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Ariane Web: Conseil d'État 407840, lecture du 28 décembre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:407840.20171228

Décision n° 407840
28 décembre 2017
Conseil d'État

N° 407840
ECLI:FR:CECHR:2017:407840.20171228
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Marie Gautier-Melleray, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du jeudi 28 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n°407840, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 février, 5 octobre et 11 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Promouvoir demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le II de l'article 1er du décret n° 2017-150 du 8 février 2017 relatif au visa d'exploitation cinématographique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n°409465, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 1er avril, 5 octobre et 11 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Action pour la dignité humaine demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le II de l'article 1er du décret n°2017-150 du 8 février 2017 relatif au visa d'exploitation cinématographique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu :
- le code pénal ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de l'association Promouvoir et de l'association Action pour la dignité humaine ;


Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de l'association Promouvoir et de l'association Action pour la dignité humaine sont dirigées contre les mêmes dispositions du code du cinéma et de l'image animée issues de l'article 1er du décret du 8 février 2017 relatif au visa d'exploitation cinématographique. Il y a lieu de les joindre pour statuer sur une seule décision.

Sur la légalité externe :

2. Aux termes de l'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles, " A...protection de l'enfance (...) comprend des actions de prévention en faveur de l'enfant et de ses parents, l'organisation du repérage et du traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l'enfant ainsi que les décisions administratives et judiciaires prises pour sa protection ". Aux termes de l'article D. 148-1 du même code " Le Conseil national de la protection de l'enfance favorise la coordination des acteurs de la protection de l'enfance. (...) le Conseil national de la protection de l'enfance est consulté sur les projets de texte législatif ou réglementaire portant à titre principal sur la protection de l'enfance ". Le décret du 8 février 2017 qui a pour objet la définition des conditions de délivrance et des modalités de contrôle juridictionnel des visas d'exploitation cinématographique ne porte pas, à titre principal, sur la protection de l'enfance telle qu'elle est définie par l'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles précité. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'un vice de procédure faute d'avoir été précédé de la consultation du Conseil national de la protection de l'enfance ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

3. Aux termes de l'article L. 311-2 du code du cinéma et de l'image animée, " Le produit de la taxe sur le prix des entrées aux séances organisées dans les établissements de spectacles cinématographiques mentionnée à l'article L. 115-1 perçue à l'occasion de la représentation d'oeuvres ou de documents cinématographiques ou audiovisuels à caractère pornographique ou d'incitation à la violence n'est pas pris en compte dans le calcul des droits aux aides automatiques./Les oeuvres et documents précités ainsi que les établissements de spectacles cinématographiques où ils sont représentés ne peuvent bénéficier d'aucune aide sélective [...] La liste des oeuvres et documents auxquels s'appliquent les dispositions du présent article est établie par le ministre chargé de la culture lors de la délivrance du visa d'exploitation cinématographique [...] ". L'article R. 211-12 du même code dispose, dans sa rédaction issue du décret du 8 février 2017 relatif au visa d'exploitation cinématographique, que : " I . - Le visa d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes : / 1° Autorisation de la représentation pour tous publics ; /2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ; /3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; /4° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans ; /5° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l'oeuvre ou du document sur la liste prévue à l'article L. 311-2. /II. - La mesure de classification, assortie le cas échéant de l'avertissement prévu à l'article R. 211-13, est proportionnée aux exigences tenant à la protection de l'enfance et de la jeunesse, au regard de la sensibilité et du développement de la personnalité propres à chaque âge, et au respect de la dignité humaine. /Lorsque l'oeuvre ou le document comporte des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser, le visa d'exploitation ne peut s'accompagner que de l'une des mesures prévues au 4° et au 5° du I. /Dans le cas prévu au précédent alinéa, le parti pris esthétique ou le procédé narratif sur lequel repose l'oeuvre ou le document peut justifier que le visa d'exploitation ne soit accompagné que de la mesure prévue au 4° du I ".

4. Contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions attaquées des deuxième et troisième alinéas du II de l'article R. 211-12 précité, qui ne sont pas équivoques et ne méconnaissent pas l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ont fait une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 311-2 du code du cinéma et de l'image animée en définissant les films à caractère pornographique et d'incitation à la violence devant être inscrits, en vertu du 5° du I de cet article R. 211-12, sur la liste prévue à l'article L. 311-2, ce qui a notamment pour effet de les priver de toute aide sélective, comme des oeuvres comportant des scènes de sexe ou de grande violence de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser sans qu'aucun parti pris esthétique ou procédé narratif ne justifie seulement une interdiction de représentation aux mineurs de 18 ans, sur le fondement du 4° du I de l'article R. 211-12, laquelle peut en outre être légalement décidée pour répondre aux exigences tenant à la protection de l'enfance et de la jeunesse et au respect de la dignité humaine.

5. Aux termes de l'article 227-24 du code pénal, " Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ". Alors même que le champ des messages à caractère violent et pornographique visés par les dispositions précitées excède celui des films à caractère pornographique et d'incitation à la violence devant être inscrits sur la liste prévue à l'article L. 311-2 du code du cinéma et de l'image animée tel qu'il résulte de la définition qu'en donnent légalement les dispositions attaquées de l'article R. 211-12 du code du cinéma et de l'image animée, ces dernières ne sauraient méconnaître l'article 227-24 du code pénal dès lors qu'elles prévoient à tout le moins une interdiction de représentation aux mineurs de 18 ans de tout film comportant des scènes de sexe ou de grande violence de nature à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les associations Promouvoir et Action pour la dignité ne sont pas fondées à demander l'annulation des dispositions de l'article 1er du décret du 8 février 2017 qu'elles attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.




D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes des associations Promouvoir et Action pour la dignité humaine sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Promouvoir, à l'association Action pour la dignité humaine, à la ministre de la culture et au Premier ministre.


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