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Ariane Web: Conseil d'État 427169, lecture du 25 janvier 2019, ECLI:FR:CEORD:2019:427169.20190125

Décision n° 427169
25 janvier 2019
Conseil d'État

N° 427169
ECLI:FR:CEORD:2019:427169.20190125
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du vendredi 25 janvier 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, à titre principal, d'enjoindre au président du conseil départemental d'Indre-et-Loire de le faire bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence sous astreinte de 200 euros par jour de retard si l'ordonnance à intervenir n'est pas exécutée dans le délai de deux heures à compter de sa notification et, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète d'Indre-et-Loire de lui assurer un hébergement d'urgence jusqu'à ce qu'il soit orienté vers une structure d'hébergement stable sous astreinte de 200 euros par jour de retard si l'ordonnance à intervenir n'est pas exécutée dans le délai de deux heures à compter de sa notification. Par une ordonnance n° 1804574 du 27 décembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler l'ordonnance contestée ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au président du conseil départemental d'Indre-et-Loire de le faire bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence sans délai à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard si l'ordonnance à intervenir n'est pas exécutée dans un délai de deux heures à compter de sa notification ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète d'Indre-et-Loire de le faire bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence sans délai à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard si l'ordonnance à intervenir n'est pas exécutée dans un délai de deux heures à compter de sa notification ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à verser directement à son conseil sous réserve que celui-ci renonce à toucher la part contributive de l'Etat.



Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'il se trouve dans une situation de grande précarité juridique et matérielle ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors qu'une carence est caractérisé dans la mission d'accueil et d'hébergement des mineurs étrangers isolés telle qu'elle incombe, à titre principal, au département d'Indre-et-Loire en vertu des articles L. 223-2 et R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles et, à titre subsidiaire, au préfet d'Indre-et-Loire en vertu des articles L. 345-2 et L. 345-2-2 du même code et de la jurisprudence européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2019, le département d'Indre-et-Loire conclut au rejet de la requête. Il soutient que les conditions prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ne sont pas remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que M. A... a été convoqué pour un rendez-vous le 28 janvier 2019 ;
- aucune carence ne saurait être reprochée aux services de l'Etat dans le département dès lors que le département d'Indre-et-Loire n'établit pas que ses capacités d'action seraient dépassées.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M.A..., d'autre part, le département d'Indre-et-Loire et le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 25 janvier 2019 à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- le représentant de M.A... ;
- le représentant du département d'Indre-et-Loire ;
- la représentante du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (...) aux mineurs et à leur famille et à tout détenteur de l'autorité parentale confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs (...) ; / 3° Mener en urgence des actions de protection des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; (...). ". Aux termes de l'article L. 223-2 du même code : " (...)/ En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. (...)/ Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article l'enfant n'a pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil. ". Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 221-11 du même code a prévu que : " I. Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) / IV Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République (...). En ce cas, l'accueil provisoire mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge (...). En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin. ".

3. Il résulte de ces dispositions que, sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l'évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil d'urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité en particulier parce qu'elle est sans abri. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

4. Si l'article R. 211-1 prévoit que, pendant cet accueil provisoire, il est procédé à une évaluation portant notamment sur l'âge de cette personne et que, au vu des résultats de cette évaluation, le président du conseil départemental peut opposer à l'intéressé un refus de prise en charge et mettre fin à l'accueil provisoire d'urgence dont il bénéficiait, les contraintes inhérentes à l'organisation de cette évaluation ne sauraient justifier que le département se soustraie à l'obligation d'accueil prévue par le législateur. La délivrance à une personne se disant mineure, privée de la protection de sa famille et sans abri, se présentant aux services du département, d'un rendez-vous à échéance de plusieurs semaines pour qu'il soit procédé à cette évaluation préalablement à son accueil constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission d'accueil du département, susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

5. Il résulte de l'instruction que M.A..., ressortissant malien, déclarant être né le 12 mars 2002, ne pas avoir de famille en France et être sans abri, s'est présenté le 18 décembre 2018 à l'accueil du service de l'aide sociale à l'enfance du département d'Indre-et-Loire, dont il a sollicité la protection. En réponse à sa demande, il lui a été proposé un rendez-vous en vue de l'évaluation de sa situation le 28 janvier 2019, soit près de six semaines plus tard, sans que cette proposition soit accompagnée, dans cette attente, d'une mise à l'abri. Dans les circonstances de l'espèce, malgré les difficultés invoquées en défense par le département, tenant notamment à l'augmentation du nombre de mineurs isolés et à la contrainte liée, dans nombre de cas, à la nécessité de recourir à un interprète, le délai dans lequel a été convoqué M. A...pour bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence est constitutif d'une carence caractérisée dans l'accomplissement de sa mission d'accueil par le département, qui, eu égard à ses conséquences pour l'intéressé, porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

6. Au regard de la situation de M.A..., dont il n'est pas contesté qu'il ne dispose d'aucune solution d'hébergement, la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a refusé de faire droit à sa demande. Il suit de là qu'il y a lieu d'enjoindre au département d'Indre-et-Loire d'accomplir toutes diligences utiles pour que M. A...bénéficie d'une mise à l'abri immédiate sans attendre la date du 29 janvier 2019. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

8. Dans les circonstances de l'espèce, sans qu'il y ait lieu d'admettre M. A...au bénéfice de à l'aide juridictionnelle provisoire, il y a lieu de mettre à la charge du département d'Indre-et-Loire une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au département d'Indre-et-Loire d'accomplir toutes diligences utiles pour que M. A...bénéficie d'une mise à l'abri immédiate.
Article 3 : Le département d'Indre-et-Loire versera une somme de 1 500 euros à M. B...A....
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A..., au département d'Indre-et-Loire et au ministre de l'intérieur.