Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 437237, lecture du 27 janvier 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:437237.20210127

Décision n° 437237
27 janvier 2021
Conseil d'État

N° 437237
ECLI:FR:CECHR:2021:437237.20210127
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Cécile Vaullerin, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public
CORLAY ; SCP MELKA - PRIGENT, avocats


Lecture du mercredi 27 janvier 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

M. et Mme C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administratif, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 27 juin 2019 du préfet de la Vendée déclarant d'utilité publique le projet de réalisation de la zone d'aménagement concerté du centre-ville du Poiré-sur-Vie et l'arrêté du 19 septembre 2019 du préfet déclarant cessible au bénéfice de l'établissement public foncier de la Vendée la parcelle cadastrée section AE n° 304 dont ils sont propriétaires. Par une ordonnance n° 1912277 du 16 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution des arrêtés du 27 juin 2019 et du 19 septembre 2019.

1° Sous le n° 437237, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 décembre 2019, le 15 janvier 2020 et le 27 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'établissement public foncier de la Vendée et la commune du Poiré-sur-Vie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. et Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de de M. et Mme C... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 437293, par un pourvoi enregistré le 2 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. et Mme C....





....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... E..., auditrice,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Corlay, avocat de l'établissement public foncier de la Vendée et autre et à la SCP Melka-Prigent, avocat de M. et Mme C... ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un arrêté du 27 juin 2019, le préfet de la Vendée a déclaré d'utilité publique le projet de réalisation de la zone d'aménagement concerté du centre-ville du Poiré-sur-Vie ayant pour objet la " revitalisation " du centre-bourg de cette commune. Par un arrêté du 19 septembre 2019, le préfet a déclaré cessibles au profit de l'établissement public foncier de Vendée les immeubles dont l'acquisition serait nécessaire à la réalisation du projet, dont la parcelle cadastrée AE n° 304 appartenant à M. et Mme C..., pour une superficie de 1703 m². M. et Mme C... ont alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 27 juin 2019 et de celui du 19 septembre 2019 en tant qu'il concerne leur parcelle. Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'établissement public foncier de la Vendée et la commune du Poiré-sur-Vie, d'une part, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, d'autre part, se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 16 décembre 2019 par laquelle le juge des arrêtés du tribunal administratif de Nantes a fait droit aux demandes de M. et Mme C....

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence (...) ". L'article L. 522-1 du même code dispose que : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...) ". L'article R. 522 4 du même code dispose : " Notification de la requête est faite aux défendeurs. (...) ". En vertu de l'article R. 552-7 du même code : " L'affaire est réputée en état d'être jugée dès lors qu'a été accomplie la formalité prévue au premier alinéa de l'article R. 522-4 et que les parties ont été régulièrement convoquées à une audience publique pour y présenter leurs observations. " L'article R. 522-8 du même code dispose : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. (...) L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ". Enfin, aux termes de l'article R. 522-10 1 du même code : " Lorsqu'elles sont faites par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 ou du téléservice mentionné à l'article R. 414-6, les notifications et communications des mémoires, des mesures d'instruction, des convocations et des avis sont réputées reçues dès leur mise à disposition dans l'application. "

4. Il ressort des pièces du dossier du juge des référés du tribunal administratif de Nantes que si la demande en référé de M. et Mme C... a été communiquée à la commune du Poiré-sur-Vie au moyen de l'application Télérecours le 14 novembre 2019 et que la commune a reçu, le même jour, l'avis l'invitant à l'audience de référé convoquée le 26 novembre 2019, l'établissement public foncier de la Vendée, qui avait la qualité de partie à l'instance, ne s'est pas vu communiquer la demande en référé et n'a pas été convoqué à cette audience. Toutefois, à l'issue de l'audience publique qui s'est tenue le 26 novembre 2019, le juge des référés a décidé de reporter la clôture de l'instruction conformément aux dispositions de l'article R. 522-8 du code de justice administrative, a communiqué l'ensemble de la procédure à l'établissement public foncier de la Vendée et a convoqué toutes les parties à une nouvelle audience, qui s'est tenue le 6 décembre 2019 et à l'issue de laquelle l'instruction a été close. Dans ces conditions, le moyen soulevé par l'établissement public foncier de la Vendée, tiré de la méconnaissance à son égard du caractère contradictoire de la procédure, doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

