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Ariane Web: Conseil d'État 402177, lecture du 30 mai 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:402177.20180530

Décision n° 402177
30 mai 2018
Conseil d'État

N° 402177
ECLI:FR:CECHR:2018:402177.20180530
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Aurélien Caron, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BOUZIDI, BOUHANNA, avocats


Lecture du mercredi 30 mai 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011 et des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1401005 du 24 mars 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15NC00947 du 23 juin 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de M. et MmeB..., annulé ce jugement et fait droit à leur demande.

Par un pourvoi, enregistré le 5 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1, 2 et 3 de cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. et Mme A...B....




Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B...ont souscrit au capital de plusieurs sociétés en participation gérées par la société Dom Tom Défiscalisation. Les investissements de ces sociétés, réalisés en 2010 à la Martinique, ont consisté en des centrales photovoltaïques installées sur les toits des habitations de particuliers et données en location à d'autres sociétés en vue de leur exploitation pour la production et la vente d'énergie électrique. M. et Mme B...ont entendu bénéficier à ce titre d'une réduction d'impôt sur le revenu au titre des années 2010 et 2011, sur le fondement de l'article 199 undecies B du code général des impôts. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause cette réduction d'impôt opérée au titre de l'année 2010, ainsi que le report de l'excédent sur l'année 2011, au motif que les investissements en cause n'étaient pas éligibles au bénéfice de la réduction d'impôt en l'absence de raccordement des centrales photovoltaïques au réseau électrique géré par la société Électricité de France (EDF) à la date du 31 décembre 2010. M. et Mme B...ont saisi de ce litige le tribunal administratif de Strasbourg, qui a rejeté leur demande, puis la cour administrative d'appel de Nancy qui, par l'arrêt du 23 juin 2016 contre lequel le ministre se pourvoit en cassation, a annulé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg et leur a accordé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu ainsi que des majorations correspondantes.

2. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". L'obligation ainsi faite à l'administration fiscale de tenir à la disposition du contribuable qui le demande, avant la mise en recouvrement d'impositions établies au terme d'une procédure de rectification contradictoire ou par voie d'imposition d'office, les documents ou copies de documents qui contiennent les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux redressements correspondants, sauf dans le cas où ces renseignements sont librement accessibles au public, permet au contribuable de vérifier l'authenticité de ces documents et d'en discuter la teneur ou la portée et constitue ainsi une garantie pour l'intéressé. Cette obligation ne peut toutefois porter que sur les documents originaux ou les copies de ces documents effectivement détenus par les services fiscaux. Par suite, dans le cas où l'administration, dans l'exercice de son droit de communication, a pris des copies des documents détenus par un autre service, elle est tenue, en principe, de mettre l'intégralité de ces copies à la disposition du contribuable. Cependant, l'obligation du secret professionnel prévu à l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, peut faire obstacle à la communication par l'administration à un contribuable de renseignements concernant un tiers, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet. Dès lors, des redressements fondés sur des documents dont les copies détenues par les services fiscaux n'ont été communiquées au contribuable qu'après occultation des informations couvertes par un tel secret peuvent être régulièrement établis.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale s'est expressément prévalue, dans sa proposition de rectification et sa réponse aux observations de M. et MmeB..., de renseignements extraits d'un procès-verbal de synthèse de la brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) daté du 31 août 2011 et d'un rapport établi par un expert en énergie solaire le 6 mai 2011. Ces deux documents ont été obtenus grâce à l'exercice, par l'administration fiscale, du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire prévu à l'article L. 101 du livre des procédures fiscales. A la demande des contribuables, l'administration leur a transmis une copie de l'intégralité du rapport d'expertise mais ne leur a communiqué que quatre des vingt pages du procès-verbal de synthèse de la BRDE au motif que les seize pages occultées étaient couvertes par le secret professionnel et l'obligation de respect de la vie privée d'un tiers.

4. Dans l'hypothèse où l'administration fiscale estime que certains documents ou certaines copies de documents qui se trouvent en sa possession et qu'elle a utilisés pour fonder un redressement ne peuvent être communiqués au contribuable qu'après occultation des informations couvertes par un secret protégé par la loi, il lui appartient, dans tous les cas, d'apporter des éléments d'information appropriés sur la nature des passages occultés et les raisons de leur occultation. En exigeant de l'administration, dans le cadre du litige dont elle était saisie, qu'elle établisse que les seize pages occultées du procès-verbal de synthèse de la BRDE étaient couvertes par un secret protégé par la loi, la cour administrative d'appel de Nancy est allée au-delà des exigences susceptibles d'être mises à sa charge dans une telle hypothèse et a ainsi entaché son arrêt d'une erreur de droit. Par suite, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à en demander l'annulation sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi.

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 23 juin 2016 de la cour administrative de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme B...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à M. et MmeB....


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