Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 444425, lecture du 15 octobre 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:444425.20201015

Décision n° 444425
15 octobre 2020
Conseil d'État

N° 444425
ECLI:FR:CEORD:2020:444425.20201015
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP BOUTET-HOURDEAUX, avocats


Lecture du jeudi 15 octobre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 444425, par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 14 septembre, 15 septembre et 3 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... F... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard au risque de développement d'une forme grave de covid-19 par les personnes vulnérables au sens du décret du 5 mai 2020 qui ont dû reprendre leur activité le 31 août 2020 ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la santé et au droit à la vie ;
- la légalité du décret litigieux doit être appréciée à la date de la décision du juge et non à la date de son adoption ;
- le décret litigieux méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en ce qu'il limite indûment la liste des personnes vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne qualifie pas certaines catégories de personnes comme vulnérables ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il met fin dès le 31 août 2020 au chômage partiel des salariés du secteur privé qui partagent le domicile d'une personne vulnérable ;
- il méconnaît les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant respectivement l'homicide involontaire et les blessures involontaires graves ;
- il méconnaît le principe de sécurité juridique en ce qu'il impose un retour au travail à de nombreux salariés vulnérables ou partageant le domicile de personnes vulnérables dès le 31 août 2020, sans prévoir de délai d'adaptation suffisant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.





2° Sous le n° 444916, par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 septembre, 28 septembre et 9 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... E... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard au risque de développement d'une forme grave de covid-19 par les personnes vulnérables au sens du décret du 5 mai 2020 qui ont dû reprendre leur activité le 31 août 2020 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- la légalité de ce décret doit être appréciée à la date de la décision du juge et non à la date à laquelle il a été pris ;
- le décret contesté méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en ce qu'il limite indûment la liste des personnes vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne qualifie pas certaines catégories de personnes comme vulnérables ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il met fin dès le 31 août 2020 au chômage partiel des salariés du secteur privé qui partagent le domicile d'une personne vulnérable ;
- il méconnaît les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant respectivement l'homicide involontaire et les blessures involontaires graves ;
- il méconnaît le principe de sécurité juridique en ce qu'il impose un retour au travail de nombreux salariés vulnérables ou partageant le domicile de personnes vulnérables dès le 31 août 2020 sans prévoir de délai d'adaptation suffisant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.




3° Sous le n° 444919, par une requête, enregistrée les 27 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Il soulève les mêmes moyens que ceux soulevés sous le n° 444425.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.




4° Sous le n° 445029, par une requête, enregistrée le 1er octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue nationale contre l'obésité demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Elle soulève les mêmes moyens que ceux soulevés sous le n° 444425.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.



5° Sous le n° 445030, par une requête, enregistrée le 1er octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue nationale contre l'obésité demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soulève les mêmes moyens que ceux soulevés sous le n° 444916.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.





Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. F..., M. E..., M. C... et la Ligue nationale contre l'obésité, d'autre part, le Premier ministre, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 octobre 2020 à 11 heures :

- Me Hourdeaux, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérants ;

- M. E... ;

- le représentant de M. E... ;

- les représentants de la Ligue nationale contre l'obésité ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle la clôture de l'instruction a été différée au même jour à 19 heures, puis au 12 octobre 2020 à 11 heures.

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 octobre 2020, présenté par M. F..., qui persiste dans les conclusions de sa requête ;

Vu les nouveaux mémoires, enregistrés le 9 octobre 2020 et le 12 octobre 2020 avant la clôture de l'instruction, présentés par M. E..., qui persiste dans les conclusions de sa requête ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 octobre 2020, présenté par M. C..., qui persiste dans les conclusions de sa requête ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 octobre 2020, présenté par le ministre des solidarités et de la santé sous les n° 444916 et 445030, qui persiste dans ses conclusions ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 11 octobre 2020, présenté par la Ligue nationale contre l'obésité sous les n° 445029 et 445030, qui persiste dans les conclusions de ses requêtes ;


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code pénal ;
- la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 ;
- le décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 ;
- le code de justice administrative ;




Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus, qui sont présentées, pour deux d'entre elles, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, pour les trois autres, sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code, tendent à la suspension de l'exécution du même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 dispose que : " Sont placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs suivants :/ - le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2, selon des critères définis par voie réglementaire ;/ - le salarié partage le même domicile qu'une personne vulnérable au sens du deuxième alinéa du présent I ; (...) ", le III de cet article précisant que : " (...) / Pour les salariés mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du (...) I, celui-ci s'applique jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020./(...) Les modalités d'application du présent article sont définies par voie réglementaire. " Pour l'application de ces dispositions, le décret du 5 mai 2020 ci-dessus visé a défini les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 et pouvant être placés en activité partielle au titre des dispositions précitées de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020. Puis, par le décret du 29 août 2020 dont les requérants demandent la suspension, le Premier ministre a modifié ces critères à compter du 1er septembre 2020, fixé au 31 août 2020 la date jusqu'à laquelle le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 s'applique aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable, et abrogé en conséquence le décret du 5 mai 2020 à compter du 1er septembre 2020, ces dates étant différées dans les départements de Guyane et de Mayotte jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire.

