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Ariane Web: Conseil d'État 422344, lecture du 26 février 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:422344.20200226

Décision n° 422344
26 février 2020
Conseil d'État

N° 422344
ECLI:FR:CECHR:2020:422344.20200226
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du mercredi 26 février 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



La société Thessalie a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, de condamner l'agence régionale de santé de Normandie à lui verser une indemnité de 1 960 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des décisions des 28 juillet et 19 novembre 2014 par lesquelles le directeur général de l'agence régionale de santé de Basse-Normandie a refusé de transférer à la société Colisée Patrimoine Group l'autorisation, qui lui avait été accordée le 10 avril 2007, d'ouvrir à Saint-Martin-de-Fontenay un établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes spécialisé dans l'accueil des personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer et, d'autre part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 juin 2016 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Normandie a de nouveau refusé d'autoriser ce transfert. Par un jugement n°s 1601533, 1601535, 1601772 du 17 mai 2017, le tribunal administratif a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 17NT01810 du 18 mai 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société Thessalie contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 juillet et 18 octobre 2018 et le 30 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Thessalie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'agence régionale de santé de Normandie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Thessalie ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté conjoint du préfet et du président du conseil général du Calvados du 10 avril 2007, la société Thessalie, appartenant au groupe Asclepios, a été autorisée à créer à Saint-Martin-de-Fontenay un établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD) de 56 places, spécialisé dans la prise en charge de patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Alors que l'ouverture de l'établissement était prévue pour la fin de l'année 2010, les travaux de construction nécessaires, engagés en octobre 2009, ont été interrompus en novembre 2010. En application de l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles, la société Thessalie a, conjointement avec le groupe Colisée Patrimoine, demandé le 15 juin 2014 à l'agence régionale de santé de Basse-Normandie le transfert de l'autorisation au groupe Colisée Patrimoine, avec lequel le groupe Asclepios avait conclu un accord de transfert de son activité, dont la totalité des actions de la société Thessalie. Le directeur général de l'agence régionale de santé de Basse-Normandie leur a indiqué, par un courrier du 28 juillet 2014, que le projet ne disposait plus des crédits nécessaires à son fonctionnement dans l'enveloppe régionale déléguée à la Basse-Normandie par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Le 19 novembre 2014, rejetant le recours gracieux de la société Thessalie, le directeur général de l'agence régionale de santé a confirmé sa décision de refuser la cession de l'autorisation du 10 avril 2007. Par un jugement du 17 mai 2017, le tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions de la société Thessalie tendant à la condamnation de l'agence régionale de santé de Normandie à réparer le préjudice résultant pour elle de cette décision, ainsi que ses conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 30 juin 2016 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Normandie a réitéré le refus de transfert de l'autorisation du 10 avril 2007. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mai 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

Sur le pourvoi en tant qu'il porte sur les conclusions indemnitaires de la société Thessalie :

2. Si les agences régionales de santé sont, aux termes de l'article L. 1432-1 du code de la santé publique, des établissements publics distincts de l'Etat, les compétences qui leur sont confiées par l'article L. 1431-2 de ce code, parmi lesquelles l'accord donné au transfert, par " cession ", d'une autorisation de création, de transformation ou d'extension d'établissement ou service social ou médico-social, sont, en vertu de l'article L. 1432-2 du même code, exercées par leur directeur général au nom de l'Etat, sauf lorsqu'elles ont été attribuées à une autre autorité au sein de ces agences.

3. La décision du 28 juillet 2014 du directeur général de l'agence régionale de santé de Basse-Normandie ayant été prise au nom de l'Etat, les conclusions indemnitaires de la société Thessalie doivent être regardées comme dirigées à la fois contre l'agence régionale de santé et contre l'État, lequel, en l'absence de décision expresse de sa part, est réputé, en vertu des articles L. 114-2, L. 114-3 et L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, avoir implicitement rejeté la réclamation préalable de la société requérante à l'expiration du délai de deux mois suivant la date de sa réception par l'agence régionale de santé saisie, alors même que cette dernière l'a également rejetée au titre de sa responsabilité propre.

4. D'une part, l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " I. - Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : / (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées (...) ". Aux termes de l'article L. 313-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, reprise pour partie à l'article D. 313-7-2 du même code : " La création, la transformation ou l'extension des établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1 sont soumises à autorisation, sous réserve des dispositions de l'article L. 313-1-1. / (...) l'autorisation est accordée pour une durée de quinze ans. (...) / Toute autorisation est caduque si elle n'a pas reçu un commencement d'exécution dans un délai de trois ans à compter de sa date de notification. / Lorsque l'autorisation est accordée à une personne physique ou morale de droit privé, elle ne peut être cédée qu'avec l'accord de l'autorité compétente concernée. / (...) ".

5. D'autre part, l'article L. 313-4 de ce code, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté conjoint du 10 avril 2007, précise que : " L'autorisation initiale est accordée si le projet : (...) / 4° Est compatible, lorsqu'il en relève, avec le programme interdépartemental mentionné à l'article L. 312-5-1, et présente un coût de fonctionnement en année pleine compatible avec le montant des dotations mentionnées, selon le cas, aux articles L. 313-8, L. 314-3, L. 314-3-2 et L. 314-4, au titre de l'exercice au cours duquel prend effet cette autorisation. / L'autorisation fixe l'exercice au cours de laquelle elle prend effet. (...) ". Aux termes de l'article L. 312-5-1 de ce code, dans sa rédaction applicable à la même date : " Pour les établissements et services mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6° et 7° du I de l'article L. 312-1, ainsi que pour ceux mentionnés aux 11° et 12° dudit I qui accueillent des personnes âgées ou des personnes handicapées, le représentant de l'Etat dans la région établit, en liaison avec les préfets de département concernés, et actualise annuellement un programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie. / Ce programme dresse, pour la part des prestations financée sur décision tarifaire de l'autorité compétente de l'Etat, les priorités de financement des créations, extensions ou transformations d'établissements ou de services au niveau régional ". Aux termes de l'article L. 313-6 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 313-1 ou son renouvellement sont valables sous réserve du résultat d'une visite de conformité aux conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement mentionnées au II de l'article L. 312-1 dont les modalités sont fixées par décret et, s'agissant des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, de la conclusion de la convention tripartite mentionnée à l'article L. 313-12. / Ils valent, sauf mention contraire, habilitation à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale et, lorsque l'autorisation est accordée par le représentant de l'Etat, seul ou conjointement avec le président du conseil général, autorisation de dispenser des prestations prises en charge par l'Etat ou les organismes de sécurité sociale ". L'article L. 313-9 du même code, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que : " L'habilitation à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale peut être retirée pour des motifs fondés sur : / 1° L'évolution des besoins ; / 2° La méconnaissance d'une disposition substantielle de l'habilitation ou de la convention ; / 3° La disproportion entre le coût de fonctionnement et les services rendus / 4° La charge excessive, au sens des dispositions de l'article L. 313-8, qu'elle représente pour la collectivité publique ou les organismes assurant le financement ; (...). / (...) L'autorisation de dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux peut être retirée pour les mêmes motifs que ceux énumérés aux 1°, 3° et 4 ".

6. Enfin, aux termes de l'article L. 314-3 du même code dans sa rédaction alors applicable : " I. - Le financement de celles des prestations des établissements et services mentionnés à l'article L. 314-3-1 [au nombre desquels figurent les établissements et services qui accueillent des personnes âgées] qui sont à la charge des organismes de sécurité sociale est soumis à un objectif de dépenses. / Cet objectif est fixé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale, de l'action sociale, de l'économie et du budget (...) / Sur la base de cet objectif, les mêmes ministres arrêtent, dans les quinze jours qui suivent la publication de la loi de financement de la sécurité sociale, le montant total annuel des dépenses prises en compte pour le calcul des dotations globales, forfaits, prix de journée et tarifs afférents aux prestations mentionnées au premier alinéa. / II. - Le montant total annuel mentionné au dernier alinéa du I est réparti par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en dotations régionales limitatives (...) ".

