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Ariane Web: Conseil d'État 422861, lecture du 22 novembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:422861.20191122

Décision n° 422861
22 novembre 2019
Conseil d'État

N° 422861
ECLI:FR:Code Inconnu:2019:422861.20191122
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Louise Cadin, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, avocats


Lecture du vendredi 22 novembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er août 2018, 31 octobre 2018 et 11 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté des ministres des solidarités et de la santé et de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation du 13 février 2018 relatif à la formation à la chiropraxie, ainsi que la décision du 26 juin 2018 de la ministre des solidarités et de la santé et la décision implicite de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
- le décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 ;
- le décret n° 2018-91 du 13 février 2018 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... A..., auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes ;



Considérant ce qui suit :

1. L'article 75 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a fixé les conditions d'exercice de la profession de chiropracteur dans les termes suivants : " L'usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur est réservé aux personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique à l'ostéopathie ou à la chiropraxie délivrée par un établissement de formation agréé par le ministre chargé de la santé dans des conditions fixées par décret. Le programme et la durée des études préparatoires et des épreuves après lesquelles peut être délivré ce diplôme sont fixés par voie réglementaire. (...) La Haute Autorité de santé est chargée d'élaborer et de valider des recommandations de bonnes pratiques. Elle établit une liste de ces bonnes pratiques à enseigner dans les établissements de formation délivrant le diplôme mentionné au premier alinéa. Un décret établit la liste des actes que les praticiens justifiant du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur sont autorisés à effectuer, ainsi que les conditions dans lesquelles il sont appelés à les accomplir. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, le décret du 13 février 2018 relatif à la formation en chiropraxie dispose, en son article 1er, qu'un arrêté conjoint des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé fixe " (...) 3° Le référentiel d'activités et de compétences " servant de support à la formation, en son article 2, qu'un arrêté conjoint des mêmes ministres détermine " les conditions d'accès aux études " de chiropraxie et, enfin, en son article 4, qu'un arrêté conjoint des mêmes ministres définit " la maquette de formation, le référentiel de formation incluant les unités d'enseignement et la formation pratique clinique ainsi que leur contenu ". L'arrêté attaqué du 13 février 2018 relatif à la formation en chiropraxie, pris en application de ces dispositions, définit notamment les conditions d'accès à cette formation et son contenu. Il fixe, à son annexe I, le référentiel d'activités et de compétences attestées par l'obtention du diplôme, à son annexe II, la maquette de formation et, à son annexe III, le référentiel détaillé de formation.

Sur l'intervention de l'Association française de chiropraxie et de l'Association pour la formation et l'enseignement en France de la chiropraxie :

2. L'Association française de chiropraxie et l'Association pour la formation et l'enseignement en France de la chiropraxie justifient d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Leur intervention est par suite recevable.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

3. Il résulte des dispositions combinées des articles D. 4381-1 et D. 4381-2 du code de la santé publique que le Haut Conseil des professions paramédicales doit être consulté sur : " a) Les conditions d'exercice des professions paramédicales, l'évolution de leurs métiers, la coopération entre les professionnels de santé et la répartition de leurs compétences ; / b) la formation et les diplômes ; (...) ". Les dispositions de l'arrêté attaqué portent, ainsi qu'il a été dit, sur la formation des chiropracteurs, qui ne constituent pas une profession paramédicale. Par suite, sans que le requérant ne puisse utilement invoquer la circonstance que cet arrêté prévoirait l'enseignement de certaines pratiques communes à la chiropraxie et à la masso-kinésithérapie, le moyen tiré du défaut de consultation du Haut Conseil des professions paramédicales doit être écarté.

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 231-1 du code de l'éducation : " Le Conseil supérieur de l'éducation est obligatoirement consulté et peut donner son avis sur toutes les questions d'intérêt national concernant l'enseignement ou l'éducation quel que soit le département ministériel intéressé ". L'arrêté attaqué, qui a pour objet, en application des dispositions citées ci-dessus de la loi du 4 mars 2002, de fixer la formation requise pour l'exercice d'une profession réglementée, ne soulève pas de question d'intérêt national concernant l'enseignement ou l'éducation au sens des dispositions de l'article L. 231-1 du code de l'éducation. Le requérant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le Conseil supérieur de l'éducation devait être consulté.

