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Ariane Web: Conseil d'État 380716, lecture du 19 juillet 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:380716.20160719

Décision n° 380716
19 juillet 2016
Conseil d'État

N° 380716
ECLI:FR:CECHR:2016:380716.20160719
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Jean-Luc Matt, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mardi 19 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1. La SAS Fruitofood a demandé au tribunal administratif d'Orléans le remboursement d'une somme de 113 723 euros à raison de l'éligibilité au crédit d'impôt recherche, au titre de l'exercice clos le 30 juin 2010, des projets "Stabilisation des eaux aromatiques Onativ'", "Encapsulation des poudres de fruit", "Solubilisation des poudres de fruit" et "Débactérisation des poudres de fruit". Par un jugement n° 1103630 du 7 juin 2012, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12NT02298 du 13 mars 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la SAS Fruitofood contre ce jugement.

Sous le n° 380716, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mai et 27 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Fruitofood demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Sous le n° 380717, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mai et 27 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Fruitofood demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société Fruitofood ;



1. Considérant que les pourvois visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article L. 45 B du livre des procédures fiscales : " La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du code général des impôts peut, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de l'administration des impôts qui demeure seule compétente pour l'application des procédures de rectification, être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 45 B-1 du même livre, dans sa rédaction alors applicable : " La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt mentionné à l'article L. 45 B peut être vérifiée soit par des agents dûment mandatés par le directeur de la technologie, soit par les délégués régionaux à la recherche et à la technologie ou par des agents dûment mandatés par ces derniers. (...) " ;

3. Considérant que, comme à toute autorité administrative, le principe d'impartialité s'impose aux agents mandatés par le ministère chargé de la recherche et de la technologie pour vérifier, à la demande de l'administration fiscale, la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche ; que, pour pouvoir s'assurer du respect de ce principe général du droit, le contribuable doit avoir connaissance du nom de l'agent mandaté pour procéder à ces vérifications concernant ses projets de recherche, quand bien même cet agent aurait rempli une déclaration d'absence de conflit d'intérêt ;

4. Considérant que la demande de remboursement d'un crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement du II de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation préalable au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que la décision par laquelle l'administration fiscale rejette tout ou partie d'une telle réclamation n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de redressement ; qu'ainsi, les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction d'une telle réclamation sont sans incidence sur le bien-fondé de la décision de refus de rembourser un crédit d'impôt recherche ;

5. Considérant toutefois, d'une part, que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; que, d'autre part, il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis, et notamment de requérir des parties ainsi que, le cas échéant, de tiers, en particulier des administrations compétentes, la communication des documents qui lui permettent de vérifier les allégations des requérants et d'établir sa conviction ; qu'il lui incombe ainsi de mettre en oeuvre ses pouvoirs d'instruction pour apprécier le bien fondé d'un moyen tiré de l'absence d'impartialité alléguée de l'agent mandaté par le délégué régional à la recherche et à la technologie pour apprécier la réalité de l'affectation à la recherche de dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche ; que, s'il est conduit à écarter le rapport établi par cet agent en raison du défaut d'impartialité de ce dernier, il doit lui-même déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à la demande de remboursement de crédit d'impôt recherche, le cas échéant après avoir prescrit une expertise en application de l'article R. 621-1 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que l'administration fiscale n'a pas communiqué, au cours de la procédure juridictionnelle, le nom de l'agent mandaté par le délégué régional à la recherche et à la technologie qui s'est prononcé sur l'éligibilité des projets du contribuable au crédit d'impôt recherche ; que la cour a commis une erreur de droit en jugeant qu'il appartenait au contribuable d'apporter la preuve que cet agent n'avait pas eu l'impartialité requise, alors que, faute de connaître le nom de cet agent, le contribuable n'était pas en mesure d'apporter une telle preuve et qu'il appartenait à la cour de mettre en oeuvre ses pouvoirs d'instruction auprès de l'administration, seule en mesure de fournir cette information, afin de pouvoir vérifier l'impartialité de cet agent ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de ses pourvois, la SAS Fruitofood est fondée à demander l'annulation des arrêts qu'elle attaque ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros à verser à la SAS Fruitofood au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les arrêts du 13 mars 2014 de la cour administrative d'appel de Nantes sont annulés.
Article 2 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'État versera à la SAS Fruitofood une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SAS Fruitofood et au ministre des finances et des comptes publics.


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