Sur le référé suspension présenté par la Ligue nationale contre l'obésité sous le n° 445030 :
3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

En ce qui concerne la fin de non-recevoir soulevée par le ministre des solidarités et de la santé :

4. La Ligue nationale contre l'obésité est une association de représentants d'usagers du système de santé ayant notamment pour objet, aux termes de ses statuts, la promotion des droits des personnes souffrant d'obésité ou de surpoids et le développement par tous moyens d'actions en faveur de la prise en charge de ces personnes. Elle justifie ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre des solidarités et de la santé, d'un intérêt suffisant à la suspension de l'exécution du décret du 29 août 2020, qui restreint les conditions dans lesquelles les patients atteints d'obésité, affection qui permettait sous l'empire du décret du 5 mai 2020, au-delà d'un indice de masse corporelle de 30 kg/m², d'être regardé comme vulnérable au sens du I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020, peuvent désormais être reconnus comme tels.

En ce qui concerne l'urgence :

5. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution de la décision soit suspendue, sans attendre le jugement de la requête au fond lorsque le requérant présente sa demande sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.

6. L'association requérante soutient qu'en conséquence, d'une part, de la modification, à compter du 1er septembre 2020, des critères de la vulnérabilité permettant à un salarié d'être placé en position d'activité partielle en application du I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 et, d'autre part, de la fin à la même date de l'ouverture de cette mesure aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable, de nombreux salariés jusqu'alors regardés comme présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 ou cohabitant avec une personne présentant un tel risque se trouvent désormais dans l'obligation d'exécuter leur contrat de travail, ce qui les expose, en dépit des mesures de protection prises, à la contamination par une personne excrétant le virus dans les transports lors des trajets entre leur domicile et leur lieu de travail ou sur ce lieu de travail. Le ministre fait valoir que les salariés précédemment regardés comme vulnérables pour l'application du I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 et qui ne le sont plus depuis l'entrée en vigueur du décret en litige conservent la possibilité, lorsqu'ils ne peuvent exercer leur activité professionnelle en télétravail, d'être placés en arrêt de maladie de droit commun par leur médecin ou par le médecin du travail si celui-ci estime que leur état de santé le justifie au regard notamment de leurs conditions de travail. Toutefois, il résulte de l'instruction et des précisions apportées à l'audience, non seulement que cette possibilité n'a fait l'objet d'aucune information ni d'aucun rappel lors et depuis l'entrée en vigueur du décret du 29 août 2020, mais au contraire qu'il a été indiqué, notamment sur le site ameli.fr aux médecins, qu'à compter du 1er septembre 2020, parmi les personnes vulnérables plus particulièrement exposées au covid-19, " seuls les assurés couvrant les 4 situations [prévues par le décret du 29 août 2020] " pouvaient " obtenir un arrêt de travail et être indemnisés ". Eu égard à l'ambiguïté des informations ainsi données, la prescription d'arrêts de maladie de droit commun aux salariés ne bénéficiant plus du régime d'activité partielle dont l'état de santé le justifierait ne peut être regardée, à ce jour, comme assurée de façon suffisamment certaine, de telle sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie en tant que le décret litigieux ne permet plus le placement en activité partielle de ces salariés. Elle ne peut qu'être également regardée comme remplie en tant que ce décret met fin à cette mesure s'agissant des salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable, dont il n'est pas contesté qu'ils ne sont en tout état de cause, pour leur part, pas susceptibles d'être placés en arrêt de maladie.

En ce qui concerne le doute sérieux :

7. Il résulte des dispositions de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 citées au point 2 qu'il était loisible au Premier ministre, s'il estimait, avant même l'échéance du 31 décembre 2020, que la situation ne justifiait plus que les salariés vulnérables ou ceux cohabitant avec une personne vulnérable fussent placés en position d'activité partielle, y compris au motif que la prescription d'arrêts de travail de droit commun par un médecin au terme d'une appréciation de la situation de chaque salarié apparaîtrait désormais plus adéquate, de mettre fin à cette mesure. A ce titre, les moyens tirés de ce que le III de cet article aurait imposé qu'il ne soit mis fin à cette mesure qu'à une date identique pour les salariés vulnérables eux-mêmes et pour les salariés cohabitant avec une personne vulnérable ou de ce que le décret serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il a entièrement mis fin à la mesure pour les salariés cohabitant avec une personne vulnérable alors qu'il n'y a pas entièrement mis fin pour les salariés vulnérables ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué, eu égard notamment à la différence de situation qui existe, entre les salariés eux-mêmes vulnérables et ceux cohabitant seulement avec une personne vulnérable, quant au risque créé pour les personnes vulnérables, direct pour les uns, indirect pour les autres, du fait de l'exposition des salariés concernés à une contamination par le virus à l'occasion du travail.

