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Ariane Web: Conseil d'État 390874, lecture du 5 octobre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:390874.20161005

Décision n° 390874
5 octobre 2016
Conseil d'État

N° 390874
ECLI:FR:CECHR:2016:390874.20161005
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Christophe Pourreau, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats


Lecture du mercredi 5 octobre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Le 26 juillet 2012, la société Le Parc de la Touques a demandé au tribunal administratif de Caen de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2004 au 31 juillet 2007, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1201507 du 2 juillet 2013, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13NT02496 du 9 avril 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 juin et 7 septembre 2015 et les 13 mai et 5 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Parc de la Touques demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive n° 77/388/CEE du 17 mai 1977 ;
- la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société Le Parc de La Touques ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Le Parc de la Touques exploite un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), relevant du 6° de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, dans lequel sont rendues des prestations de soins, exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 1° ter du 4 de l'article 261 du code général des impôts, et des prestations d'hébergement et de restauration et des prestations liées à la dépendance, imposées à la taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2004 au 31 juillet 2007, l'administration, après avoir estimé que ces différentes activités ne pouvaient pas faire l'objet de secteurs distincts pour les besoins de la taxe sur la valeur ajoutée, a considéré que la taxe grevant les dépenses d'administration générale de l'établissement et de fonctionnement et d'entretien général des bâtiments n'était déductible qu'à hauteur du prorata de déduction de la taxe. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 avril 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 2 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités auxquels elle a été assujettie à la suite de cette vérification.

2. Aux termes du 1 du I de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ". Aux termes du 1 de l'article 273 du même code : " 1. Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les conditions d'application de l'article 271. / Ils fixent notamment : / (...) - les modalités suivant lesquelles la déduction de la taxe ayant grevé les biens ou services qui ne sont pas utilisés exclusivement pour la réalisation d'opérations imposables doit être limitée ou réduite ". Aux termes de l'article 219 de l'annexe II à ce code, dans sa rédaction en vigueur lors de la période litigieuse : " Les assujettis qui ne réalisent pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction sont autorisés à déduire la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé ces mêmes biens et services dans les limites ci-après : / (...) c. Lorsque leur utilisation aboutit concurremment à la réalisation d'opérations dont les unes ouvrent droit à déduction et les autres n'ouvrent pas droit à déduction, une fraction de la taxe qui les a grevés est déductible. Cette fraction est déterminée dans les conditions prévues aux articles 212 à 214 ". En vertu, enfin, de l'article 212 de la même annexe, cette fraction, appelée prorata de déduction, est égale au rapport entre le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction et le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction et aux opérations n'ouvrant pas droit à déduction.

3. Il résulte des dispositions visées au point 2, à la lumière, notamment, de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 29 octobre 2009, Skatteverket c/ AB SKF, C-29/08, relatif à l'interprétation des dispositions communautaire dont elles assurent la transposition et qui figurent, pour la période litigieuse, aux articles 1er, 168 et 173 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en premier lieu, que le droit à déduction existe dans le cas où l'opération en amont soumise à cette taxe se trouve en lien direct et immédiat avec une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, en deuxième lieu, que, si tel n'est pas le cas, il y a lieu d'examiner si les dépenses effectuées pour acquérir des biens ou des services en amont font partie des frais généraux liés à l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti et, en troisième lieu, que, dans l'un ou l'autre cas, l'existence d'un lien direct et immédiat présuppose que le coût des prestations en amont est incorporé respectivement dans le prix des opérations particulières en aval ou dans le prix des biens ou des services fournis par l'assujetti dans le cadre de ses activités économiques. Ainsi, si, en règle générale, la déductibilité n'est que partielle, à hauteur du prorata de déduction, lorsque les biens ou services sont utilisés concurremment pour la réalisation d'opérations taxées et pour la réalisation d'opérations exonérées, elle est intégrale dans l'hypothèse particulière où l'assujetti est tenu de répercuter l'intégralité du coût de ces dépenses dans le prix de ses seules opérations taxées, alors même que les dépenses seraient aussi utilisées pour les opérations exonérées.

4. Les dépenses d'administration générale d'un EHPAD et de fonctionnement et d'entretien général de ses bâtiments concourent tant à la réalisation des prestations de soins qu'à la réalisation des prestations d'hébergement et de restauration et des prestations liées à la dépendance. Toutefois, en vertu des articles R. 314-158 à R. 314-163 du code de l'action sociale et des familles et de l'annexe 3-2 à ce code, l'ensemble de ces dépenses est obligatoirement incorporé dans les tarifs afférents à l'hébergement et à la dépendance, lesquels sont imposés à la taxe sur la valeur ajoutée, et non dans le tarif afférent aux soins, qui n'incorpore que les charges relatives aux prestations de soins, à l'emploi du personnel assurant les soins et au matériel médical. Dès lors, ces dépenses ne peuvent être regardées comme faisant partie des éléments constitutifs du prix des prestations de soins, qui sont les seules à être exonérées de la taxe. Ainsi, en jugeant que la circonstance que ces dépenses sont intégralement incorporées dans les tarifs des prestations d'hébergement et de dépendance était sans incidence sur le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, la société Le Parc de la Touques est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Le Parc de la Touques au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 9 avril 2015 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la société Le Parc de la Touques une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Le Parc de la Touques et au ministre des finances et des comptes publics.


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