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Ariane Web: Conseil d'État 444751, lecture du 31 décembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:444751.20201231

Décision n° 444751
31 décembre 2020
Conseil d'État

N° 444751
ECLI:FR:CECHR:2020:444751.20201231
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Sébastien Gauthier, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; CABINET BRIARD, avocats


Lecture du jeudi 31 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre et 14 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société towerCast demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a rejeté sa demande tendant à réaliser une analyse du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre et de lui communiquer le calendrier de cette même analyse ;

2°) d'enjoindre à l'ARCEP de réaliser une analyse du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre en application des articles L. 32-1-III-1° et 2°, L. 32-1-V et L. 38-III du code des postes et des communications électroniques ;

3°) d'enjoindre à l'ARCEP de prendre les dispositions nécessaires en vue de prolonger, sur le fondement des articles L. 37-1 et D. 301 du code des postes et des communications électroniques, le quatrième cycle de régulation du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre jusqu'au 17 décembre 2021, en maintenant jusqu'à cette date les obligations imposées à TDF par la décision n° 2015-1583 du 15 décembre 2015, prolongées par la décision n° 2019-0555 du 16 avril 2019 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des postes et communications électroniques ;
- le code de justice administrative, l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Towercast ;



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Aux termes du V de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques : " V. - Lorsque, dans le cadre des dispositions du présent code, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse envisagent d'adopter des mesures ayant une incidence importante sur un marché ou affectant les intérêts des utilisateurs finals, ils rendent publiques les mesures envisagées dans un délai raisonnable avant leur adoption et recueillent les observations qui sont faites à leur sujet.(...). "

2. Les deux premiers alinéas de l'article L. 37-1 du même code disposent que l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) " détermine, au regard notamment des obstacles au développement d'une concurrence effective, et après avis de l'Autorité de la concurrence, les marchés du secteur des communications électroniques pertinents, en vue de l'application des articles L. 38, L. 38-1 et L. 38-2. / Après avoir analysé l'état et l'évolution prévisible de la concurrence sur ces marchés, l'autorité établit, après avis de l'Autorité de la concurrence, la liste des opérateurs réputés exercer une influence significative sur chacun de ces marchés (...) ". En application de l'article L. 37-2 du même code, l'ARCEP " fixe en les motivant (...) 2° Les obligations des opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques, prévues aux articles L. 38 et L. 38-1 ; (...) / Ces obligations s'appliquent pendant une durée limitée fixée par l'autorité, pour autant qu'une nouvelle analyse du marché concerné, effectuée en application de l'article L. 37-1, ne les rendent pas caduques./ L'Autorité n'impose d'obligations aux opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques qu'en l'absence de concurrence effective et durable et les supprime dès lors qu'une telle concurrence existe. ". Selon le III de l'article L. 38 du même code, les obligations pouvant être imposées aux opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques et prévues à cet article " sont établies, maintenues ou supprimées, compte tenu de l'analyse du marché prévue à l'article L. 37-1. / Au moment de la révision de l'analyse d'un marché, l'autorité publie un bilan relatif aux résultats effectifs, eu égard aux objectifs poursuivis, des mesures décidées en vertu de l'analyse précédente. "

3. En vertu des articles D. 301 à D. 303 du même code, la désignation par l'ARCEP d'un marché comme pertinent en vue de l'application de mesures de régulation, la détermination du ou des opérateurs réputés exercer une influence significative sur ce marché ainsi que les obligations qui lui ou leur sont imposées font l'objet, notamment, d'une consultation publique, d'une consultation de la Commission européenne, de l'Autorité de la concurrence et, lorsque le marché en cause inclut la diffusion de la radio et de la télévision dans le périmètre d'un marché pertinent, du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Selon l'article D. 301, la désignation d'un marché comme pertinent en vue de l'application de mesures de régulation " est prononcée pour une durée maximale de trois ans. Elle est réexaminée : - à l'initiative de l'autorité, lorsque l'évolution de ce marché le justifie ; (...) - et dans tous les cas au terme d'un délai de trois ans. Ce délai peut toutefois, à titre exceptionnel, être prolongé jusqu'à trois ans supplémentaires lorsque l'autorité a notifié à la Commission européenne une proposition motivée de prolongation et que cette dernière n'y a pas opposé d'objection dans le mois suivant la notification ". Enfin, les articles D. 302 et D. 303 du même code prescrivent que les décisions par lesquelles l'ARCEP désigne un opérateur comme réputé exercer une influence significative sur un marché pertinent et lui impose des obligations soient " réexaminées dans les conditions prévues à l'article D. 301 (...) ".

