Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 439932, lecture du 30 décembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:439932.20201230

Décision n° 439932
30 décembre 2020
Conseil d'État

N° 439932
ECLI:FR:CECHR:2020:439932.20201230
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Cécile Vaullerin, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public


Lecture du mercredi 30 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 avril et 24 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du vice-président du Conseil d'Etat du 23 mars 2020 prononçant un avertissement à son encontre ;

2°) de mettre à la charge du Conseil d'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-146 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... D..., auditrice,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... C..., conseiller d'Etat, a fait l'objet d'une condamnation par un jugement du tribunal correctionnel de Bobigny, en date du 9 décembre 2019, pour délit de rébellion commise en réunion et acte d'intimidation envers un dépositaire de l'autorité publique à l'occasion d'une perquisition ayant eu lieu le 16 octobre 2018, dans les bureaux du parti politique " La France Insoumise ". Par un courrier du 28 janvier 2020, le vice-président du Conseil d'Etat a saisi la commission supérieure du Conseil d'Etat de certains des faits retenus par le jugement, devenu définitif, du tribunal correctionnel. Par un arrêté du 23 mars 2020, sur proposition de la commission supérieure, le vice-président du Conseil d'Etat a prononcé un avertissement à l'encontre du requérant pour avoir fait un usage inapproprié de sa carte professionnelle, en dehors de l'exercice de ses fonctions et sans relation avec les besoins du service.


Sur la légalité externe :

2. Aux termes de l'article L. 132-1 du code de justice administrative : " La commission supérieure du Conseil d'État comprend : / 1o Le vice-président du Conseil d'État, qui la préside ; / 2o Les présidents de section en activité exerçant des fonctions de président de section ; / 3o Huit membres élus représentant les membres du Conseil d'État. Leur mandat est de trois ans, renouvelable une fois ; / 4o Trois personnalités qualifiées choisies pour leurs compétences dans le domaine du droit en dehors des membres du Conseil d'État et des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, qui n'exercent pas de mandat parlementaire et sont désignées pour une période de trois ans non renouvelable, respectivement par décret du Président de la République, par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat. ". Aux termes de l'article L. 136-4 du même code : " Les sanctions disciplinaires sont prononcées par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sur proposition de la commission supérieure du Conseil d'État. Toutefois, l'avertissement et le blâme peuvent être prononcés, sans consultation de la commission supérieure, par le vice-président du Conseil d'État. " L'article L. 136-5 du même code dispose que : " En matière disciplinaire, le vice-président du Conseil d'État, le président de la section du contentieux et les membres élus de la commission de grade inférieur à celui du membre dont le cas est examiné ne siègent pas. La commission supérieure est alors présidée par le président de section administrative le plus ancien. " Aux termes de l'article R.*132-1 du même code : " La commission supérieure du Conseil d'État comprend, en tant que membres élus : 1o Quatre conseillers d'État en service ordinaire ou en service extraordinaire ; / 2o Trois maîtres des requêtes en service ordinaire ou en service extraordinaire ; / 3o Un auditeur. Il est procédé à l'élection de trois suppléants pour les catégories mentionnées aux 1o et 2o et de deux suppléants pour celle mentionnée au 3o. "

3. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que l'ensemble des conseillers d'Etat sont appelés à élire les membres les représentant au sein de la commission supérieure du Conseil d'Etat, sans que soit établie de distinction entre conseillers d'Etat en service ordinaire et conseillers d'Etat en service extraordinaire, ni parmi ces représentants, ni au sein du collège qui les élit. Les conseillers d'Etat en service extraordinaire, qui peuvent être soit accueillis en détachement pour exercer une activité contentieuse, soit mis à disposition par leur administration d'origine pour l'exercice de fonctions consultatives ou admis à exercer ces fonctions après leur mise à la retraite, soit enfin recrutés par contrat, pour ceux d'entre eux qui ne sont pas agents publics, sont, pour cette raison, dans une situation différente, vis-à-vis de leur grade, qu'ils n'occupent que pour la durée de ce détachement, de cette mise à disposition ou de ce contrat, de celle des conseillers d'Etat en service ordinaire. Mais il résulte des dispositions précitées qu'ils sont, pour l'élection et la participation à la commission supérieure du Conseil d'Etat, pleinement assimilés aux conseillers d'Etat en service ordinaire avec lesquels ils forment une même catégorie au sens de l'article R.* 132-1 et qu'ils ne peuvent être regardés, pour l'application de la règle fixée en matière disciplinaire par l'article L.136-5 précité, comme des " membres élus de la commission de grade inférieur " à celui des conseillers d'Etat en service ordinaire. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la participation d'une conseillère d'Etat en service extraordinaire à la commission permanente qui a délibéré de son cas entachait la composition de cette commission d'irrégularité.