5. Enfin, la circonstance que la Haute autorité de santé n'ait pas adopté les recommandations de bonne pratique prévues à l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 n'est pas susceptible d'entacher d'illégalité l'arrêté attaqué, dès lors qu'aucun texte ne subordonne son entrée en vigueur à l'adoption de ces recommandations.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

6. L'article 1er du décret du 7 janvier 2011 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de la chiropraxie dispose que : " Les praticiens justifiant d'un titre de chiropracteur sont autorisés à pratiquer des actes de manipulation et mobilisation manuelles, instrumentales ou assistées mécaniquement, directes et indirectes, avec ou sans vecteur de force, ayant pour seul but de prévenir ou de remédier à des troubles de l'appareil locomoteur du corps humain et de leurs conséquences, en particulier au niveau du rachis, à l'exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agents physiques. (...) / Ces actes de manipulation et mobilisation sont neuro-musculo-squelettiques, exclusivement externes. Ils peuvent être complétés par des conseils ou des techniques non invasives, conservatrices et non médicamenteuses à visée antalgique ". Aux termes de l'article 2 du même décret du 7 janvier 2011 : " Les praticiens justifiant d'un titre de chiropracteur sont tenus, s'ils n'ont pas eux-mêmes la qualité de médecin, d'orienter le patient vers un médecin lorsque les symptômes nécessitent un diagnostic ou un traitement médical, lorsqu'il est constaté une persistance ou une aggravation de ces symptômes ou que les troubles présentés excèdent leur champ de compétences ".

7. En premier lieu, le requérant ne peut utilement invoquer, à l'appui de son recours contre un arrêté qui a pour seul objet de régir la formation des chiropracteurs, la méconnaissance des dispositions du décret du 7 janvier 2011 citées ci-dessus, qui déterminent les actes que les chiropracteurs sont autorisés à pratiquer. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté litigieux méconnaît le décret du 7 janvier 2011 en tant que ses annexes mentionnent des actes que les chiropracteurs ne sont pas autorisés à pratiquer, notamment en matière d'utilisation d'agents physiques complémentaires pour le traitement des troubles musculo-squelettiques, ne peuvent qu'être écartés.

8. En deuxième lieu, si la description des activités et compétences du métier de chiropracteur par l'annexe I de l'arrêté prévoit que " la démarche diagnostique en chiropraxie comprend un diagnostic d'opportunité et un diagnostic positif des troubles neuro-musculo-squelettiques de l'appareil locomoteur " et mentionne la réalisation par le chiropracteur d'un " examen clinique " ainsi que le choix et la réalisation des " examens, tests de mesure et outils diagnostics ", cette description de l'examen à conduire par le chiropracteur, qui se borne à définir les apprentissages nécessaires au respect de l'obligation qui leur est faite d'orienter vers un médecin les patients dont les troubles excèdent leur champ de compétence, n'a ni pour objet ni pour effet, pour les raisons déjà indiquées au point précédent, d'affecter l'étendue des pratiques qui sont autorisées. Le Conseil national requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'elles conféreraient aux chiroprateurs le droit d'établir un diagnostic médical et violeraient, par suite, les dispositions citées ci-dessus de l'article 2 du décret du 7 janvier 2011 ou celles de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique, relatives à la répression de l'exercice illégal de la médecine.

9. En troisième lieu, les dispositions de l'annexe III de l'arrêté attaqué qui mentionnent que " le chiropracteur est capable de prendre en charge en premier recours des patients, après l'obtention de son diplôme et cela tout au long de sa vie professionnelle " se rapportent aux actes de chiropraxie dont l'exercice n'est subordonné ni à un diagnostic médical ni à une prescription médicale. Par suite, elle ne méconnaissent pas la définition des missions du médecin généraliste de premier recours fixées par l'article L. 4130-1 du code de la santé publique et n'ont, en tout état de cause, pour les motifs déjà indiqués aux points 7 et 8, ni, pour objet ni pour effet d'autoriser les chiropracteurs à accomplir des actes réservés aux seuls médecins.

10. En quatrième lieu, le requérant ne saurait utilement invoquer, pour contester la légalité de l'inclusion de cette technique au nombre des capacités devant être maîtrisées par les chiropracteurs, la circonstance que le " kinésiotaping " serait une marque commerciale déposée, ou qu'il désignerait une pratique lucrative.

11. Enfin, la seule circonstance que la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ait, dans un guide publié en 2012 et dans son rapport d'activité de 2016, mis en garde contre les dérives sectaires liées à la réflexologie, qui serait d'après le requérant proche de la réflexothérapie mentionnée par l'arrêté, est par elle-même sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté qu'il attaque. Ses conclusions dirigées contre les rejets de ses recours gracieux, ainsi que celles qu'il présente au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être également rejetées.


D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Association française de chiropraxie et de l'Association pour la formation et l'enseignement en France de la chiropraxie est admise.

Article 2 : La requête du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, à la ministre des solidarités et de la santé, à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et à l'Association française de chiropraxie, première intervenante dénommée.


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