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Ariane Web: Conseil d'État 387156, lecture du 12 juillet 2018, ECLI:FR:CECHS:2018:387156.20180712

Décision n° 387156
12 juillet 2018
Conseil d'État

N° 387156
ECLI:FR:CECHS:2018:387156.20180712
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Thibaut Félix, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public


Lecture du jeudi 12 juillet 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 8 juin 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, après les avoir jointes, sur les requêtes du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales et de la société Philips France tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, du 3° de l'article 1er du décret n° 2014-1359 du 14 novembre 2014 relatif à l'obligation de certification des logiciels d'aide à la prescription médicale et des logiciels d'aide à la dispensation prévue à l'article L. 161-38 du code de la sécurité sociale, ainsi que de son article 2 en tant qu'il mentionne l'article R. 161-76-1 du code de la sécurité sociale, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 doit être interprétée en ce sens qu'un logiciel dont l'objet est de proposer, aux prescripteurs exerçant en ville, en établissement de santé ou en établissement médico-social, une aide à la détermination de la prescription médicamenteuse, pour améliorer la sécurité de la prescription, faciliter le travail du prescripteur, favoriser la conformité de l'ordonnance aux exigences réglementaires nationales et diminuer le coût du traitement à qualité égale, constitue un dispositif médical, au sens de cette directive, lorsque ce logiciel présente au moins une fonctionnalité qui permet l'exploitation de données propres à un patient en vue d'aider son médecin à établir sa prescription, notamment en détectant les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, alors même qu'il n'agit pas par lui-même dans ou sur le corps humain.

Par un arrêt C-329/16 du 7 décembre 2017, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.


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Vu les autres pièces des dossiers, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 8 juin 2016 ;

Vu :
- la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 7 décembre 2017 rendu dans l'affaire C-329/16 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du II de l'article L. 161-38 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, la Haute Autorité de santé " établit (...) la procédure de certification des logiciels d'aide à la prescription médicale ayant respecté un ensemble de règles de bonne pratique. Elle veille à ce que les règles de bonne pratique spécifient que ces logiciels intègrent les recommandations et avis médico-économiques identifiés par la Haute Autorité de santé, permettent de prescrire directement en dénomination commune internationale, d'afficher les prix des produits au moment de la prescription et le montant total de la prescription, d'indiquer l'appartenance d'un produit au répertoire des génériques et comportent une information relative à leur concepteur et à la nature de leur financement. / Cette procédure de certification participe à l'amélioration des pratiques de prescription médicamenteuse. Elle garantit la conformité des logiciels à des exigences minimales en termes de sécurité, de conformité et d'efficience de la prescription ". Selon le IV du même article, cette certification est obligatoire " pour tout logiciel dont au moins une des fonctionnalités est de proposer une aide à l'édition des prescriptions médicales (...) dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat et au plus tard le 1er janvier 2015 ".

2. Le 3° de l'article premier du décret attaqué du 14 novembre 2014, pris pour l'application de ces dispositions, insère dans la partie réglementaire du code de la sécurité sociale une sous-section intitulée " Dispositions relatives à l'obligation de certification des logiciels d'aide à la prescription médicale ", constituée des articles R. 161-76-1 à R. 161-76-9. Aux termes de l'article R. 161-76-1 : " Tout logiciel dont l'objet est de proposer aux prescripteurs exerçant en ville, en établissement de santé ou en établissement médico-social, une aide à la réalisation de la prescription de médicaments est soumis à l'obligation de certification prévue à l'article L. 161-38, sans préjudice des dispositions des articles R. 5211-1 et suivants du code de la santé publique. Les logiciels intégrant d'autres fonctionnalités que l'aide à la prescription médicale ne sont soumis à certification que pour cette dernière fonctionnalité ". Aux termes de l'article R. 161-76-3, dans sa rédaction issue du décret du 14 novembre 2014 : " Le logiciel d'aide à la prescription médicale est certifié au regard d'un référentiel établi par la Haute Autorité de santé et prévoyant : / 1° Des exigences minimales de sécurité, portant notamment sur l'absence de toute information étrangère à la prescription et de publicité de toute nature ainsi que sur sa qualité ergonomique ; / 2° Des exigences minimales de conformité de la prescription aux dispositions réglementaires et aux règles de bonne pratique de la prescription médicamenteuse ; / 3° Des exigences minimales d'efficience assurant la diminution du coût du traitement à qualité égale ; / 4° La prescription en dénomination commune (...) ; / 5° Une information sur le médicament issue d'une base de données sur les médicaments satisfaisant à une charte de qualité élaborée par la Haute Autorité de santé ; / 6° Des informations relatives au concepteur du logiciel et au financement de l'élaboration de ce logiciel ".

