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Ariane Web: Conseil d'État 399990, lecture du 6 juin 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:399990.20180606

Décision n° 399990
6 juin 2018
Conseil d'État

N° 399990
ECLI:FR:CECHR:2018:399990.20180606
Publié au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Cécile Isidoro, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du mercredi 6 juin 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de le décharger de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2006 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1004021 du 30 janvier 2014, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14NC00790 du 22 mars 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 mai et 23 août 2016 et le 29 septembre 2017, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- la convention fiscale entre la France et l'Allemagne du 21 juillet 1959 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., employé de l'usine Ford de Sarrelouis (Allemagne), a signé le 2 novembre 2005 avec son employeur un accord prévoyant la rupture de son contrat de travail au 31 décembre et le versement d'une indemnité d'un montant de 98 087,32 euros, qu'il a perçue en 2006. En tant que travailleur transfrontalier résidant en France, il était imposable en France sur les revenus de son activité professionnelle en Allemagne en vertu de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959. Il a fait l'objet d'un contrôle sur pièces de sa déclaration de revenus de l'année 2006. A cette occasion, l'administration a qualifié l'indemnité perçue de " prime de départ à la retraite ou en préretraite ", alors que le requérant soutenait qu'il avait fait l'objet d'un plan de départ volontaire assimilable à un plan social exigeant en France un plan de sauvegarde de l'emploi et que l'indemnité était par suite non imposable. Cette indemnité a été réintégrée à son revenu global à hauteur de la fraction excédant 3 050 euros sur le fondement de l'article 80 duodecies du code général des impôts et du 22° de l'article 81 du même code. M. A...a contesté cette imposition devant le tribunal administratif de Strasbourg qui, par un jugement en date du 30 janvier 2014, a rejeté sa demande. Il a fait appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Nancy qui, par un arrêt en date du 22 mars 2016, a rejeté sa requête. M. A... se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1999 de finances pour 2000, applicable au présent litige : " 1. Sous réserve de l'exonération prévue au 22° de l'article 81, constitue une rémunération imposable toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail, à l'exception des indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d'un plan social au sens des articles L. 321-4 et L. 321-4-1 du code du travail, des indemnités mentionnées à l'article L. 122-14-4 du même code ainsi que de la fraction des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite qui n'excède pas le montant prévu par la convention collective de branche, par l'accord professionnel et interprofessionnel ou, à défaut, par la loi ". Aux termes de l'article L. 321-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ". Aux termes de l'article L. 321-4 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Lorsque le nombre de licenciements envisagés est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l'employeur doit également adresser aux représentants du personnel les mesures ou le plan de sauvegarde de l'emploi défini à l'article L. 321-4-1 qu'il envisage de mettre en oeuvre pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité ". Aux termes de l'article L. 321-4-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Dans les entreprises employant au moins cinquante salariés, lorsque le nombre de licenciements est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l'employeur doit établir et mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment des salariés âgés ou qui présentent des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile (...) ".

3. Afin d'éviter une différence de traitement entre les salariés transfrontaliers français travaillant dans un Etat de l'Union européenne et les salariés français travaillant en France, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal de l'indemnité perçue par un salarié ayant exercé une activité salariée dans un Etat membre de l'Union européenne à la suite de mesures prises par l'entreprise ayant conduit à une réduction des effectifs par des départs volontaires ou des licenciements, d'identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis par le contribuable, la catégorie de rupture de contrat de travail à laquelle les mesures prises par cette entreprise sont assimilables en droit français. Il lui revient ensuite, compte tenu de ces constatations, de déterminer le régime applicable à l'indemnité versée par l'entreprise étrangère au regard de la loi fiscale française.

4. En application des dispositions précitées du code du travail, ainsi que le jugeait de manière constante la Cour de cassation, une entreprise qui entendait supprimer des emplois en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable était tenue d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque les conditions prévues par les dispositions des articles L. 321-4 et L. 321-4-1 du code étaient remplies. En l'absence de licenciements, elle n'était pas tenue d'établir un plan de reclassement.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment de l'attestation de M. Gilbert Hess, président du comité d'entreprise de la société Ford, qu'en fin d'année 2005, la société a réduit les effectifs de l'usine de Sarrelouis, située en Allemagne, en signant des contrats de rupture de travail avec 202 salariés " en moyenne âgés ou affectés à des postes aménagés ", dans un contexte de réduction de sa masse salariale et afin de renforcer sa compétitivité. La convention signée par M. A...le 2 novembre 2005, intitulée " résiliation d'un commun accord ", précise ainsi que " à l'instigation de la société, le contrat de travail (...) cessera d'un commun accord le 31 décembre 2005 " et que l'indemnité attribuée compense " les inconvénients liés à la perte d'emploi ". Trois types de fiches informatives relatives à la proposition de départ volontaire, correspondant à diverses tranches d'âge, avaient été remises aux salariés afin de les inciter à accepter la proposition de départ. Il ressortait ainsi des pièces du dossier soumis à la cour que, compte tenu de la taille de l'entreprise, du nombre de salariés qui l'ont quittée, de ce que les départs se sont effectués sur une courte période et du caractère économique du plan social mis en oeuvre, l'indemnité prévue par la convention signée entre M. A... et la société devait être assimilée à une indemnité de départ volontaire versée dans le cadre d'un plan social qui aurait fait l'objet en France d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Etaient à cet égard sans incidence les circonstances que la société Ford n'aurait pas élaboré de plan de reclassement interne ou externe et que le plan social mis en oeuvre n'aurait pas été soumis à l'équivalent allemand du comité d'établissement ni à l'administration allemande du travail. Dès lors, en jugeant que l'accord conclu en Allemagne n'était pas assimilable à un plan de départ volontaire accompagné d'un plan de sauvegarde de l'emploi au sens du droit français et qu'en conséquence, l'indemnité versée ne pouvait être regardée comme équivalente à l'indemnité de départ volontaire au sens des articles L. 321-4 et L. 321-4-1 du code du travail mentionnée par le 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-1 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que l'indemnité versée à M. A...peut être regardée comme assimilable à celle qu'il aurait reçue s'il avait conclu en France un accord avec la société qui l'employait dans le cadre d'un plan de départ volontaire accompagné d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Elle n'était, dès lors, pas imposable, en vertu des dispositions du 1 de l'article 80 duodecies précitées. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, le requérant est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque et la décharge de l'imposition contestée ainsi que des pénalités correspondantes.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 22 mars 2016 et le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 janvier 2014 sont annulés.
Article 2 : M. A...est déchargé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2006 et des pénalités correspondantes.
Article 3 : L'Etat versera à M. A...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A...et au ministre de l'action et des comptes publics.


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