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Ariane Web: Conseil d'État 362567, lecture du 24 mars 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:362567.20140324

Décision n° 362567
24 mars 2014
Conseil d'État

N° 362567
ECLI:FR:CESSR:2014:362567.20140324
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
M. Denis Rapone, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du lundi 24 mars 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre et 7 décembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Chambre syndicale nationale des podo-orthésistes, dont le siège est 7, rue de la Michodière à Paris (75002), l'Union des podo-orthésistes de France (UPODEF), dont le siège est 7, avenue Jean Lolive à Pantin (93500), l'Union française des ortho-prothésistes (UFOP), dont le siège est 6, rue Léon Jouhaux à Paris (75010), et la Fédération française de l'appareillage orthopédique (FFAO), dont le siège est 6, rue Léon Jouhaux à Paris (75010) ; la Chambre syndicale nationale des podo-orthésistes et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 1er du décret n° 2012-860 du 5 juillet 2012 relatif aux modalités de prescription et de délivrance des produits et prestations inscrits sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, en tant qu'il insère dans le code de la sécurité sociale un article R. 165-43 qui prévoit que la prise en charge d'un produit ou d'une prestation inscrit sur cette liste ne peut intervenir que si le produit ou la prestation a été effectivement délivré ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Denis Rapone, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la Chambre syndicale nationale des podo-orthésistes et autres ;




Sur la légalité externe des dispositions attaquées :

1. Considérant que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris alors que le Gouvernement n'aurait pas reçu l'avis du Conseil d'Etat auquel avait été soumis le projet de décret manque en fait ;

2. Considérant que le moyen tiré de ce que le dossier soumis au Conseil d'Etat aurait été incomplet n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

3. Considérant que le décret attaqué a été pris après consultation de la section sociale du Conseil d'Etat ; qu'il ressort des pièces produites par le ministre des affaires sociales et de la santé que ce décret ne contient aucune disposition différant à la fois de celles qui figuraient dans le projet soumis par le Gouvernement au Conseil d'Etat et de celles qui ont été adoptées par ce dernier ; que, dès lors, les organisations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret auraient été méconnues ;

4. Considérant que le conseil de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a été saisi pour avis du projet de décret par le Gouvernement le 20 février 2012 ; qu'aux termes du cinquième alinéa de l'article R. 182-2-4 du code de la sécurité sociale : " Le conseil rend son avis sur les projets de loi et de décrets relatifs à l'assurance maladie dont il est saisi par le ministre chargé de la sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles R. 200-3 à R. 200-6 " ; qu'en vertu de l'article R. 200-3 du même code, le conseil devait rendre son avis dans un délai de vingt et un jours à compter de la date de réception du projet ; que, conformément à l'article R. 200-5 du code, faute d'avoir été notifié au ministre par le conseil dans ce délai, cet avis est réputé avoir été rendu ; que, par suite, le moyen tiré de l'absence d'avis motivé et public de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie sur le projet de décret doit être écarté ;

5. Considérant que le moyen tiré de ce que les avis du conseil de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles auraient été rendus dans des conditions irrégulières au regard des règles de composition et de quorum de ces organismes manque en fait ;

Sur la légalité interne des dispositions attaquées :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale : " L'assurance maladie comporte : 1°) La couverture (...) des frais (...) d'appareils (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 165-1 du même code : " Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel (...) et des prestations de services et d'adaptation associées est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé (...) " ;

7. Considérant que l'article 1er du décret attaqué insère dans le code de la sécurité sociale un article R. 165-43 qui précise que la prise en charge d'un produit ou d'une prestation inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du même code ne peut intervenir que si le produit ou la prestation a été effectivement délivré ;

8. Considérant que les organisations requérantes soutiennent que ces dispositions font supporter aux professionnels qu'elles représentent, en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques, la charge des dispositifs d'appareillage sur mesure qu'ils réalisent lorsqu'un événement intervient, tel le décès du patient, qui rend impossible la délivrance de l'appareillage, alors même que ces dispositifs spécialement élaborés et adaptés pour un patient ne peuvent être utilisés par un autre ;

9. Considérant que si les dispositions attaquées subordonnent le remboursement par l'assurance maladie des appareillages réalisés à leur délivrance effective aux assurés, sans que soit pris en charge l'aléa commercial pesant sur les professionnels ayant procédé à leur réalisation mais ne pouvant en effectuer la remise aux assurés du fait de la survenance d'un événement y faisant obstacle, elles s'imposent à tout professionnel de santé placé dans une telle situation et se fondent sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts assignés par le législateur à l'assurance maladie ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles entraîneraient une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté ;

10. Considérant, par ailleurs, que le mécanisme d'entente préalable prévu par l'article R165-23 du code de la sécurité sociale a seulement pour objet de subordonner la prise en charge des produits et prestations dont l'arrêté d'inscription sur la liste des produits ou prestations remboursables le prévoit, notamment en raison de leur coût, à un accord de l'organisme compétent ; que, contrairement à ce que soutiennent les organisations requérantes, cet accord ne saurait valoir " contrat de fabrication " de dispositifs médicaux entre le fabricant et l'assurance maladie, qui obligerait celle-ci à acquitter le prix des produits fabriqués alors même qu'ils n'auraient pas été délivrés ou implantés ; que seul l'assuré social est contractuellement lié au professionnel, dont il a d'ailleurs le libre choix ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que, du fait d'une contradiction avec le mécanisme de l'entente préalable, les dispositions attaquées seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les organisations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'article 1er du décret du 5 juillet 2012 en tant qu'il prévoit que la prise en charge d'un produit ou d'une prestation inscrit sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ne peut intervenir que si le produit ou la prestation a été effectivement délivré ; que leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Chambre syndicale nationale des podo-orthésistes, de l'Union des podo-orthésistes de France (UPODEF), de l'Union française des ortho-prothésistes (UFOP) et de la Fédération française de l'appareillage orthopédique (FFAO) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Chambre syndicale nationale des podo-orthésistes, à l'Union des podo-orthésistes de France (UPODEF), à l'Union française des ortho-prothésistes (UFOP), à la Fédération française de l'appareillage orthopédique (FFAO), au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


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