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la création des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, autorisée pour quinze ans, doit être compatible, au moment de l'octroi de cette autorisation, d'une part, avec le programme interdépartemental par lequel le directeur général de l'agence régionale de santé recense les besoins et priorités et, d'autre part, avec le montant, pour l'exercice au cours duquel l'autorisation prend effet, de la dotation régionale limitative arrêtée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie au vu de ce programme. Sous réserve du résultat de la visite de conformité aux conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement et de la signature de la convention tripartite mentionnée à l'article L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles, et à moins de cesser, au cours de sa durée de validité, de produire ses effets, notamment faute d'avoir connu un début d'exécution dans un délai de trois ans ou par suite de son retrait en vertu de l'article L. 313-16 du même code ou du retrait de l'autorisation de dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux dans les conditions définies à l'article L. 313-9 de ce code, l'autorisation délivrée habilite l'établissement à dispenser des prestations prises en charge par l'Etat ou les organismes de sécurité sociale pendant toute la durée de sa validité. Dès lors, le refus par l'administration du transfert d'une autorisation en vigueur ne peut légalement se fonder sur l'absence de financement correspondant au fonctionnement de l'établissement pour lequel l'autorisation a été accordée.

8. Par suite, s'il appartenait au directeur général de l'agence régionale de santé de rechercher si les travaux engagés pour la réalisation du projet avaient été interrompus pendant un délai supérieur à trois ans et d'en déduire, le cas échéant, que l'autorisation accordée devait être regardée comme caduque au sens des dispositions, mentionnées au point 4, de l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles, la cour, en revanche, a commis une erreur de droit en jugeant que cette autorité avait pu légalement se fonder, pour refuser le transfert de l'autorisation accordée, sur l'absence de disponibilité, à la date de la demande de cession, des crédits destinés à financer les prestations fournies par cet établissement après son ouverture, qui avaient été attribués au département du Calvados au titre de l'année 2007.

9. Il en résulte que la société requérante est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi en tant qu'il porte sur ses conclusions indemnitaires, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur ces conclusions.

Sur le pourvoi en tant qu'il porte sur les conclusions de la société Thessalie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 30 juin 2016 :

10. Statuant sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision du 30 juin 2016 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Normandie, saisi d'une nouvelle demande d'autorisation de cession de l'autorisation accordée en 2007, l'a refusée à nouveau, la cour a jugé que ne pouvaient être regardées comme un changement de circonstances de fait ou de droit ni la circonstance selon laquelle la décision du 30 juin 2016 avait été prise par le directeur général de l'agence régionale de santé de Normandie, succédant à l'agence régionale de santé de Basse-Normandie, alors que la décision du 19 novembre 2014 avait été prise par le directeur général de l'agence régionale de santé de Basse-Normandie, ni, en l'absence d'élément précis susceptible d'établir que les besoins d'accueil du territoire concerné par le projet et le niveau de crédit attribué par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie à la région auraient connu des évolutions, la circonstance que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie avait, à l'occasion de la fusion de certaines régions le 1er janvier 2016, modifié les dotations régionales " dans le cadre de plusieurs projets dans d'autres régions ". La cour a, ce faisant, exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. C'est, dès lors, sans commettre d'erreur de droit qu'elle en a déduit que la décision du 30 juin 2016 était confirmative de celles des 28 juillet et 19 novembre 2014 refusant la cession de la même autorisation et qu'elle a rejeté comme tardives les conclusions de la société Thessalie en demandant l'annulation pour excès de pouvoir.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Thessalie n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 30 juin 2016.

Sur les frais du litige :

12. Ainsi qu'il a été dit au point 2, la décision prise par le directeur général de l'agence régionale de santé sur une demande de transfert, par " cession ", d'une autorisation de création d'établissement social ou médico-social est prise au nom de l'Etat. Par suite, les conclusions de la société Thessalie, qui tendent à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'agence régionale de santé de Normandie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont mal dirigées et ne peuvent qu'être rejetées.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 mai 2018 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires présentées par la société Thessalie.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Thessalie et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée à la société Colisée Patrimoine Group et à l'agence régionale de santé de Normandie.


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