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Ariane Web: Conseil d'État 372319, lecture du 25 octobre 2013, ECLI:FR:CEORD:2013:372319.20131025

Décision n° 372319
25 octobre 2013
Conseil d'État

N° 372319
ECLI:FR:CEORD:2013:372319.20131025
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, avocats


Lecture du vendredi 25 octobre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 21 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association " Jeunesses nationalistes ", dont le siège est 19, rue de Marseille, à Lyon (69007), représentée par son président, et par M. A...Gabriac, demeurant... ; les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du décret du Président de la République du 25 juillet 2013 portant dissolution de l'association " Jeunesses nationalistes " ;

2°) d'admettre M. Gabriac au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacun des requérants de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que le décret litigieux, en premier lieu, risque de causer un trouble à l'ordre public, en deuxième lieu, viole le principe de la liberté d'expression et, en troisième lieu, porte atteinte au droit de propriété des membres de l'association requérante ;
- il existe plusieurs doutes sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- il méconnaît les articles 4 et 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
- il comporte des erreurs de fait et fait une inexacte application des 5° et 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
- il méconnaît les principes relatifs à la liberté de pensée, de conscience et de religion, à la liberté d'expression et à la liberté de réunion et d'association énoncés aux articles 9 à 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


Vu le décret dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de ce décret ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 octobre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors que les requérants ont tardé à agir devant le juge des référés, que la dissolution de l'association requérante n'empêchera pas ses membres de participer à la vie politique et que le décret de dissolution ne porte atteinte ni aux biens de l'association requérante ni à ceux de ses membres ;
- la procédure administrative liée à la dissolution de l'association requérante s'est déroulée dans le respect du principe du contradictoire ;
- le décret litigieux, qui repose sur la prise en compte d'éléments factuels multiples et avérés, n'est entaché d'aucune erreur de fait et d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;
- le décret litigieux ne méconnaît pas les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 20 octobre 2013, présenté par l'association " Jeunesses nationalistes " et M. Gabriac, qui reprennent les conclusions et les moyens de leur requête ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association " Jeunesses nationalistes " et M. Gabriac, d'autre part, le Premier ministre ainsi que le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 octobre 2013 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Boré, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérants ;

- M. Gabriac ;

- le représentant des requérants ;

- la représentante du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 23 octobre 2013 à 12 heures ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 octobre 2013, présentée par l'association " Jeunesses nationalistes " et M. Gabriac ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la sécurité intérieure, notamment son article L. 212-1 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;


1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (...) 5° (...) qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration ; / 6° (...) qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; (...)" ; que, par décret du 26 juillet 2013, publié au Journal Officiel le 27 juillet 2013, le Président de la République a, sur le fondement des dispositions des 5° et 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, prononcé la dissolution de l'association " Jeunesses nationalistes " ;

3. Considérant que les requérants soutiennent, en premier lieu, que les droits prévus par les articles 4 et 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations n'ont pas été respectés lors de la procédure administrative qui a précédé l'adoption du décret dans la mesure où ils n'ont pas été informés de l'identité de l'agent chargé de traiter leur dossier et où ils ont été privés de la possibilité de présenter des observations orales ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier, et qu'il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté, que les requérants ont eu connaissance de l'identité du fonctionnaire chargé de recueillir leurs observations et que, comme le relève le décret contesté, M. Gabriac, président de l'association n'a pas donné suite aux différents rendez-vous qui lui ont été proposés par le ministre de l'intérieur pour présenter des observations orales ; que, par suite, les moyens tirés de la violation des articles 4 et 24 de la loi du 12 avril 2000 ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à susciter un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

4. Considérant que les requérants soutiennent, en deuxième lieu, que l'association " Jeunesses nationalistes " n'est pas au nombre des associations visées par le 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ; que le décret litigieux retient, sur ce point, que l'association propage, à travers les articles et communiqués qu'elle publie, les nombreux rassemblements, manifestations, commémorations, déplacements et camps de jeunesse qu'elle organise ainsi qu'à travers les actions médiatisées et parfois violentes qu'elle mène, une idéologie incitant à la haine, à la discrimination et à la violence envers des personnes en raison de leur nationalité étrangère, de leur origine ou de leur confession musulmane ou juive ; que l'administration a produit dans le cadre de l'instruction des éléments précis et concordants, notamment en ce qui concerne les déclarations du président de l'association et actions auxquelles ce dernier et des membres de l'association ont participé, de nature à établir la réalité des faits allégués ; que les dénégations générales des requérants, qui se bornent à faire valoir que les statuts de l'association ne contreviennent pas aux dispositions du 6° de l'article L. 212-1, que certains des propos ou écrits ne sont pas imputables aux dirigeants de l'association, sans pour autant nier qu'ils aient été tenus ou rédigés dans le cadre des activités de l'association ou en relation avec ces dernières, ou que les actes commis n'ont pas donné lieu à des condamnations ou à des poursuites pénales, ne sauraient être regardées comme suffisantes pour infirmer la réalité de ces faits ou leur exacte appréciation ; que, par suite, le moyen tiré de la violation du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux ;

5. Considérant, en troisième lieu, que les requérants soutiennent que l'association " Jeunesses nationalistes " ne répond pas aux conditions prévues par le 5° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ; que le décret litigieux retient, sur ce point, que l'association, dont les membres participent à des hommages rendus à des responsables du régime de Vichy et à des miliciens condamnés pour collaboration avec l'ennemi, dont le président et l'un des membres ont été photographiés effectuant le salut hitlérien devant des drapeaux nazis ou dans des tenues inspirées de l'uniforme SS, et qui incite ses adhérents à manifester leur soutien à des révisionnistes et négationnistes emprisonnés, exalte la collaboration avec l'ennemi ; que, si les requérants font valoir que ces commémorations, auxquelles ils ne nient pas avoir participé, se bornent à exalter l'engagement en faveur de la Nation, que le document photographique concernant le président de l'association ne serait qu'un montage et que les actions en faveur de révisionnistes et de négationnistes ne sont pas le fait de membres, et notamment de membres dirigeants, de l'association, de telles allégations, qui ne sont pas étayées par les pièces du dossier, ne sauraient être regardées comme suffisantes pour contrebattre les éléments précis et concordants produits par l'administration afin d'établir la réalité des faits invoqués ainsi que leur exacte appréciation ; que, par suite, le moyen tiré de la violation du 5° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure n'est pas davantage de nature, en l'état de l'instruction, à susciter un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux ;

6. Considérant, enfin, que les moyens tirés de ce que le décret litigieux méconnaîtrait les stipulations des articles 9 à 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entaché de détournement de pouvoir ne sont pas assortis de précisions suffisantes pour en apprécier le bien fondé ; qu'ils ne peuvent pas non plus, dans ces conditions, être regardés comme étant de nature, en l'état de l'instruction, à susciter un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, l'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, la requête de l'association " Jeunesses nationalistes " et de M. Gabriac ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions tendant l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre M. Gabriac au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'association " Jeunesses nationalistes " et de M. Gabriac est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association " Jeunesses nationalistes ", à M. A... Gabriac, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.