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Ariane Web: Conseil d'État 391860, lecture du 6 juin 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:391860.20180606

Décision n° 391860
6 juin 2018
Conseil d'État

N° 391860
ECLI:FR:CECHR:2018:391860.20180606
Publié au recueil Lebon
4ème et 1ère chambres réunies
M. Bruno Bachini, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du mercredi 6 juin 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 mars 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de la 9ème section de l'unité territoriale de l'Isère de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Rhône-Alpes a autorisé son licenciement. Par un jugement n° 1202515 du 22 novembre 2013, le tribunal administratif a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 14LY00042 du 18 mai 2015, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, annulé ce jugement et rejeté la demande de MmeB....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juillet et 20 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B...;



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1224-3 du code du travail, relatif à la reprise, par une personne publique gestionnaire d'un service public administratif, d'une activité exercée jusque-là par une personne employant des salariés de droit privé, dans sa version alors en vigueur : " Lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires. / Sauf disposition légale ou conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu'elle propose reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération. / En cas de refus des salariés d'accepter le contrat proposé, leur contrat prend fin de plein droit. La personne publique applique les dispositions relatives aux agents licenciés prévues par le droit du travail et par leur contrat " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeB..., salariée, depuis 1989, de l'association " comité de patronage des étudiants étrangers " en qualité d'enseignante et exerçant le mandat de déléguée du personnel, s'est vue proposer, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1224-3 du code du travail et à la suite du transfert à l'université Stendhal Grenoble 3 de l'activité exercée par cette association, un contrat de droit public par cette université ; qu'estimant que ce contrat apportait des modifications substantielles à son contrat de travail antérieur, elle a refusé de le signer ; que, saisi par l'université d'une demande d'autorisation de licenciement, l'inspecteur du travail de la 9ème section de l'unité territoriale de l'Isère a, par une décision du 5 mars 2012, autorisé son licenciement ; que, sur recours de l'intéressée, le tribunal administratif de Grenoble a, le 22 novembre 2013, annulé cette décision au motif que l'inspecteur du travail n'était pas compétent pour connaître d'une telle demande d'autorisation ; que, par un arrêt du 18 mai 2015 contre lequel la requérante se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et rejeté la demande de MmeB... ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 4 de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements : " 1. Le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi. (...) /2. Si le contrat de travail ou la relation de travail est résilié du fait que le transfert entraîne une modification substantielle des conditions de travail au détriment du travailleur, la résiliation du contrat de travail ou de la relation de travail est considérée comme intervenue du fait de l'employeur " ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 1224-3 du code du travail citées au point 1 et interprétées à la lumière de ces dispositions de la directive du Conseil du 12 mars 2001 qu'elles transposent, dans le cas où la rupture du contrat de travail d'un salarié protégé résulte de son refus d'accepter le contrat qu'une personne publique lui propose en application de l'article L. 1224-3, cette rupture doit être regardée comme intervenant du fait de l'employeur ;

4. Considérant, d'autre part, qu'en application des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ; qu'à ce titre, leur licenciement, ou toute autre forme de rupture de leur contrat de travail, suppose, dès lors qu'il doit être regardé comme intervenant du fait de l'employeur, l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail ; que lorsque ce licenciement est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

5. Considérant qu'il résulte des points 3 et 4 ci-dessus que la rupture du contrat de travail d'un salarié protégé qui fait suite à son refus d'accepter le contrat qu'une personne publique lui propose en application des dispositions de l'article L. 1224-3 du code du travail est soumise à l'ensemble de la procédure prévue en cas de licenciement d'un salarié protégé et est, dès lors, subordonnée à l'obtention d'une autorisation administrative préalable ; qu'à ce titre, il appartient à l'inspecteur du travail ou, le cas échéant, au ministre chargé du travail, saisi par la voie du recours hiérarchique, de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'une part, que les conditions légales de cette rupture sont remplies, notamment le respect par le nouvel employeur public de son obligation de proposer au salarié une offre reprenant les clauses substantielles de son contrat antérieur sauf si des dispositions régissant l'emploi des agents publics ou les conditions générales de leur rémunération y font obstacle, d'autre part, que la mesure envisagée n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale et, enfin, qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant qu'il n'appartenait pas à l'inspecteur du travail, saisi par l'université Stendhal Grenoble 3 de la demande d'autorisation de licencier MmeB..., de contrôler, soit que le contrat proposé par l'université reprenait les clauses substantielles du contrat de l'intéressée avec l'association, soit que des dispositions légales ou les conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la fonction publique y faisaient obstacle, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit ; que la requérante est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros à verser à Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 18 mai 2015 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B...une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée à l'université Stendhal Grenoble 3.


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