Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 376235, lecture du 20 juin 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:376235.20160620

Décision n° 376235
20 juin 2016
Conseil d'État

N° 376235
ECLI:FR:CECHR:2016:376235.20160620
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Charline Nicolas, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT ; SCP BOULLOCHE, avocats


Lecture du lundi 20 juin 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Les sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la communauté de l'agglomération rouennaise à leur verser des sommes correspondant au solde du marché ayant pour objet la fourniture et la mise en oeuvre de la structure de la voirie du programme du transport est-ouest rouennais (TEOR).

Par un jugement n°s 0603094, 0801921 du 14 mai 2009, le tribunal administratif de Rouen a fixé au 9 février 2001 la date d'achèvement du marché et déchargé les sociétés des pénalités de retard appliquées par le maître d'ouvrage pour la période du 10 février au 21 mai 2001.

Par un arrêt n°s 09DA01058, 09DA01215 du 19 octobre 2010, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête d'appel présentée par la communauté de l'agglomération rouennaise.

La communauté de l'agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe (CREA), venue aux droits de la communauté de l'agglomération rouennaise, a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par une décision n° 345137 du 16 mai 2012, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt du 19 octobre 2012 en tant qu'il avait statué sur les conclusions de la CREA relatives aux pénalités de retard dans l'exécution du marché et a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai.

Par un arrêt n° 12DA00861 du 10 janvier 2014, la cour administrative d'appel de Douai a, en premier lieu, annulé le jugement du 14 mai 2009 en tant qu'il avait déchargé les sociétés requérantes des pénalités de retard pour la période du 10 février au 21 mai 2001, en deuxième lieu, rejeté leurs conclusions tendant à la décharge des pénalités de retard pour la période du 10 février au 21 mai 2001, en troisième lieu, condamné les sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie à verser à la CREA les intérêts sur les pénalités afférentes à la période comprise entre le 10 février et le 21 mai 2001 à compter du 10 décembre 2007 et leur capitalisation à compter du 18 octobre 2012 ainsi qu'à chaque échéance annuelle et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la CREA et les conclusions incidentes des sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mars, 11 juin 2014 et 11 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de confirmer le jugement du 14 mai 2009 du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il les a déchargées des pénalités de retard pour la période du 10 février au 21 mai 2001, de rejeter la demande de la CREA relative à l'application desdites pénalités et, à titre subsidiaire, d'en modérer le montant ;

3°) de mettre à la charge de la CREA le versement d'une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil, notamment son article 1152 ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charline Nicolas, auditeur,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat des sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-france Normandie, et à la SCP Boulloche, avocat de la métropole Rouen Normandie ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un acte d'engagement du 22 décembre 1999, la communauté de l'agglomération rouennaise, aux droits de laquelle est venue la communauté de l'agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe (CREA) puis la métropole Rouen Normandie (MRN) a confié au groupement composé des sociétés Eurovia Normandie et Devaux, aux droits desquelles sont venues respectivement les sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie, un marché ayant pour objet la fourniture et la mise en oeuvre de la structure de la voirie du programme du transport est-ouest rouennais (TEOR) dans le secteur " A " ; que des réceptions partielles par lot sont intervenues les 9 février et 21 mai 2001 ; que le décompte général et définitif notifié au groupement d'entreprises le 10 décembre 2007 incluait des pénalités de retard dans l'exécution du chantier pour la période allant du 19 janvier au 21 mai 2001 ; que par un jugement du 14 mai 2009, confirmé par un arrêt du 19 octobre 2010 de la cour administrative d'appel de Douai, le tribunal administratif de Rouen a, en retenant la date du 9 février 2001 comme date d'achèvement des travaux, réduit le montant de ces pénalités ; que par une décision du 16 mai 2012, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'il statuait sur les conclusions de la MRN relatives aux pénalités de retard dans l'exécution du marché ; que les sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 10 janvier 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a annulé le jugement du tribunal administratif de Rouen du 14 mai 2009 en tant qu'il les a déchargées des pénalités de retard pour la période du 10 février au 21 mai 2001 et a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge de ces pénalités ;

Sur l'existence et l'imputabilité de retards :