8. S'il résulte également des dispositions de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 que celles-ci laissent au Premier ministre un large pouvoir d'appréciation pour définir les critères selon lesquelles une personne doit être regardée comme vulnérable, il lui incombe, dans la mise en oeuvre de ce pouvoir réglementaire, de justifier de critères pertinents au regard de l'objet de la mesure et cohérents entre eux. S'il pouvait à ce titre notamment prendre en compte, comme il le fait valoir, l'évolution de la situation sanitaire et la moindre circulation du virus à la date à laquelle il a pris le décret litigieux, ainsi que le renforcement des mesures de protection des personnes lors de leurs déplacement et sur leur lieu de travail, pour retenir une liste de situations et de pathologies plus étroite que celle résultant du décret du 5 mai 2020, il ne pouvait, ce faisant, en exclure des situations ou pathologies exposant, en l'état des connaissances scientifiques, à un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 équivalent ou supérieur à celui de situations ou pathologies pour lesquelles il a estimé ne pas devoir mettre fin à la mesure.

9. Il résulte en l'espèce de l'instruction que le Haut conseil de la santé publique, dont le ministre a indiqué avoir pris en compte les avis, a, le 20 avril 2020, dressé la liste, correspondant à celle ensuite retenue par le décret du 5 mai 2020, des personnes devant, selon lui, au vu des données de la littérature ou en raison d'une présomption, être considérées à risque de développer une forme grave de covid-19. Si le Haut conseil de la santé publique a, par la suite, le 19 juin 2020, indiqué que le risque en milieu professionnel, même pour les professions au contact avec le public ou les malades, pouvait être contrôlé par une application stricte des mesures barrières, il n'a, en revanche, pas modifié la liste qu'il avait dressée précédemment. Il a seulement précisé, le 23 juillet 2020, dans son avis relatif à l'opportunité de recommandations spécifiques pour certaines personnes pouvant être considérées comme particulièrement vulnérables parmi les personnes à risque de forme grave de covid-19, qu'il n'était pas possible de distinguer des personnes " à très haut risque vital " parmi les personnes en âge de travailler et à risque de forme grave de covid-19 et que le processus d'évolution vers une forme grave de covid-19 et/ou de décès était probablement multifactoriel, incluant l'âge, la ou les associations de comorbidité, le délai et le type de prise en charge.

10. Pour justifier la liste plus étroite néanmoins retenue, le ministre des solidarités et de la santé fait état, en premier lieu, d'une étude anglaise publiée le 8 juillet 2020 dans la revue " Nature ", à laquelle le Haut conseil de la santé publique s'est d'ailleurs également référé, dont il se borne à communiquer le lien et à reproduire un graphique mettant en relation certains facteurs avec l'estimation du rapport de risque de décès de covid-19 correspondant, sans que cette étude apparaisse cependant de nature à expliquer l'ensemble des choix effectués, notamment le fait que le diabète ou l'obésité n'aient été retenus que lorsqu'ils sont associés chez une personne âgée de plus de 65 ans. Il fait état, en second lieu, sur ce dernier point, des données résultant de l'étude française " Coronado " publiées en ligne le 26 août 2020, laquelle ne formule toutefois à cet égard que des hypothèses renvoyant à des études ultérieures. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret litigieux serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans le choix des critères de vulnérabilité apparaît propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

11. Aucun des autres moyens soulevés n'étant propre à créer, en l'état de l'instruction, de doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué, il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante est seulement fondée à demander la suspension de l'exécution des articles 2, 3 et 4 du décret du 29 août 2020, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur leur légalité.

En ce qui concerne les frais de l'instance :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que l'association requérante demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les autres requêtes :

13. La présente décision ordonne la suspension de l'exécution des articles 2, 3 et 4 du décret du 29 août 2020. Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de suspension des mêmes dispositions présentées par les autres requérants, qui ont perdu leur objet.

14. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que les conclusions des mêmes requérants tendant à la suspension de l'article 1er du même décret ne peuvent qu'être rejetées.

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de ces requérants présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'exécution des articles 2, 3 et 4 du décret du 29 août 2020 est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur leur légalité.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de suspension des articles 2, 3 et 4 du décret du 29 août 2020 présentées sous les n° 444425, 444916, 444919 et 445029.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D... F..., à M. A... C..., à M. B... E..., à la Ligue nationale contre l'obésité et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion