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Ariane Web: Conseil d'État 372522, lecture du 30 décembre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:372522.20151230

Décision n° 372522
30 décembre 2015
Conseil d'État

N° 372522
ECLI:FR:CESSR:2015:372522.20151230
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème SSR
M. Bastien Lignereux, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP TIFFREAU, MARLANGE, DE LA BURGADE, avocats


Lecture du mercredi 30 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Paribas International a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1995, 1996 et 1997, à raison de la réintégration dans ses résultats imposables des bénéfices réalisés par la société Paribas Suisse Guernesey Ltd, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 0304875 du 20 mai 2008, le tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 08PA04861 du 2 avril 2010, la cour administrative d'appel de Paris a, sur le recours du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, d'une part, remis les impositions et pénalités litigieuses à la charge de la société BNP Paribas, venant aux droits de la société Paribas International, à l'exception d'un montant correspondant à l'impôt acquitté localement par la société Paribas Suisse Guernesey Ltd et, d'autre part, réformé en ce sens le jugement du tribunal administratif de Paris du 20 mai 2008.

Par une décision n° 340420 du 26 décembre 2012, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur le pourvoi de la société BNP Paribas, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.

Par un arrêt n° 13VE00412 du 18 juillet 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté le recours formé par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 20 mai 2008.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er octobre 2013 et 4 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre délégué, chargé du budget, demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Tiffreau, Marlange, de la Burgade, avocat de la société BNP Paribas ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, la société Paribas International a été assujettie, au titre des exercices clos de 1995 à 1997, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles sur cet impôt ainsi qu'aux pénalités correspondantes, à raison de l'inclusion dans son résultat imposable, en application des dispositions de l'article 209 B du code général des impôts, d'une fraction des bénéfices de la société Paribas Suisse Guernesey Ltd, sa sous-filiale établie à Guernesey ; qu'après avoir vainement réclamé auprès de l'administration contre les impositions supplémentaires ainsi mises à sa charge, elle a saisi le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 20 mai 2008, a fait droit à sa demande ; qu'après l'annulation, par une décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 26 décembre 2012, sur le pourvoi de la société BNP Paribas, venant aux droits de la société Paribas International, d'un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 avril 2010 faisant droit au recours du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Versailles a, par un arrêt du 18 juillet 2013, rejeté le recours du ministre, qui se pourvoit en cassation ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 209 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux exercices en litige : " I. Lorsqu'une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés détient directement ou indirectement 25 % au moins des actions ou parts d'une société établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens mentionné à l'article 238 A, cette entreprise est soumise à l'impôt sur les sociétés sur les résultats bénéficiaires de la société étrangère dans la proportion des droits sociaux qu'elle y détient. / Ces bénéfices font l'objet d'une imposition séparée. (...) / II. Les dispositions du I ne s'appliquent pas si l'entreprise établit que les opérations de la société étrangère n'ont pas principalement pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. Cette condition est réputée remplie notamment : / - lorsque la société étrangère a principalement une activité industrielle ou commerciale effective ; / et qu'elle réalise ses opérations de façon prépondérante sur le marché local " ; qu'aux termes de l'article 238 A du même code alors applicable : " (...) les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'État ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France " ;

3. Considérant qu'afin de dissuader les entreprises passibles en France de l'impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices, au travers de filiales créées par elles ou par une de leurs filiales, dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du même code, le premier alinéa du I de l'article 209 B du code général des impôts prévoit, dans sa rédaction applicable aux exercices en litige, que dans le cas où une entreprise passible en France de l'impôt sur les sociétés détient, directement ou indirectement, au moins 25 % des actions ou parts d'une société implantée dans un tel Etat ou territoire, elle est normalement soumise à l'impôt sur les sociétés sur les bénéfices de cette société, à proportion des droits qu'elle y détient ; qu'il n'en va autrement, de manière dérogatoire, que si l'entreprise démontre, ainsi que le prévoit le premier alinéa du II de l'article 209 B, que l'implantation de la filiale, détenue directement ou indirectement, dans un pays à régime fiscal privilégié n'a pas, pour la société mère, principalement pour objet d'échapper à l'impôt français ;

4. Considérant, en premier lieu, que pour juger que la SA BNP Paribas apportait la preuve que les opérations de la société Paribas Suisse Guernesey Ltd, établie à Guernesey et indirectement détenue par la société Paribas International aux droits de laquelle elle vient, n'avaient pas principalement pour objet d'échapper à l'impôt français, la cour s'est fondée sur ce qu'elle justifiait par les pièces produites de l'effectivité de l'activité en cause, ce qui n'est pas argué de dénaturation, et qu'elle faisait valoir que la création de cette sous-filiale avait pour finalité le développement de l'activité de banque privée auprès d'une clientèle internationale attirée par la règlementation bancaire et fiscale et le système juridique de Guernesey ; qu'eu égard, d'une part, à l'activité en cause et, d'autre part, aux particularités du territoire d'implantation, dont la règlementation bancaire et fiscale ainsi que le système juridique étaient en effet susceptibles d'attirer les clients de la banque, la cour n'a pas inversé la charge de la preuve en se fondant sur ces éléments ;

5. Considérant, en second lieu, que les dispositions précitées de l'article 209 B du code général des impôts ont pour finalité la lutte contre l'évasion fiscale de sociétés françaises désirant minorer leurs bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés en France et non contre celle des particuliers qui placent une partie de leur épargne dans un établissement de crédit établi dans un Etat ou territoire à régime fiscal privilégié ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la présence de résidents fiscaux français dans la clientèle de la sous-filiale ainsi que la circonstance que des fonds aient été collectés en France ne faisaient pas obstacle à ce que la société requérante bénéficiât des dispositions du II de l'article 209 B du code général des impôts ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société BNP Paribas d'une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société BNP Paribas une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société BNP Paribas.


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