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Ariane Web: Conseil d'État 403810, lecture du 28 décembre 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:403810.20171228

Décision n° 403810
28 décembre 2017
Conseil d'État

N° 403810
ECLI:FR:CECHR:2017:403810.20171228
Inédit au recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
M. Frédéric Pacoud, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du jeudi 28 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 septembre et 27 décembre 2016, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 juillet 2016 par laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé a rejeté sa demande, reçue par le Premier ministre le 6 juin 2016, tendant à l'adoption du décret d'application du 8° de l'article L. 5125-1-1 A du code de la santé publique, ainsi que, en tant que de besoin, la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur cette demande ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'édicter ce décret dans un délai de quatre mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 4 mai 2012 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d'officine et l'assurance maladie ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat du Conseil national de l'ordre des pharmaciens.



Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir :

1. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par l'article 13. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle.

2. Aux termes de l'article L. 5125-1-1 A du code de la santé publique : " Dans les conditions définies par le présent code, les pharmaciens d'officine :/ (...) 8° Peuvent proposer des conseils et prestations destinés à favoriser l'amélioration ou le maintien de l'état de santé des personnes. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application des 7° et 8° ".

3. Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dont elles sont issues, que ces dispositions visent à permettre aux pharmaciens d'officine de remplir de nouvelles missions, en complément des missions qui leur incombaient déjà légalement au titre, en particulier, de l'acte de dispensation du médicament, lequel inclut, en vertu de l'article R. 4235-48 du code de la santé publique, la préparation éventuelle des doses à administrer ainsi que la mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament. Ce faisant, le législateur n'a pas entendu ouvrir au pouvoir réglementaire une simple faculté mais le charger de prendre les mesures nécessaires à l'application de ces dispositions, en précisant le contenu et les conditions d'exercice de ces nouvelles missions, pouvant relever notamment de l'éducation à la santé, de la prévention et du dépistage de certaines affections, de la lutte contre les addictions, du suivi de certains traitements ou encore de la prévention de la iatrogénie médicamenteuse.

4. Il est vrai que le 8° ajouté à l'article L. 162-16-1 du code de la sécurité sociale par la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 renvoie à la convention définissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et l'ensemble des pharmaciens titulaires d'officine la détermination de la rémunération, autre que celle des marges des produits, versée par les régimes obligatoires d'assurance maladie en contrepartie du respect d'engagements individualisés pouvant " porter sur la dispensation, la participation à des actions de dépistage ou de prévention, l'accompagnement de patients atteints de pathologies chroniques, des actions destinées à favoriser la continuité et la coordination des soins, ainsi que sur toute action d'amélioration des pratiques et de l'efficience de la dispensation ". Toutefois, si ces dispositions poursuivent, pour partie, le même objectif, elles ne peuvent être regardées comme s'étant substituées à celles du 8° de l'article L. 5125-1-1 A du code de la santé publique. De même, la convention définissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les pharmaciens titulaires d'officine, approuvée par arrêté interministériel, ne peut tenir lieu, contrairement à ce que soutient le ministre des solidarités et de la santé, des mesures réglementaires qui, selon les termes mêmes de la loi, doivent être définies par décret en Conseil d'Etat.

5. Le refus du ministre des affaires sociales et de la santé de proposer à la signature du Premier ministre, qui lui avait transmis la demande du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, le décret dont ce dernier sollicitait l'intervention est intervenu près de sept ans après la publication de la loi du 21 juillet 2009, soit bien après l'expiration du délai raisonnable qui était imparti au Gouvernement pour le prendre. Ce refus est, en conséquence, entaché d'illégalité.

6. Il résulte de ce qui précède que le Conseil national de l'ordre des pharmaciens est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque rejetant sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. L'annulation de la décision attaquée implique nécessairement que le Premier ministre prenne le décret nécessaire à l'application de la loi. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de lui enjoindre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des pharmaciens au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La décision du ministre des affaires sociales et de la santé refusant de proposer à la signature du Premier ministre le décret en Conseil d'Etat nécessaire à l'application du 8° de l'article L. 5125-1-1 A du code de la santé publique est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, le décret en Conseil d'Etat nécessaire à l'application du 8° de l'article L. 5125-1-1 A du code de la santé publique.
Article 3 : L'Etat versera au Conseil national de l'ordre des pharmaciens la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des pharmaciens, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée à la présidente de la section du rapport et des études.