille ", jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. B...présentée devant le tribunal administratif de Lyon ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Raphaël Chambon, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Spinosi avocat de M. A...B... ;

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de M. A...B... ;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, saisi par M.B... sur le fondement de ces dispositions, a ordonné la suspension de l'exécution de la note de service du 21 mars 2012 par laquelle la directrice du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse a organisé les fouilles à l'issue des parloirs " famille " ; que le garde des sceaux, ministre de la justice se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;

Sur le pourvoi du garde des sceaux :

3. Considérant que l'article L. 5 du code de justice administrative dispose que : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence " ; que selon le premier alinéa de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale " ; que l'article L. 522-3 précise qu'il peut se prononcer sans audience ni instruction lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou qu'il est manifeste qu'elle est irrecevable ou mal fondée ; qu'aux termes de l'article R. 522-8 : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences. / L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'obligation est faite au juge des référés, hors le cas où il est fait application de l'article L. 522-3, de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire, qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure ; que, lorsqu'il décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction ; qu'il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d'informer les parties de la date et, le cas échéant, de l'heure à laquelle l'instruction sera close ; qu'il ne saurait, par suite, rendre son ordonnance tant que l'instruction est ainsi rouverte ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lyon que le mémoire en réplique de M. B...a été produit le 1er mai 2011, la veille de l'audience publique tenue le 2 mai au matin ; que le juge des référés a clos l'instruction à l'issue de l'audience à 10h20 et n'a pas fait usage de la faculté qui lui est laissée de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure ; que ce mémoire a été communiqué au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'était pas représenté à l'audience publique, le même jour à 14h15, soit postérieurement à la clôture de l'instruction et deux heures avant que l'ordonnance du juge des référés ne lui soit notifiée ; qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que le juge des référés du tribunal administratif a irrégulièrement statué ; que, dès lors, le ministre est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la demande de suspension :

En ce qui concerne l'urgence :

7. Considérant que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de cette décision sur sa situation ou, le cas échéant, celle des autres personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;

8. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que M.B..., détenu au...,; que la note de service contestée instaure un régime aléatoire de fouilles à l'issue des parloirs qui expose tous les détenus en bénéficiant, hors le cas des détenus faisant l'objet de mesures de sécurité particulières, à une fouille intégrale en moyenne une fois sur deux ; qu'eu égard à la fréquence et au caractère répété des fouilles intégrales encourues par le requérant, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ;

En ce qui concerne l'existence de moyens propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension est demandée :

9. Considérant qu'aux termes de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes (...) " ;

10. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elle prévoient et, d'autre part, que les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique ;

11. Considérant qu'il ressort de la note de service contestée qu'elle entend réglementer l'ensemble des fouilles pratiquées à l'issue des parloirs " famille ", hors le cas des détenus faisant l'objet de mesures de sécurité particulières ; que le moyen tiré de ce que le système mis en place, eu égard à la fréquence moyenne des fouilles intégrales qu'il impose aux détenus et à la circonstance qu'il ne prévoit pas la possibilité de moduler l'application à un détenu du régime de fouilles intégrales qu'il définit en tenant compte de sa personnalité et de son comportement en détention ainsi que de la fréquence de sa fréquentation des parloirs, méconnaîtrait les dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette note ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à demander la suspension de l'exécution de la note de service du 21 mars 2012 ;

13. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Spinosi, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Me Spinosi ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon du 2 mai 2012 est annulée.
Article 2 : L'exécution de la note de service du 21 mars 2012 par laquelle la directrice du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse a organisé les fouilles à l'issue des parloirs " famille " est suspendue.
Article 3 : L'Etat versera à Me Spinosi, avocat de M.B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à
M. A...B....


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