Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 428818, lecture du 24 juillet 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:428818.20190724

Décision n° 428818
24 juillet 2019
Conseil d'État

N° 428818
ECLI:FR:CECHR:2019:428818.20190724
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mercredi 24 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. B...A...et la Sarl Armurerie A...(A.B.) Cayenne ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 4 décembre 2018 par lequel le préfet de la région Guyane a retiré l'agrément d'armurier délivré le 15 février 2012 à M. A... en sa qualité de gérant de la Sarl A.B. Cayenne et de leur donner acte de ce qu'ils renonçaient à contester la décision identique relative à l'établissement géré par M. A...à Saint-Laurent-du-Maroni. Par une ordonnance n° 1900652 du 23 janvier 2019, le juge des référés a fait droit à leur demande de suspension et rejeté le surplus de leurs conclusions.

Par un pourvoi, enregistré le 13 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. A...et de la Sarl Armurerie A...Cayenne ;




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M.A....



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "

2. Aux termes de l'article L. 313-2 du code de la sécurité intérieure : " Nul ne peut exercer à titre individuel l'activité qui consiste, à titre principal ou accessoire, en la fabrication, le commerce, l'échange, la location, la réparation ou la transformation d'armes, d'éléments d'armes et de munitions ni diriger ou gérer une personne morale exerçant cette activité s'il n'est titulaire d'un agrément relatif à son honorabilité et à ses compétences professionnelles, délivré par l'autorité administrative. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 313-1 du même code : " L'agrément des armuriers prévu à l'article L. 313-2 est délivré par arrêté préfectoral pour une durée de dix ans. Il est valable sur l'ensemble du territoire national. / La demande d'agrément est présentée par la personne qui exerce l'activité d'armurier. S'il s'agit d'une personne morale, elle est présentée par son représentant légal et l'agrément est délivré à celui-ci ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article R. 313-7 : " L'autorité qui a délivré l'agrément peut le suspendre pour une durée maximum de six mois ou le retirer, lorsque les conditions d'attribution de l'agrément ne sont plus remplies ou pour des raisons d'ordre public et de sécurité des personnes. / La décision de retrait fixe le délai dont dispose la personne pour liquider le matériel ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un arrêté du 4 décembre 2018, le préfet de la région Guyane a retiré les agréments d'armurier délivrés à M. A...le 15 février 2012 pour exploiter, d'une part, une armurerie située à Saint-Laurent du Maroni et, d'autre part, en sa qualité de gérant de la SARL A.B. Cayenne, une armurerie située à Cayenne. Si la décision relative au premier établissement n'a pas été attaquée, la décision relative au second a fait l'objet devant le tribunal administratif de la Guyane d'un recours pour excès de pouvoir et d'une requête en référé tendant à la suspension de son exécution, présentés par M. A...et la SARL A.B. Cayenne. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 22 février 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de cette décision.

4. Il ressort également des pièces du dossier soumis au juge des référés que, pour retirer les agréments d'armurier délivrés à M.A..., le préfet de la région Guyane a relevé que celui-ci n'était présent que ponctuellement dans ses établissements, qu'il en avait délégué la gérance à sa femme, qui ne détenait ni agrément ni diplômes, titres ou certificats de qualification nécessaires, que sa gestion défaillante avait permis à des employés de l'établissement de Saint-Laurent-du-Maroni de commettre des malversations par des ventes irrégulières d'armes et que ces circonstances caractérisaient l'existence d'un risque pour l'ordre et la sécurité publics. Le juge des référés du tribunal administratif a retenu que les malversations commises à Saint-Laurent-du-Maroni ne pouvaient être prises en compte pour apprécier la gestion de la Sarl A.B. Cayenne et en a déduit que, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que, eu égard à l'éventail des mesures prévues par les dispositions citées au point 2 de l'article R. 313-7 du code de la sécurité intérieure, la mesure présentait un caractère disproportionné était propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du retrait de l'agrément relatif à l'établissement de Cayenne.

5. Il résulte cependant des dispositions citées ci-dessus que l'agrément d'un armurier présente un caractère personnel qui implique que puissent être prises en compte, pour en justifier le retrait, l'ensemble des circonstances propres à la personne de son détenteur et que l'administration puisse légalement, pour apprécier l'existence d'un risque pour l'ordre et la sécurité publics de nature à justifier le retrait d'un agrément relatif à un établissement, prendre en compte des défaillances dans la gestion d'un autre établissement confié au même gérant.

6. Il suit de là qu'en refusant de tenir compte, pour apprécier la légalité du retrait de l'agrément de M. A...relatif à l'établissement A.B. Cayenne, des circonstances propres à la gestion de l'établissement Armurerie du Maroni, le juge des référés a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que son ordonnance soit annulée en tant qu'elle statue sur la suspension du retrait en cause.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de statuer sur la demande de suspension présentée par M. A...et par la SARL A. B. Cayenne devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane.

8. M. A...et la SARL A. B. Cayenne soutiennent que la décision attaquée omet de viser les autorisations de commerce qui leur ont été délivrées par le ministre des armées, qu'elle ne permet pas de comprendre si l'agrément en cause a été délivré à M. A...ou à la société, que ses motifs de fait ne concernent pas la Sarl A. B. Cayenne, que ses motifs de droit omettent de rechercher si le retrait est justifié par des raisons d'ordre public et de sécurité des personnes, que les reproches de carence personnelle adressés à M. A... sont matériellement inexacts, que la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et qu'elle emporte des conséquences disproportionnées. Aucun de ces moyens ne paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

9. L'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, la demande de M. A...et de la SARL A. B. Cayenne tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'exécution de la décision du 4 décembre 2018 par lequel le préfet de la Guyane a retiré l'agrément d'armurier délivré le 15 février 2012 à M. A...en sa qualité de gérant de la Sarl A.B. Cayenne doit être rejetée.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'ordonnance du 23 janvier 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Cayenne est annulée en tant qu'elle statue sur la suspension de la décision du 4 décembre 2018 du préfet de la région Guyane qui procède au retrait de l'agrément délivré à M. A... le 15 février 2012 en sa qualité de gérant de la SARL A.B. Cayenne.
Article 2 : La demande de suspension présentée par M. A...et par la SARL A. B. Cayenne devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A...et la SARL A. B. Cayenne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., à la SARL Armurerie A...Cayenne et au ministre de l'intérieur.


Voir aussi