3. La directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 impose la certification de tout dispositif médical, défini par son article premier, paragraphe 2, comme " tout instrument, appareil, équipement, logiciel, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostique et/ou thérapeutique, et nécessaire au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins : / - de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d'atténuation d'une maladie, / - de diagnostic, de contrôle, de traitement, d'atténuation ou de compensation d'une blessure ou d'un handicap, / - d'étude ou de remplacement ou modification de l'anatomie ou d'un processus physiologique, / - de maîtrise de la conception, / et dont l'action principale voulue dans ou sur le corps humain n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ". Le même paragraphe définit comme un " accessoire ", lequel est traité comme un dispositif médical à part entière en vertu du paragraphe 1 du même article, " tout article qui, bien que n'étant pas un dispositif, est destiné spécifiquement par son fabricant à être utilisé avec un dispositif pour permettre l'utilisation dudit dispositif conformément aux intentions du fabricant de ce dispositif ". Aux termes du 1 de l'article 4 de la même directive : " Les États membres ne font pas obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service des dispositifs portant le marquage CE prévu à l'article 17 indiquant qu'ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité (...) ".

4. Dans l'arrêt du 7 décembre 2017 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " l'article 1er, paragraphe 1, et l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux, telle que modifiée par la directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, doivent être interprétés en ce sens qu'un logiciel dont l'une des fonctionnalités permet l'exploitation de données propres à un patient, aux fins, notamment, de détecter les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical, au sens de ces dispositions, et ce même si un tel logiciel n'agit pas directement dans ou sur le corps humain ". Il ressort en outre des motifs de son arrêt qu'il en va de même des modules d'un logiciel médical qui, sans remplir cette condition, constituent des accessoires de modules qui répondent à la définition de la notion de dispositif médical au sens de l'article 1er, paragraphe 2, de la directive.

5. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice que des logiciels d'aide à la prescription médicale constituent, pour celles de leurs fonctionnalités qui permettent l'exploitation de données propres à un patient à des fins mentionnées à l'article 1er, paragraphe 2 de la directive du 14 juin 1993, des dispositifs médicaux au sens de cette directive. Ils doivent, dès lors, en vertu de l'article 17, paragraphe 1, de la même directive, porter le marquage CE de conformité lors de leur mise sur le marché. Une fois ce marquage obtenu, ils peuvent, pour ce qui est de ces fonctionnalités, être mis sur le marché et circuler librement dans l'Union européenne sans devoir faire l'objet d'aucune autre procédure supplémentaire, telle une nouvelle certification. Il suit de là qu'en prévoyant une certification obligatoire des logiciels d'aide à la prescription médicale selon une procédure établie par la Haute Autorité de santé, quelles que soient leurs fonctionnalités, par des dispositions qui ne sont justifiées au regard ni de l'article 8 de la directive, prévoyant une clause de sauvegarde, ni de son article 14 ter, relatif aux mesures particulières de veille sanitaire, le II de l'article L. 161-38 du code de la sécurité sociale méconnaît les objectifs de l'article 4 de la directive du 14 juin 1993. Dès lors, les dispositions du décret attaqué sont, dans cette mesure, dépourvues de base légale.

6. Il résulte de ce qui précède que le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales et la société Philips France sont fondés à demander l'annulation du 3° de l'article 1er et de l'article 2 du décret du 14 novembre 2014, en tant qu'ils rendent obligatoire la certification des logiciels d'aide à la prescription médicale pour celles de leurs fonctionnalités qui permettent l'exploitation de données propres à un patient à des fins mentionnées à l'article 1er, paragraphe 2 de la directive du 14 juin 1993, ainsi que pour les modules qui en sont des accessoires au sens des mêmes dispositions. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner l'autre moyen soulevé par le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales, dont la portée est identique.

7. Il ne ressort pas des pièces des dossiers que la limitation dans le temps des effets de cette annulation, prononcée en raison de la méconnaissance des objectifs de la directive du 14 juin 1993, s'impose par une considération impérieuse et compte tenu des circonstances spécifiques de l'affaire. Par suite, il n'y a pas lieu d'assortir l'annulation de ces dispositions d'une limitation de ses effets, ainsi que le sollicite le ministre des solidarités et de la santé.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser tant au Syndicat national de l'industrie des technologies médicales et qu'à la société Philips France, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Le 3° de l'article 1er et l'article 2 du décret n° 2014-1359 du 14 novembre 2014 relatif à l'obligation de certification des logiciels d'aide à la prescription médicale et des logiciels d'aide à la dispensation prévue à l'article L. 161-38 du code de la sécurité sociale sont annulés en tant qu'ils s'appliquent aux fonctionnalités des logiciels d'aide à la prescription médicale qui permettent l'exploitation de données propres à un patient à des fins mentionnées à l'article 1er, paragraphe 2 de la directive du 14 juin 1993 ainsi qu'aux modules qui en sont des accessoires au sens des mêmes dispositions.
Article 2 : L'Etat versera tant au Syndicat national de l'industrie des technologies médicales qu'à la société Philips France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national de l'industrie des technologies médicales, à la société Philips France, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.