2. Considérant, en premier lieu, que c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel a jugé, par une décision suffisamment motivée sur ce point que, par l'ordre de service n° 13 du 17 novembre 2000, le maître d'ouvrage a ordonné la réalisation des travaux supplémentaires correspondant à la planche n° 462, sans accorder de délai supplémentaire aux constructeurs, l'ordre de service n° 24 du 19 janvier 2001 n'étant qu'une confirmation de l'ordre de service n° 13 ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les travaux supplémentaires correspondant à la planche n° 462 n'avaient pas à être prévus par voie d'avenant au marché, dès lors qu'ils correspondaient à ceux prévus dans les lots confiés aux entreprises et n'avaient pas conduit à un dépassement du montant prévu par le marché ;

4. Considérant, en troisième lieu, que c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et sans commettre d'erreur de droit, que la cour administrative d'appel, dont la décision est suffisamment motivée sur ce point, a jugé que le retard dans l'exécution des travaux de la planche n° 462 devait être regardé comme étant imputable aux seules entreprises aux motifs, d'une part, qu'ordonnés par ordre de service du 17 novembre 2000 ces travaux n'avaient débuté au plus tôt que le 22 janvier 2001, d'autre part, qu'il n'était pas établi que les retards liés à des aléas indépendants de la volonté des entreprises, survenus avant la date prévue pour l'achèvement de l'ensemble des travaux, n'auraient pu être compensés au sein du délai global d'exécution en intervenant dans d'autres secteurs, et qu'enfin le retard dans la mise en oeuvre des enrobés devait être imputé aux entreprises qui n'avaient pas pris à temps les mesures pour solliciter les arrêtés de restriction de circulation permettant d'effectuer les travaux ;

5. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les travaux de la planche n° 462, dont la cour administrative d'appel a jugé, comme il a été dit aux points précédents, qu'ils avaient été intégrés au marché sans délai supplémentaire et qu'ainsi qu'il a été dit au point 4, les retards dans leur exécution sont imputables aux entreprises, ont été les derniers exécutés, retardant ainsi la réception définitive des travaux au 21 mai 2001 ; que dès lors, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que les retards afférents à la réalisation de travaux autres que ceux de la planche n° 462 étaient également imputables aux entreprises, ne peut être utilement soulevé à l'encontre des pénalités pour retard infligées pour la période du 10 février au 21 mai 2001 ; que par suite, le moyen doit être écarté ;

Sur les pénalités de retard :

6. Considérant, en premier lieu, que les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir de la méconnaissance par la MRN du principe de loyauté des relations contractuelles au motif qu'elle aurait mis tardivement à leur charge des pénalités de retard pour la période du 10 février au 21 mai 2001, dès lors que ces pénalités résultent de la mise en oeuvre de stipulations convenues entre les parties ;

7. Considérant, en second lieu, que, pour écarter les conclusions tendant à la modération du montant des pénalités, la cour administrative d'appel a énoncé qu'il ne résultait pas de l'instruction que les pénalités laissées à la charge du groupement, représentant 4 % du montant du marché, atteindraient un montant manifestement excessif ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis à son examen que les pénalités appliquées par la MRN représentaient approximativement 26 % du montant total du marché tel qu'il ressortait du décompte général, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier ; que son arrêt doit, par suite, être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions tendant à la modération des pénalités de retard ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à la modération de l'ensemble des pénalités de retard ;

9. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler dans cette mesure, l'affaire au fond ;

10. Considérant qu'il est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d'augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s'inspire l'article 1152 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché ;

11. Considérant que si les sociétés requérantes font valoir que la MRN n'a subi aucun préjudice réel du fait des retards survenus dans l'exécution des travaux et que le montant des pénalités a pour effet de réduire à néant leur marge bénéficiaire, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, que les pénalités infligées par la MRN au groupement d'entreprises, qui représentent approximativement 26 % du montant total du marché, atteindraient un montant manifestement excessif ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions des sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie présentées devant la cour administrative d'appel et tendant à la modération des pénalités de retard, doivent être rejetées ; que le surplus des conclusions du pourvoi de ces sociétés doit également être rejeté ;

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par les sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie soit mise à la charge de la métropole Rouen Normandie qui n'est pas partie perdante dans la présente instance ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée par la métropole Rouen Normandie sur le même fondement ;


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 10 janvier 2014 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions aux fins de modération de l'ensemble des pénalités de retard.
Article 2 : Les conclusions des sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie présentées devant la cour administrative d'appel de Douai et tendant à la modération des pénalités de retard sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi des sociétés Eurovia Haute-Normandie et Colas Ile-de-France Normandie et les conclusions de la métropole Rouen Normandie présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Eurovia Haute-Normandie, à la société Colas Ile-de-France Normandie et à la métropole Rouen Normandie.


Voir aussi