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Ariane Web: Conseil d'État 441171, lecture du 28 septembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:441171.20200928

Décision n° 441171
28 septembre 2020
Conseil d'État

N° 441171
ECLI:FR:CECHR:2020:441171.20200928
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Christelle Thomas, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public


Lecture du lundi 28 septembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société World Actu Magazines Ltd demande au Conseil d'Etat :

1° d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus du Premier ministre de procéder, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 37 de la Constitution, à la délégalisation des dispositions de l'article 5 de la loi n° 47-585 du 22 avril 1947 telles qu'elles résultent de la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 ;

2° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment ses articles 37 et 61-1 ;
- la loi n° 47-585 du 22 avril 1947 dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :


1. La société World Actu Magazines Ltd demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'engager la procédure prévue au second alinéa de l'article 37 de la Constitution et de procéder par décret à la modification des dispositions de l'article 5 de la loi du 22 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques.

2. Aux termes de l'article 5 de la loi du 22 avril 1947, dans sa rédaction issue de la loi du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse : " Toute société agréée de distribution de la presse est tenue de faire droit, dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires à la demande de distribution des publications d'une entreprise de presse conformément aux dispositions suivantes : / 1° La presse d'information politique et générale est distribuée dans les points de vente et selon les quantités déterminés par les entreprises éditrices de ces publications. La continuité de sa distribution doit être garantie. Les points de vente ne peuvent s'opposer à la diffusion d'un titre de presse d'information politique et générale / 2° Les journaux et publications périodiques bénéficiant des tarifs de presse prévus à l'article L. 4 du code des postes et des communications électroniques, autres que d'information politique et générale, sont distribués selon des règles d'assortiment des titres et de détermination des quantités servies aux points de vente définies par un accord interprofessionnel conclu entre les organisations professionnelles représentatives des entreprises de presse et des diffuseurs de presse et les sociétés agréées de distribution de la presse ou, le cas échéant, les organisations professionnelles représentatives de ces dernières. Cet accord tient compte des caractéristiques physiques et commerciales des points de vente, de la diversité de l'offre de presse et de l'actualité. Ceux-ci ne peuvent s'opposer à la diffusion d'un titre qui leur est présenté dans le respect des règles d'assortiment et de quantités servies mentionnées à la première phrase du présent 2° ; / 3° Pour les autres journaux et publications périodiques, les entreprises de presse, ou leurs représentants, et les diffuseurs de presse, ou leurs représentants, définissent par convention les références et les quantités servies aux points de vente. / Afin de permettre aux diffuseurs de presse de prendre connaissance de la diversité de l'offre, les journaux et publications périodiques mentionnés au 2° qui ne sont pas présents dans l'assortiment servi au diffuseur de presse ainsi que les journaux et publications périodiques mentionnés au 3° font l'objet d'une première proposition de mise en service auprès du point de vente. Celui-ci est libre de donner suite ou non à cette proposition de distribution ".

3. Ces dispositions, qui instaurent un droit des éditeurs à être distribués dans des conditions transparentes et non discriminatoires différencié selon la nature des publications, en préservant un droit absolu d'accès à la distribution pour la presse d'information politique et générale, en prévoyant un droit d'accès dans les limites de règles d'assortiment et de détermination des quantités fixées par un accord interprofessionnel pour la presse autre que d'information politique et générale bénéficiant de tarifs postaux aidés et, enfin, en affirmant le principe de la liberté commerciale pour l'ensemble des autres titres, ont trait aux règles relatives à la liberté, au pluralisme et à l'indépendance des médias ainsi qu'aux principes fondamentaux du régime des obligations commerciales, qui relèvent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi. La circonstance que de telles dispositions seraient incompatibles avec des normes supérieures est, en tout état de cause, sans incidence sur l'étendue du pouvoir dont dispose le Premier ministre en application des dispositions du second alinéa de l'article 37 de la Constitution, lesquelles ne lui donnent compétence pour abroger des dispositions contenues dans un texte de forme législative que pour autant qu'elles sont de nature réglementaire. Le Premier ministre était, dès lors, tenu d'opposer un refus à la demande qui lui était présentée.

4. Il résulte de ce qui précède que la société World Actu Magazines Ltd n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de le décision contestée. Par suite, et sans qu'il y ait lieu pour le Conseil d'Etat de se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l'article 5 de la loi du 22 avril 1947 dans leur rédaction issue de la loi du 18 octobre 2019 porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, sa requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société World Actu Magazines Ltd.
Article 2 : La requête de la société World Actu Magazines Ltd est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société World Actu Magazines Ltd et à la ministre de la culture.


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