Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 441075, lecture du 30 décembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:441075.20201230

Décision n° 441075
30 décembre 2020
Conseil d'État

N° 441075
ECLI:FR:CECHR:2020:441075.20201230
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats


Lecture du mercredi 30 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La communauté de communes de la Ténarèze a demandé au tribunal administratif de Pau d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 15 janvier 2020 par laquelle le préfet du Gers a mis en oeuvre les dispositions de l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme à l'encontre de la délibération du 17 décembre 2019 par laquelle le conseil communautaire a approuvé le plan local d'urbanisme intercommunal. Par une ordonnance n° 2000378 du 27 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 8 juin et 1er décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté de communes de la Ténarèze demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-146 du 18 novembre 2020.



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... A..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la communauté de communes de La Téranèze ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Pau que par une délibération du 17 décembre 2019, le conseil communautaire de la communauté de communes de la Ténarèze, dont le territoire n'est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale, a approuvé le plan local d'urbanisme intercommunal valant programme local de l'habitat. Par une décision du 15 janvier 2020, la préfète du Gers a, sur le fondement de l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme, demandé à la communauté de communes d'apporter trois modifications à ce plan local d'urbanisme intercommunal consistant, en premier lieu, à supprimer ou à localiser dans des parties déjà anthropisées du territoire de la communauté de communes trois zones destinées à accueillir des installations photovoltaïques, en deuxième lieu, à classer en zone UX l'emprise de la voie d'accès au futur site de l'abattoir de Condom, en troisième lieu, à définir de façon plus précise les critères permettant le changement de destination des bâtiments isolés en zones agricole et naturelle, afin de limiter le nombre et la dispersion des bâtiments concernés, et à traduire ces nouveaux critères dans les documents graphiques. La communauté de communes a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de cette décision. La communauté de communes se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 27 mars 2020 par laquelle le juge des référés a rejeté cette demande.

2. Aux termes de l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme : " Lorsque le plan local d'urbanisme porte sur un territoire qui n'est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale approuvé, l'autorité administrative compétente de l'Etat notifie, dans le délai d'un mois prévu à l'article L. 153-24, par lettre motivée à l'établissement public de coopération intercommunale ou à la commune, les modifications qu'il estime nécessaire d'apporter au plan lorsque les dispositions de celui-ci : (...) / 2° Compromettent gravement les principes énoncés à l'article L. 101-2, sont contraires à un projet d'intérêt général, autorisent une consommation excessive de l'espace, notamment en ne prévoyant pas la densification des secteurs desservis par les transports ou les équipements collectifs, ou ne prennent pas suffisamment en compte les enjeux relatifs à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques ; (...) / Le plan local d'urbanisme ne devient exécutoire qu'après l'intervention, la publication et la transmission à l'autorité administrative compétente de l'Etat des modifications demandées ".


Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 123-20 du code de justice administrative : " Dans un délai de quinze jours à compter de la réception des conclusions du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête, le président du tribunal administratif ou le conseiller qu'il délègue peut également intervenir de sa propre initiative auprès de son auteur pour qu'il les complète, lorsqu'il constate une insuffisance ou un défaut de motivation de ces conclusions susceptible de constituer une irrégularité dans la procédure. Il en informe l'autorité compétente ". Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'enquête publique sur le projet d'élaboration du plan local d'urbanisme intercommunal s'est déroulée du 19 août au 27 septembre 2019, que la commission d'enquête a rendu son rapport le 31 octobre 2019 et que la présidente du tribunal administratif de Pau est intervenue le 21 novembre 2019, en application des dispositions de l'article R. 123-20 du code de justice administrative, pour demander à la commission d'enquête de compléter ses conclusions afin que soient mieux appréhendées les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis favorable, en dépit des réserves formulées dans son rapport par cette même commission. Cette intervention de la présidente du tribunal administratif, qui ne portait, conformément aux dispositions de l'article R. 123-20 du code de justice administrative, que sur la nécessité de compléter l'avis de la commission d'enquête et non sur le bien-fondé de cet avis et des réserves émises, ne faisait pas obstacle à ce qu'elle se prononce, en qualité de juge des référés, sur la demande de la communauté de communes tendant à la suspension de l'exécution de la décision préfectorale du 15 janvier 2020 ayant, sur le fondement de l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme, suspendu l'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme intercommunal. Par conséquent, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le principe d'impartialité des juridictions aurait été méconnu.

4. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme que l'exécution d'un plan local d'urbanisme est différée tant que la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale qui en est l'auteur ne lui a pas apporté les modifications demandées par le préfet. Dès lors que le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de l'exécution de la décision du préfet prise sur le fondement de ces dispositions, estime qu'un moyen est propre à créer un doute sérieux sur la légalité de l'une des demandes de modification du plan local d'urbanisme, il lui appartient de suspendre la décision préfectorale contestée en tant qu'elle a enjoint à la commune ou à l'établissement public de coopération intercommunale d'apporter la modification en cause. Par conséquent, en estimant qu'était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen dirigé contre la demande de modification du plan en tant qu'il porte classement de la voie d'accès au projet d'abattoir de Condom, mais en rejetant l'ensemble des conclusions dont il était saisi au motif que la préfète aurait pris la même décision si elle n'avait retenu que les deux premiers motifs qui lui paraissaient de nature à fonder légalement sa décision, le juge des référés a méconnu son office. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension présentée par la communauté de communes requérante, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".


Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée :

7. En premier lieu, en relevant que les secteurs de Cazeneuve et Lagraulet-du-Gers sont situés dans un corridor écologique ou un secteur identifié comme un élément de paysage et le secteur de Condom dans un secteur à vocation essentiellement agricole, et en estimant que ces secteurs ne pouvaient être classés en zone AEenr, destinée à accueillir des champs de panneaux photovoltaïques, dès lors que l'étendue du territoire couvert par le plan local d'urbanisme intercommunal offrait aux auteurs de ce plan des possibilités de localisation alternatives dans des secteurs déjà anthropisés, la préfète a entendu garantir l'utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels, conformément aux dispositions du c) du 1° et du 6° de l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par sa décision de l'article L.153-25 du code de l'urbanisme ne paraît pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur à la légalité de la décision attaquée.

8. En deuxième lieu, en demandant à la communauté de communes de préciser les critères encadrant la reconversion de 5 000 bâtiments isolés situés en zone agricole ou naturelle vers d'autres usages, afin d'assurer la préservation des espaces affectés à l'activité agricole, prévue par le projet d'aménagement et de développement durable intercommunal, la préfète a entendu garantir le respect de l'équilibre entre une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et les autres objectifs visés par le c) du 1° de l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

9. En troisième lieu, en vertu de l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme, le plan local d'urbanisme peut autoriser, dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, " les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière du terrain sur lequel elles sont implantées et qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ". Pour demander la modification du classement de la voie d'accès au futur abattoir de Condom pour l'intégrer dans la zone UX, la préfète du Gers a estimé qu'elle ne pourrait être réalisée sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme et que, par suite, le plan local d'urbanisme intercommunal était, sur ce point, contraire au projet d'intérêt général de création de l'abattoir. Le moyen tiré de ce qu'un tel motif est entaché d'erreur de droit est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.


Sur l'urgence :

10. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

11. La demande de la préfète du Gers a notamment pour effet de subordonner l'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme intercommunal à sa modification par l'intégration dans la zone UX de l'emprise de la voie d'accès à l'abattoir de Condom. Dès lors que la mise en oeuvre de cette modification est de nature à retarder l'entrée en vigueur du document d'urbanisme approuvé par le conseil communautaire, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision de la préfète du Gers du 15 janvier 2020 en tant seulement qu'elle a enjoint à la communauté de communes de modifier le plan local d'urbanisme intercommunal pour intégrer dans la zone UX l'emprise de la voie d'accès au futur site de l'abattoir de Condom.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la communauté de communes de la Ténarèze au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance n° 2000378 du 27 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Pau est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision de la préfète du Gers du 15 janvier 2020 est suspendue en tant qu'elle a enjoint à la communauté de communes de modifier le plan local d'urbanisme intercommunal pour intégrer dans la zone UX l'emprise de la voie d'accès au futur site de l'abattoir de Condom.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la communauté de communes de la Ténarèze au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de la communauté de communes de la Ténarèze est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la communauté de communes de la Ténarèze et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Voir aussi