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Ariane Web: Conseil d'État 439996, lecture du 22 décembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:439996.20201222

Décision n° 439996
22 décembre 2020
Conseil d'État

N° 439996
ECLI:FR:CECHR:2020:439996.20201222
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Réda Wadjinny-Green, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public


Lecture du mardi 22 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 6 avril, 7 avril et 12 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir la décision révélée par la mise en ligne de modèles d'attestation de déplacement dérogatoire et de justificatif de déplacement professionnel prise sur le fondement du II de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

2°) à titre subsidiaire, de l'annuler en tant que :
- elle oblige, pour tout motif dérogatoire de déplacement, à indiquer sur l'attestation de déplacement dérogatoire l'heure de début de sortie, alors que le décret ne prévoit pas de cadre temporel pour l'ensemble des motifs dérogatoires ;
- pour le motif dérogatoire du 8° du I de l'article 3 du décret du 23 mars 2020, aucune attestation dérogatoire permanente n'est prévue sur le modèle de celle qui est proposée pour les déplacements professionnels ;
- elle ne prévoit pas que des imprimés correspondant aux modèles d'attestation et de justificatif soient mis à disposition du public en mairie ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 001 francs Pacifique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par un décret du 19 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être arrêtées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.

2. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment édictées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Aux termes de l'article 3 de ce décret : " I. - Jusqu'au 31 mars 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l'exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes : / 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ; / 2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l'article 8 du présent décret ; / 3° Déplacements pour motifs de santé à l'exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d'une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ; / 4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance des personnes vulnérables et pour la garde d'enfants ; / 5° Déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ; / 6° Déplacements résultant d'une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l'autorité de police administrative ou l'autorité judiciaire ; / 7° Déplacements résultant d'une convocation émanant d'une juridiction administrative ou de l'autorité judiciaire ; / 8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et dans les conditions qu'elle précise. / II. - Les personnes souhaitant bénéficier de l'une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d'un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l'une de ces exceptions. / III. - Le représentant de l'Etat dans le département est habilité à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes lorsque les circonstances locales l'exigent. / IV. - Le présent article s'applique à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ". Pour faciliter la mise en oeuvre de ces règles, le gouvernement a mis à disposition du public, sur un site internet, un modèle d'attestation que les personnes qui souhaitaient se déplacer hors de leur domicile pouvaient remplir, afin de justifier, comme elles pouvaient par ailleurs le faire par tout document apportant des justifications équivalentes, que leur déplacement entrait dans le champ de l'une des exceptions prévues au I de l'article 3 du décret du 23 mars 2020, ainsi qu'un modèle de justificatif de déplacement professionnel. M. B... demande l'annulation de ces modèles. Un mémoire en défense, régulièrement présenté par le ministre des solidarités et de la santé et signé au nom du ministre par le directeur des affaires juridiques du ministère qui disposait d'une délégation de signature en application de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, qui, contrairement à ce que soutient M. B..., n'est entaché d'aucune irrecevabilité qui résulterait d'une situation de conflit d'intérêts, demande au Conseil d'Etat de rejeter cette requête.

3. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre.

4. Dès lors que le II de l'article 3 ne prévoit aucun formalisme particulier pour les documents permettant d'établir qu'un déplacement dérogatoire est justifié au regard des critères posés par le I cet article, l'utilisation des modèles d'attestation et de justificatif mis en ligne sur le site internet du gouvernement et du ministère de l'intérieur n'était pas obligatoire. Toutefois, ces modèles ont été de nature à produire des effets notables sur la liberté d'aller et de venir des personnes concernées par l'interdiction de sortie prévue à l'article 3 du décret du 23 mars 2020. La requête de M. B..., qui tend à leur annulation, est donc recevable.

5. En premier lieu, l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Si ces dispositions imposent qu'une décision écrite prise par une des autorités administratives au sens de cette loi comporte la signature de son auteur et les mentions qu'elles prévoient, elles n'ont ni pour objet, ni pour effet d'imposer que toute décision prise par ces autorités administratives prenne une forme écrite. Les modèles mis en ligne, qui n'ont aucune valeur obligatoire, ne constituent pas des décisions relevant du champ de de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les modèles litigieux méconnaissent cet article et le moyen tiré de ce qu'ils seraient, pour ce motif, entachés d'incompétence ne peuvent qu'être écartés.

6. En deuxième lieu, la seule présence, sur un modèle d'attestation comportant l'ensemble des cas de sortie autorisés, d'un espace permettant, au pied du document, de mentionner l'heure de sortie du domicile, ne peut, en tout état de cause, être regardée comme signifiant que le signataire de l'attestation doit mentionner son heure de sortie dans les cas où elle n'est pas légalement requise.

7. En troisième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Dès lors que les travailleurs ne sont pas dans la même situation que les personnes participant à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et que la production pour les premiers d'un modèle d'attestation permanente vise à limiter la charge administrative pesant sur les employeurs et les employés, le requérant n'est en tout état de cause pas fondé à soutenir que la mise en ligne d'un modèle d'attestation permanent pour les déplacements relevant du 1° du I de l'article 3, mais pas pour ceux qui relèvent du 8° de ce même I, méconnaîtrait le principe d'égalité.

8. En dernier lieu, les modèles d'attestation mis en ligne ne constituent pas, ainsi qu'il a été dit, l'unique moyen de justifier qu'un déplacement respecte les conditions fixées par l'article 3 du décret du 23 mars 2020. Il s'ensuit que M. B... ne saurait utilement soutenir que l'absence de mise à disposition du public d'imprimés du modèle d'attestation en mairie méconnaîtrait les principes d'égalité et de non-discrimination qu'il invoque.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre des solidarités et de la santé, que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


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