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Ariane Web: Conseil d'État 435379, lecture du 10 juin 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:435379.20200610

Décision n° 435379
10 juin 2020
Conseil d'État

N° 435379
ECLI:FR:CECHR:2020:435379.20200610
Publié au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Alain Seban, rapporteur


Lecture du mercredi 10 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 19PA01191 du 15 octobre 2019, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 16 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Paris, avant de statuer sur l'appel du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement n° 1822547/3-1 du 31 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande de M. A... B..., l'avis d'incompatibilité émis à son encontre le 22 février 2018 sur le fondement de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Un avis d'incompatibilité émis à la suite d'une demande présentée par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure est-il susceptible de recours pour excès de pouvoir '

2°) Un avis peut-il être demandé par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, alors que le salarié se trouve en période de stage '

3°) Quelles conséquences tirer de la circonstance que l'employeur a saisi à tort l'administration d'une demande présentée sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure alors que le salarié est susceptible de relever du deuxième alinéa '

Des observations, enregistrées les 16 octobre et 2 décembre 2019, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.

Des observations, enregistrées le 12 décembre 2019, ont été présentées par M. B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 mai 2020, présentée par le ministre de l'intérieur.

Rend l'avis suivant :


1. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ".

2. Aux termes de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'article 5 de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique : " Les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées. / Si le comportement d'une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l'employeur ou à l'initiative de l'autorité administrative. / L'autorité administrative avise sans délai l'employeur du résultat de l'enquête. / La personne qui postule pour une fonction mentionnée au même premier alinéa est informée qu'elle est susceptible, dans ce cadre, de faire l'objet d'une enquête administrative dans les conditions du présent article. / L'enquête précise si le comportement de cette personne donne des raisons sérieuses de penser qu'elle est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics. / (...) Lorsque le résultat d'une enquête réalisée en application du deuxième alinéa du présent article fait apparaître, le cas échéant après l'exercice des voies de recours devant le juge administratif dans les conditions fixées au neuvième alinéa, que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications. En cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement. Cette incompatibilité constitue la cause réelle et sérieuse du licenciement, qui est prononcé dans les conditions prévues par les dispositions du code du travail relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel. / (...) Le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai. Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de deux mois. La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige (...) ". L'article R. 114-7 du même code fixe la liste des fonctions pour lesquelles une enquête peut être sollicitée par l'employeur sur le fondement de ces dispositions. Le I de l'article R. 114-8 définit les modalités selon lesquelles les demandes d'enquête doivent être présentées par l'employeur lorsqu'elles le sont avant le recrutement ou l'affectation d'une personne sur un emploi et le II du même article définit ces modalités lorsqu'elles visent un salarié occupant déjà un tel emploi. Le I de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la transmission à l'employeur, par le ministre de l'intérieur, du résultat de l'enquête réalisée avant le recrutement ou l'affectation sur un emploi, sous la forme d'un avis de compatibilité ou d'incompatibilité qui n'a pas à être motivé. Enfin, le II de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la communication du résultat de l'enquête réalisée sur un salarié occupant déjà un emploi lorsqu'elle donne lieu à un avis d'incompatibilité, en précisant que, dans ce cas, l'avis est notifié au salarié et doit être motivé. Le même article institue, en outre, une procédure particulière de recours administratif devant le ministre de l'intérieur contre un tel avis.

3. L'avis d'incompatibilité émis en application du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure et du I de l'article R. 114-8 du même code, c'est-à-dire à la suite d'une enquête réalisée avant le recrutement ou l'affectation sur un emploi, revêt le caractère d'un acte administratif faisant grief, susceptible, par suite, de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

4. Il appartient à l'employeur qui saisit l'autorité administrative d'une demande d'enquête sur le fondement de l'article L.114-2 du code de la sécurité intérieure d'indiquer si sa demande est formulée au titre d'une future décision de recrutement ou d'affectation sur un emploi et relève, par suite, du premier alinéa de cet article, ou si elle l'est au titre de l'emploi que le salarié occupe déjà dans l'entreprise et relève, par suite, de son second alinéa. L'autorité administrative peut légalement se placer dans le cadre ainsi défini par l'employeur, sans être tenue de s'assurer qu'il correspond à la situation du salarié concerné. En conséquence, les moyens tirés, devant le juge de l'excès de pouvoir saisi de la légalité de l'avis rendu à l'issue d'une telle enquête, de ce que l'employeur aurait saisi l'administration sur un fondement qui ne correspond pas au statut de la personne concernée ou que l'avis rendu aurait dû respecter les règles applicables aux avis rendus sur un autre terrain que celui qu'a choisi l'employeur sont inopérants.

5. Il en va notamment ainsi du moyen tiré de ce que le salarié sur lequel une enquête a été demandée au titre d'une future décision de recrutement aurait dû, compte tenu de sa qualité de stagiaire, être regardé par l'administration comme occupant déjà un emploi dans l'entreprise.

6. Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Paris, au ministre de l'intérieur, à la ministre de la transition écologique et solidaire, à M. B.... Il sera publié au Journal officiel de la République française.







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