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Ariane Web: Conseil d'État 386355, lecture du 3 février 2016, ECLI:FR:CECHS:2016:386355.20160203

Décision n° 386355
3 février 2016
Conseil d'État

N° 386355
ECLI:FR:CESJS:2016:386355.20160203
Inédit au recueil Lebon
7ème SSJS
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 3 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



1° Sous le n° 386355, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 décembre 2014 et 13 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 22 octobre 2014 prononçant, à son encontre, une peine disciplinaire de suspension temporaire pour une durée de dix ans de l'exercice des droits et prérogatives attachés à sa qualité de légionnaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 386358, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 décembre 2014 et 13 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 22 octobre 2014 prononçant, à son encontre, une peine disciplinaire de suspension temporaire pour une durée de dix ans de l'exercice des droits et prérogatives attachés à sa qualité de membre de l'ordre national du Mérite ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire ;
- le décret n° 63-1196 du 3 décembre 1963 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. B...;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. B...a été nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret du 31 décembre 1997 et promu officier de l'ordre national du Mérite par décret du 14 mars 2003 ; que par les décrets attaqués du 22 octobre 2014, le Président de la République a décidé de le suspendre pendant une durée de dix ans des droits et prérogatives attachés à sa qualité de membre de ces deux ordres au motif qu'il avait commis des actes contraires à l'honneur ;

2. Considérant que les requêtes de M. B...présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la légalité externe :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 103 du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire : " L'intéressé est averti par le grand chancelier de l'ouverture d'une action disciplinaire à son encontre. Il lui est donné connaissance des pièces de son dossier. / Il est invité, à cette occasion, à produire, dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois, ses explications et sa défense au moyen d'un mémoire établi par lui ou par son avocat. (...) " ; qu'aux termes de l'article 34 du décret du 3 décembre 1963 portant création de l'ordre national du Mérite : " (...) les sanctions et la procédure disciplinaire prévues pour la Légion d'honneur sont applicables aux membres de l'ordre national du Mérite. " ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la lettre par laquelle le grand chancelier de la Légion d'honneur, chancelier de l'ordre national du Mérite, a informé M. B... de l'engagement d'une double action disciplinaire à son encontre et l'a invité à produire un mémoire en défense mentionnait que son dossier était composé de l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble en date du 6 février 2012 l'ayant condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et à 75 000 euros d'amende pour complicité de banqueroute par détournement d'actifs et complicité de faux et usage de faux en écriture et de l'arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2013 ayant rejeté son pourvoi ; que le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas été donné à l'intéressé connaissance des pièces de son dossier ne peut, par suite, qu'être écarté ;

5. Considérant, en second lieu, que les conseils de l'ordre de la Légion d'honneur et de l'ordre national du Mérite, compétents pour rendre un avis sur les sanctions disciplinaires à prendre à l'encontre des membres de leurs ordres, ne sont pas des juridictions au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant ces instances aurait méconnu le droit garanti par ces stipulations est inopérant ;

Sur la légalité interne :

6. Considérant qu'aux termes de l'article R. 89 du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire : " Les peines disciplinaires sont : 1° La censure ; 2° La suspension totale ou partielle de l'exercice des droits et prérogatives ainsi que du droit au traitement attachés à la qualité de membre de l'ordre de la Légion d'honneur ; 3° L'exclusion de l'ordre. " ; qu'aux termes de l'article R. 95 du même code : " L'exercice des droits et prérogatives ainsi que le traitement attachés à la qualité de membre de l'ordre peuvent être suspendus en totalité ou en partie soit en cas de condamnation à une peine correctionnelle, soit en cas de faillite. " ; qu'aux termes de l'article R. 96 du même code : " Les peines disciplinaires prévues au présent chapitre peuvent être prises contre tout membre de l'ordre qui aura commis un acte contraire à l'honneur. " ; qu'ainsi qu'il a été dit, les sanctions prévues pour la Légion d'honneur sont applicables aux membres de l'ordre national du Mérite ;

7. Considérant, en premier lieu, que M. B...soutient que dès lors qu'il a fait l'objet d'une condamnation définitive par le juge pénal, les stipulations de l'article 4 du protocole n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, selon lesquelles " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par des juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat (...) ", faisaient obstacle à ce qu'une action disciplinaire fût engagée à son encontre sur le fondement du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire ; que, toutefois, ces stipulations ne trouvent application, en tout état de cause, qu'en ce qui concerne les procédures pénales, auxquelles ne peut être assimilée la procédure disciplinaire conduisant, le cas échéant, à la suspension ou à l'exclusion d'un ordre national ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les faits pour lesquels M. B...a été condamné par le juge pénal sont constitutifs d'actes contraires à l'honneur ; que, par suite, le Président de la République n'a pas commis d'erreur de droit en estimant qu'ils justifiaient l'infliction d'une peine disciplinaire ;

9. Considérant, enfin, que si le principe de proportionnalité des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, implique que lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues, ce principe ne peut être utilement invoqué lorsque les sanctions sont de nature différente ; qu'il suit de là que la circonstance que les peines complémentaires prévues par le code pénal pour les délits au titre desquels M. B...a été condamné par le juge pénal ne puissent excéder une durée de cinq ans est sans incidence sur la possibilité d'infliger, en application du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire, une suspension d'une durée plus longue ; que la suspension de dix ans prononcée en l'espèce n'est pas disproportionnée à la gravité des faits reprochés à l'intéressé ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation des décrets attaqués ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de M. B...sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au grand chancelier de la Légion d'honneur et au Président de la République.