4. En deuxième lieu, d'une part, la seule circonstance que la rapporteure ait effectué, dix ans avant la procédure litigieuse, une mobilité comme substitut du procureur près le tribunal de grande instance de Paris n'est pas, contrairement à ce que soutient le requérant, de nature à remettre en cause son impartialité. D'autre part, contrairement à ce qu'affirme le requérant, ses fonctions de présidente de chambre à la section du contentieux ne faisaient pas obstacle à sa désignation comme rapporteure dans le cadre d'une procédure disciplinaire, dès lors qu'elle excluait sa participation ultérieure à l'instruction ou au jugement d'un éventuel recours contre la décision contestée. Enfin, le requérant n'apporte aucun élément de nature à mettre en cause l'objectivité du rapport établi au cours de la procédure.

5. En troisième lieu, en vertu de l'article R.*132-4 du code de justice administrative relatif à la composition de la commission supérieure du Conseil d'Etat, " Si, avant l'expiration de son mandat, l'un des représentants titulaires des membres élus démissionne, se trouve dans l'impossibilité d'exercer son mandat, ou ne remplit plus les conditions posées au premier alinéa de l'article R.* 132-2, il est remplacé par le suppléant le plus ancien dans l'ordre du tableau élu par le même collège électoral. S'il n'existe plus, pour un collège donné, un nombre suffisant de titulaires, il est procédé à une élection complémentaire dans un délai de deux mois. Les représentants élus dans ces conditions achèvent le mandat de ceux qu'ils remplacent. Toutefois, lorsque le mandat de l'ensemble des représentants élus de la commission supérieure doit être renouvelé moins de six mois avant le terme du mandat, il n'est pas procédé à une élection complémentaire. (...) ". Le requérant soutient que la composition de la commission supérieure était irrégulière faute de convocation d'élections partielles pour remplacer les membres élus démissionnaires. Si, à la date de la délibération, le collège des conseillers d'Etat ne comptait plus que trois membres à la suite du départ et de la démission de trois membres titulaires, il ressort des pièces du dossier que le départ le plus récent avait eu lieu dans les six mois précédant la fin du mandat de l'ensemble des membres élus de la commission supérieure, ce qui ne permettait pas, conformément à l'article R. *132-4 du code de justice administrative, la tenue d'élections partielles.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'un vice de procédure.


Sur la légalité interne :

7. En premier lieu, les poursuites disciplinaires qui peuvent être engagées par l'autorité investie du pouvoir de nomination contre un fonctionnaire en raison de manquements à ses obligations ne constituent pas des accusations en matière pénale, au sens des stipulations de l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que le vice-président du Conseil d'Etat aurait méconnu ces stipulations en lui infligeant un avertissement alors qu'il aurait déjà été condamné pénalement pour des faits identiques à ceux qui ont motivé la sanction prononcée contre lui.

8. En deuxième lieu, si M. C... invoque le fait qu'il a été temporairement mis en retrait de ses fonctions au sein de la mission d'inspection des juridictions administratives, cette mesure, prise à titre conservatoire dans l'intérêt du service à la suite des faits survenus le 16 octobre 2018, ne présentait pas le caractère d'une sanction. Par ailleurs, s'il a été mis fin à ses fonctions de président d'une formation de jugement au sein de la Cour nationale du droit d'asile à la suite d'un incident d'audience, cette décision, prise au demeurant avec l'accord de l'intéressé, ne présentait pas davantage le caractère d'une sanction. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il a été sanctionné à plusieurs reprises pour les mêmes faits.

9. En dernier lieu, dans son jugement du 9 décembre 2019, le tribunal correctionnel a, contrairement à ce que soutient M. C..., retenu l'usage par le requérant de sa carte professionnelle de conseiller d'Etat parmi les faits établis qui ont motivé sa condamnation pour intimidation envers un dépositaire de l'autorité publique. Les constations effectuées par le juge pénal, dans une décision devenue définitive, portant sur l'existence matérielle des faits et qui sont le support nécessaire du dispositif, sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée. Seuls ces faits, tels qu'établis par le juge pénal, ont fondé la sanction administrative attaquée. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de sanction est fondée sur des faits qui n'ont pas été matériellement établis par le jugement du tribunal correctionnel doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Conseil d'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... C... et au secrétaire général du Conseil d'Etat.