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Ariane Web: Conseil d'État 402798, lecture du 19 mai 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:402798.20170519

Décision n° 402798
19 mai 2017
Conseil d'État

N° 402798
ECLI:FR:CECHR:2017:402798.20170519
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
Mme Sabine Monchambert, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du vendredi 19 mai 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice d'ordonner au département des Alpes-Maritimes, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, de lui verser les mensualités de la prestation de compensation du handicap pour la période du 1er juin 2014 au 30 septembre 2017, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1603090 du 8 août 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a enjoint au département des Alpes-Maritimes de verser à Mme B...les sommes dues au titre de la prestation de compensation de son handicap à compter du 1er juin 2014 et jusqu'à la date de sa décision puis, pour la période restante, de lui verser mensuellement la somme due.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 24 août et les 8 septembre et 25 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Alpes-Maritimes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 8 août 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Nice ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de MmeB... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sabine Monchambert, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du département des Alpes-Maritimes.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Il résulte de ces dispositions que, saisi d'une demande présentée sur ce fondement, qui n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, notamment sous forme d'injonctions adressées à l'administration, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. En raison du caractère subsidiaire du référé régi par l'article L. 521-3, le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L 521-2. Enfin, il ne saurait faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, même celle refusant la mesure demandée, à moins qu'il ne s'agisse de prévenir un péril grave.

2. Aux termes du I de l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France métropolitaine, (...) dont l'âge est inférieur à une limite fixée par décret et dont le handicap répond à des critères définis par décret prenant notamment en compte la nature et l'importance des besoins de compensation au regard de son projet de vie, a droit à une prestation de compensation qui a le caractère d'une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces (...) ". Il résulte des dispositions des articles L. 245-2 et L. 241-6 de ce code que si la prestation de compensation est accordée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, compétente pour apprécier si les besoins de compensation de l'adulte handicapé en justifient l'attribution, elle est servie par le département où le demandeur a son domicile de secours ou, à défaut, où il réside. En vertu de l'article L. 241-8 du même code, les décisions du département chargé du paiement de la prestation de compensation sont prises conformément à la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, " sous réserve que soient remplies les conditions d'ouverture du droit aux prestations ". A ce titre, il incombe au département de vérifier que les conditions administratives d'octroi de la prestation, y compris la condition de résidence stable et régulière en France posée par l'article L. 245-1 précité, sont réunies. Il lui revient également, en application de l'article D. 245-43 du code de l'action sociale et des familles, de déduire, le cas échéant, du montant mensuel de la prestation de compensation attribuée au titre des charges liées à un besoin d'aides humaines, le montant de la prestation de sécurité sociale en espèces ayant le même objet que la personne handicapée perçoit et de définir, en application de l'article R. 245-46 du même code, le taux de prise en charge, de 80 ou 100 % selon la situation financière de la personne handicapée.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, bénéficiaire d'une décision prise le 22 janvier 2013 par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées des Alpes-Maritimes lui accordant la prestation de compensation du handicap sous sa forme " aides humaines " au titre d'un forfait surdité, pour un montant mensuel maximal attribuable de 366,60 euros par mois pour la période du 1er septembre 2012 au 30 septembre 2017, Mme B...a, faute de tout versement, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice d'enjoindre au département des Alpes-Maritimes, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, de lui verser les mensualités dues au titre de cette prestation à compter du 1er juin 2014 et jusqu'au 30 septembre 2017.

4. Pour enjoindre au département des Alpes-Maritimes, par l'ordonnance attaquée, de procéder au versement de la prestation de compensation sollicitée par Mme B..., le juge des référés a jugé qu'il résultait de l'article L. 245-2 du code de l'action sociale et des familles que, dès lors que la prestation est accordée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, il incombe nécessairement au département du domicile du demandeur de la verser à ce dernier, alors même qu'une contestation sérieuse sur les conditions d'ouverture du droit à la prestation serait soulevée. Il a ainsi commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que le département des Alpes-Maritimes est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'ordonnance du 8 août 2016. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-3 rappelées au point 1 que, lorsque le juge des référés est saisi sur le fondement de ces dispositions, il ne saurait faire obstacle, par les mesures qu'il prescrit, à l'exécution d'une décision administrative, même de celle qui refuse la mesure demandée, à moins qu'il ne s'agisse de prévenir un péril grave.

8. Aux termes du premier alinéa de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction applicable au litige : " Sauf dans les cas où un régime de décision implicite d'acceptation est institué dans les conditions prévues à l'article 22, le silence gardé pendant plus de deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet ". Lorsqu'une personne handicapée demande le bénéfice de la prestation de compensation et que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées lui reconnaît le droit à cette prestation avant que le département ne se soit prononcé sur les autres conditions d'ouverture de ce droit, le silence gardé par le département pendant plus de deux mois après la décision de la commission ou, en cas de demande de pièces complémentaires dans les conditions prévues par le décret du 6 juin 2001, après la réception de ces pièces ou, au plus tard, après l'expiration du délai fixé par l'administration pour les produire, fait nécessairement naître une décision implicite de refus de versement de cette prestation.

9. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du 22 janvier 2013 attribuant à Mme B... le bénéfice de la prestation de compensation du handicap, dans son volet " aides humaines ", pour la période du 1er septembre 2012 au 30 septembre 2017, le département des Alpes-Maritimes a, dans le cadre de l'instruction de son dossier en vue de la liquidation de la prestation, demandé à l'intéressée, par un courrier du 24 janvier 2013, de produire son avis d'imposition ou de non-imposition à l'impôt sur le revenu, sans toutefois lui indiquer le délai dans lequel il lui appartenait de le produire. Le silence gardé pendant plus de deux mois par le département à la suite de la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a, dans ces conditions, fait naître une décision implicite de rejet le 22 mars 2013. Par suite, l'injonction qui serait adressée au département de verser la prestation de compensation sollicitée par MmeB..., sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, ferait obstacle à l'exécution d'une décision administrative.

10. Il résulte de ce qui précède que l'une au moins des conditions posées par l'article L. 521-3 du code de justice administrative n'est pas remplie. Dès lors, la demande de Mme B..., à qui il appartient, si elle s'y croit fondée, de saisir la commission départementale d'aide sociale des Alpes-Maritimes compétente pour connaître de la décision implicite du département lui refusant l'octroi de la prestation de compensation du handicap, doit être rejetée.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B...le versement de la somme que demande le département des Alpes-Maritimes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge du département.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 8 août 2016 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme B...au juge des référés du tribunal administratif de Nice est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du département des Alpes-Maritimes présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département des Alpes-Maritimes et à Mme A...B....
Copie en sera adressée à la commission départementale d'aide sociale des Alpes-Maritimes.


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