4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que lorsque l'ARCEP envisage de prendre des mesures en vue de garantir une concurrence effective et loyale sur un marché, la désignation de ce marché comme pertinent pour y fixer des mesures de régulation, l'identification du ou des opérateurs réputés y exercer une influence significative ainsi que les obligations qui lui ou leur sont imposées font l'objet d'une consultation publique et des autres consultations requises. Au terme d'un délai de trois ans ou, si ce délai a été prolongé, à l'issue de la période de prolongation, au vu d'un bilan des mesures prises et d'une révision de l'analyse de marché soumis à consultation publique, ces obligations peuvent être maintenues, modifiées ou supprimées, après qu'il a été procédé à une nouvelle consultation publique et aux autres consultations requises.

Sur le litige :

5. Par la décision n° 2015-1583 du 15 décembre 2015, l'ARCEP a défini comme pertinent le marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre numérique (TNT) de programmes télévisuels, a désigné la société TDF comme opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et lui a imposé un certain nombre d'obligations afin qu'il soit notamment fait droit à toute demande raisonnable d'accès à des éléments de réseau ou à des ressources qui y sont associées portant sur la fourniture de prestations sur ce marché. Cette décision était applicable pour une durée de trois ans, sans préjudice d'un éventuel réexamen anticipé. Par la décision n° 2019-0555 du 16 avril 2019, l'ARCEP a prolongé, sur le fondement de l'article D. 301 du code des postes et communications électroniques, la durée d'application de la décision n° 2015-1583 jusqu'au 17 décembre 2020. Le 17 juin 2020, la société towerCast a demandé à l'ARCEP de lancer une nouvelle analyse de marché et que lui soit communiqué dans les meilleurs délais le calendrier de cette analyse. La société towerCast demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'ARCEP sur sa demande.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :

6. L'ARCEP a procédé du 20 juin au 10 septembre 2018, dans la perspective de l'arrivée à son terme de la période triennale d'application de la décision n° 2015-1583 du 15 décembre 2015, à une consultation portant sur son analyse du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre, le bilan des mesures prises et les perspectives d'évolution de ce marché, en indiquant envisager de ne pas reconduire la régulation de ce marché. Au vu des résultats de cette première consultation, elle a décidé, après une nouvelle consultation à la fin de l'année 2018 et en l'absence d'opposition de la Commission européenne, de prolonger jusqu'au 17 décembre 2020 les effets de sa décision de 2015.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4, qu'il appartenait à l'ARCEP de procéder, à l'issue de la période de prolongation, à une consultation publique et aux autres consultations requises avant de prendre une décision sur le maintien du marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre numérique (TNT) sur la liste mentionnée à l'article D. 301 du code des postes et communications électroniques ou sur son retrait de cette liste, ainsi que sur le maintien, la modification ou la suppression des autres mesures prises dans sa décision du 15 décembre 2015, sans que pût l'en dispenser la circonstance que les documents soumis à consultation publique en juin 2018 envisageaient l'arrêt de la régulation du marché en cause et alors, au demeurant, que la décision de prolongation de deux ans présentait ce délai comme " nécessaire pour mener à bien une analyse de marché incluant les phases de consultations indispensables ".

8. Par suite, en rejetant la demande de la société towerCast tendant à ce qu'une nouvelle analyse du marché soit engagée et soumise à consultation publique avant le terme des mesures de régulation prolongées en avril 2019, l'ARCEP a méconnu les dispositions précitées et la société towerCast est fondée à demander l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "

10. L'exécution de la présente décision implique nécessairement que l'ARCEP procède, dans les meilleurs délais, à une consultation publique et aux autres consultations requises par les dispositions du code des postes et des communications électroniques sur l'analyse du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre, assortie d'un bilan des mesures prises et des perspectives d'évolution de ce marché. Si l'ARCEP peut, pour assurer le bon fonctionnement du marché et dans les conditions prévues par l'article D. 301 du code des postes et des communications électroniques, prolonger les effets de la décision n° 2015-1583 du 15 décembre 2015 jusqu'à ce qu'elle prenne une nouvelle mesure, après avoir procédé aux consultations requises, décidant de la poursuite ou de l'abandon de toute régulation sur ce marché, une telle prolongation n'est pas nécessairement impliquée par l'annulation résultant de la présente décision et la demande d'injonction sur ce point ne peut donc qu'être rejetée.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société towerCast d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite de l'ARCEP rejetant la demande de la société towerCast tendant à ce qu'une une analyse du marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre numérique de programmes télévisuels soit réalisée et à ce que lui soit communiqué le calendrier de cette analyse est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à l'ARCEP de procéder, dans les meilleurs délais, à une consultation publique et aux autres consultations requises par les dispositions du code des postes et des communications électroniques sur l'analyse du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre assortie d'un bilan des mesures prises et des perspectives d'évolution de ce marché.
Article 3 : L'Etat versera à la société towerCast la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société towerCast et à l'ARCEP.
Copie en sera adressé à la société TDF et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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