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Ariane Web: Conseil d'État 432067, lecture du 27 septembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:432067.20190927

Décision n° 432067
27 septembre 2019
Conseil d'État

N° 432067
ECLI:FR:CECHR:2019:432067.20190927
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du vendredi 27 septembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 juin et 26 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la réponse n° 18 137 du ministre de l'économie et des finances, publiée au Journal officiel des débats du 30 avril 2019, à une question écrite de M. C..., député ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, notamment son article 22 ;
- le code général des impôts, notamment son article 244 quater E ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... demandent l'annulation pour excès de pouvoir des énonciations contenues dans la réponse n° 18 137 du ministre de l'économie et des finances, publiée au Journal officiel des débats du 30 avril 2019, à une question écrite de M. C..., député.

2. Aux termes de l'article 244 quater E du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 22 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " I. - 1° Les petites et moyennes entreprises relevant d'un régime réel d'imposition peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des investissements, autres que de remplacement, financés sans aide publique pour 25 % au moins de leur montant, réalisés jusqu'au 31 décembre 2020 et exploités en Corse pour les besoins d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole autre que : (...) a bis. la gestion et la location de meublés de tourisme situés en Corse ; (...) / 3° Le crédit d'impôt prévu au 1° est égal à 20 % du prix de revient hors taxes, à l'exclusion des meublés de tourisme : a. Des biens d'équipement amortissables selon le mode dégressif en vertu des 1 et 2 de l'article 39 A et des agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle créés ou acquis à l'état neuf ; (...) c. Des logiciels qui constituent des éléments de l'actif immobilisé et qui sont nécessaires à l'utilisation des investissements mentionnés aux a et b ; / d. Des travaux de rénovation d'hôtel ".

3. Aux termes du II de l'article 22 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, dont le I a pour objet d'exclure du champ du crédit d'impôt prévu par l'article 244 quater E du code général des impôts les investissements réalisés pour les besoins d'une activité de gestion et de location de meublés de tourisme situés en Corse : " Le I s'applique aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2019 ".

Sur la recevabilité de la requête :

4. En premier lieu, les réponses faites par les ministres aux questions écrites des parlementaires ne constituent pas des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux. Toutefois, il en va autrement lorsque la réponse comporte une interprétation par l'administration de la loi fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

5. Après avoir rappelé, dans sa première phrase, l'objet du crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater E du code général des impôts dans les termes mêmes du 1° du I de cet article et précisé, dans sa deuxième phrase, que les investissements éligibles à ce dispositif fiscal étaient " les biens d'équipement amortissables selon le mode dégressif en vertu des 1 et 2 de l'article 39 A du CGI (incluant les investissements hôteliers, meubles et immeubles), les agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle, les logiciels constituant des éléments de l'actif immobilisé nécessaires à l'utilisation de ces biens ainsi que les travaux de rénovation d'hôtel ", la réponse ministérielle en litige indique, dans ses troisième et quatrième phrases, que les dispositions de l'article 22 de la loi de finances pour 2019 excluent les meublés de tourisme des investissements éligibles au crédit d'impôt et qu'elles s'appliquent aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2019. Enfin, cette réponse ministérielle énonce, dans sa dernière phrase, que : " En complément de la réponse à la question écrite n° 15262, il est précisé que par tempérament, lorsque le contrat de vente en l'état futur d'achèvement n'a pu intervenir avant le 1er janvier 2019, les investissements effectués dans des meublés de tourisme ayant fait l'objet d'un contrat préliminaire de réservation, prévu à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation, signé et déposé au rang des minutes d'un notaire ou enregistré au service des impôts des entreprises au plus tard le 31 décembre 2018 seront également éligibles au CIIC dès lors que ces investissements sont achevés au 31 décembre 2020 ".

6. Les énonciations contenues dans les quatre premières phrases de la réponse ministérielle attaquée se bornent à réitérer, sans y ajouter, les règles posées par l'article 244 quater E du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 22 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019. Elles ne comportent ainsi aucune interprétation par l'administration de la loi fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. En revanche, dès lors qu'un projet d'investissement ayant seulement fait l'objet d'un contrat préliminaire de réservation, tel que prévu par les dispositions de l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation, ne saurait être regardé comme un investissement réalisé, au sens et pour l'application du II de l'article 22 de la loi finances pour 2019, la dernière phrase de la réponse ministérielle attaquée ajoute à la loi dont elle a pour objet d'éclairer les modalités d'application et comporte, dans cette mesure, une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables sont susceptibles d'invoquer le bénéfice sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Il en résulte que le recours formé par M. et Mme A... contre la réponse ministérielle en litige n'est recevable qu'en tant qu'il porte sur cette dernière phrase.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les époux A... se prévalent de ce qu'ils ont conclu un contrat de réservation le 15 octobre 2018 en vue de développer des activités en Corse dans le domaine de la location meublée touristique, sans que ce contrat ait été déposé au rang des minutes d'un notaire ou enregistré au service des impôts des entreprises avant le 31 décembre 2018. Ils justifient, du fait de la concurrence qui résulte, pour eux, de l'activité de location meublée touristique exercée par des investisseurs ayant conclu un contrat de réservation à la même période tout en respectant la condition de dépôt au rang des minutes d'un notaire ou d'enregistrement au service des impôts des entreprises avant le 31 décembre 2018, d'un intérêt leur donnant qualité pour former un recours contre la réponse ministérielle en litige, en tant qu'elle prévoit, dans sa dernière phrase, une mesure de tempérament dont elle subordonne le bénéfice à une telle condition. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'action et des comptes publics ne peut, dans cette mesure, qu'être écartée.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

9. Les dispositions de l'article 22 de la loi de finances pour 2019 ont, ainsi qu'il a été dit, pour objet d'exclure les investissements réalisés à compter du 1er janvier 2019 pour les besoins d'une activité de gestion et de location de meublés de tourisme en Corse des investissements éligibles au crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater E du code général des impôts. Ces dispositions ne prévoient aucune mesure tendant à maintenir le bénéfice de ce crédit d'impôt pour des investissements réalisés postérieurement au 1er janvier 2019 mais ayant fait l'objet avant cette date d'un contrat préliminaire de réservation prévu par l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. Ces dispositions ne sont, par suite, pas applicables au litige soulevé par les époux A..., relatif à la légalité de la règle de " tempérament ", énoncée par la réponse ministérielle qu'ils attaquent, en faveur de projets d'investissements dans des meublés de tourisme en Corse ayant donné lieu à la conclusion de contrats de réservation avant le 31 décembre 2018. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A... au Conseil constitutionnel.

Sur la requête :

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la réponse ministérielle attaquée ajoute à la loi en ce qu'elle énonce que les investissements effectués dans des meublés de tourisme en Corse ayant fait l'objet d'un contrat préliminaire de réservation signé et déposé au rang des minutes d'un notaire ou enregistré au service des impôts des entreprises au plus tard le 31 décembre 2018 demeurent éligibles au crédit d'impôt prévu par l'article 244 quater E du code général des impôts dès lors que ces investissements sont achevés au 31 décembre 2020. La réponse ministérielle en litige est donc entachée d'incompétence en tant qu'elle énonce la règle contenue dans sa dernière phrase. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête, les époux A... sont fondés à en demander l'annulation dans cette mesure.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. et Mme A....


D E C I D E :
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Article 1 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A....
Article 2 : La dernière phrase de la réponse du ministre de l'économie et des finances, n° 18 137 à M. C..., député, publiée au Journal officiel du 30 avril 2019, est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à M. et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... A... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.