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Ariane Web: Conseil d'État 440195, lecture du 29 avril 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:440195.20200429

Décision n° 440195
29 avril 2020
Conseil d'État

N° 440195
ECLI:FR:CEORD:2020:440195.20200429
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mercredi 29 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'enjoindre au Premier ministre de procéder à une nouvelle modification de l'article 3-I du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 modifié prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en vue d'y inclure la récolte de bois de chauffe par les personnes physiques propriétaires forestiers parmi les motifs de déplacement dérogatoire à l'interdiction générale des déplacements en situation d'urgence sanitaire.



Il soutient que :
- il dispose d'un intérêt pour agir ;
- la condition d'urgence est remplie à raison de la nécessité de pourvoir, en cette fin de période hivernale, à la récolte de bois de chauffage sur les parcelles forestières dont il est propriétaire compte tenu notamment de la situation et de l'exposition géographique de son habitation et des troubles asthmatiques et bronchiteux qu'il peut connaître ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir exercée exclusivement au titre du droit de propriété privée forestière dans sa composante " usus " ;
- le caractère lacunaire du décret attaqué et l'interdiction subséquente de récolter du bois de chauffage méconnaissent l'obligation faite aux propriétaires de forêts privées d'en assurer l'entretien conformément aux exigences de l'article L. 112-2 du code forestier ;
- le contexte de lutte contre le changement climatique ne saurait admettre qu'il soit fait obstacle au ramassage de bois mort, en guise de bois de chauffage, compte tenu des intérêts écologiques que présente cette démarche reconnue d'intérêt général par l'article L. 112-1 du code précité ;
- l'insuffisance du décret attaqué le conduit à s'exposer à des sanctions pénales ;
- le décret en cause est entaché d'illégalité dès lors qu'il méconnaît les dispositions du 2° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique lequel comprend, au nombre " des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ", la récolte de bois de chauffage en forêt ;
- l'application des principes d'égalité et de proportionnalité requiert que les activités privées domestiques, en particulier, la récolte de bois dans les forêts privées, fassent l'objet de mesures propres à l'instar de celles fixées pour les besoins professionnels agricoles et forestiers ;
- la circonstance qu'il ait été rendu possible, par le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020, l'achat de combustibles ne saurait avoir pour effet de remettre en cause le bien-fondé de sa demande dès lors que, d'une part, les risques sanitaires causés par la fréquentation d'un magasin sont plus importants que par celle d'une forêt privée non fréquentée et, d'autre part, une rupture d'égalité entre les situations d'approvisionnement en bois à titre onéreux et à titre gratuit subsiste, seul le premier étant explicitement autorisé ;
- l'injonction sollicitée n'est pas de nature à bouleverser ni la finalité ni l'économie générale du décret attaqué.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les dispositions du décret n° 2020-293 n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la récolte par un particulier, sur un terrain dont il est propriétaire, du bois afin de pourvoir à ses besoins de première nécessité en chauffage.

Les parties ayant été informées de ce que, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 28 avril 2020 à 11 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code civil ;
- le code forestier ;
- le code de santé publique ;
- le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;



Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

Sur les circonstances :

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.

3. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020.

Sur la demande en référé :

4. M. A..., demeurant à Reuilly-Sauvigny (Aisne), soutient que le I de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir exercé exclusivement au titre du droit de propriété privée dans la mesure où il a pour effet de le priver de la possibilité de se rendre sur les terres forestières dont il est propriétaire à moins d'un kilomètre de son domicile actuel pour y procéder à la récolte de bois de chauffage nécessaire pour lui permettre de se chauffer.

5. Toutefois, il ne résulte pas des termes de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 qu'ils auraient pour objet ni même pour effet de faire obstacle à la récolte par un particulier, sur un terrain dont il est propriétaire, du bois nécessaire afin de pourvoir à ses besoins en chauffage. Au demeurant, ainsi que le relève le ministre des solidarités et de la santé lui-même dans son mémoire en défense dans le cadre de la présente instance, le préfet de l'Aisne a souligné par un communiqué de presse du 15 avril 2020 concernant l'ouverture des jardins ouvriers et familiaux et les travaux de récolte et d'entretien nécessaires, que chaque propriétaire forestier est autorisé à procéder à la récolte de bois à titre individuel sur ses terres afin de se chauffer, sous la seule réserve d'être muni de l'attestation de déplacement dérogatoire prévue au II de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 et d'une pièce d'identité.
6. Il résulte de ce qui précède, et en particulier de ce qui vient d'être dit au point 5, que la requête de M. A... doit être rejetée.




O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....
Copie en sera adressée au Premier Ministre et au ministre des solidarités et de la santé.