En ce qui concerne la condition d'urgence :

5. Aux termes de l'article L. 220-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Le transfert de propriété des immeubles ou de droits réels immobiliers est opéré, à défaut de cession amiable, par voie d'ordonnance du juge de l'expropriation ". En vertu de l'article L. 221-1 du même code : " L'ordonnance portant transfert de propriété est rendue par le juge au vue des pièces constatant que les formalités prescrites par le livre 1er ont été accomplies. " Aux termes de l'article L. 222-2 du même code : " L'ordonnance d'expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés (...) ". L'article L. 223-1 de ce code dispose que : " L'ordonnance d'expropriation ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation et pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme. " En vertu de l'article L. 223-2 de ce code : " Sans préjudice de l'article L. 223-1, en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation. " Selon l'article R. 221-3 de ce code : " Si l'acte déclarant l'utilité publique, l'arrêté de cessibilité ou l'acte en tenant lieu fait l'objet d'une suspension dans le cadre d'une procédure de référé, le préfet en informe le juge dès qu'il a reçu notification de la suspension. / Celui-ci sursoit au prononcé de l'ordonnance d'expropriation dans l'attente de la décision de la juridiction administrative sur le fond de la demande. "

6. Eu égard à l'objet d'un arrêté de cessibilité et à ses effets pour les propriétaires concernés, la condition d'urgence à laquelle est subordonné l'octroi d'une mesure de suspension en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée, en principe, comme remplie, sauf à ce que l'expropriant justifie de circonstances particulières, notamment si un intérêt public s'attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'expropriation. Il en va ainsi alors même que l'ordonnance du juge de l'expropriation procédant au transfert de propriété est intervenue.

7. Il s'ensuit que le juge des référés, en retenant en l'espèce l'urgence à suspendre les arrêtés litigieux après avoir relevé que la parcelle en cause, sur laquelle se trouvait une partie du jardin de la maison des requérants, était destinée à accueillir la construction de logements, que l'ordonnance d'expropriation, intervenue le 4 décembre 2019, n'était pas devenue définitive, que le bénéficiaire n'avait pas encore fait usage du bien pour y entamer les travaux de construction projetés et que les maisons devant être édifiées sur la parcelle en cause ne représentaient qu'une part très minoritaire du programme de logements envisagé, aucun élément n'étant de nature à établir qu'il était nécessaire de permettre l'exécution immédiate de la décision contestée, n'a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis ni entaché son ordonnance d'une erreur de droit. Le ministre n'est pas davantage fondé à soutenir que la condition d'urgence ne saurait être regardée comme remplie en l'espèce au motif que les requérants n'auraient saisi le juge des référés que le 8 novembre 2019 alors que l'arrêté de cessibilité datait du 19 septembre 2019.

En ce qui concerne l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés :

8. Une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'est pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et enfin si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d'ordre social, la mise en cause de la valorisation de l'environnement et l'atteinte éventuelle à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente. Il appartient au juge administratif, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.

9. Après avoir souverainement constaté, sans dénaturation des pièces du dossier, que l'opération en cause avait pour objet de rénover le centre-bourg de la commune du Poiré-sur-Vie par la construction d'habitats collectifs, dont des logements locatifs sociaux, ainsi que des commerces, le juge des référés a retenu que l'inclusion dans le périmètre d'expropriation de la parcelle de M. et Mme C..., sur laquelle ne sont prévus ni logements collectifs ni commerces mais la réalisation d'une impasse et la construction de quelques maisons, faisait naître un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés litigieux. En statuant ainsi, le juge des référés a suffisamment motivé sa décision et s'est livré, sans erreur de droit, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'établissement public foncier de la Vendée et la commune du Poiré-sur-Vie, d'une part, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, d'autre part, ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, de l'établissement public foncier de la Vendée et de la commune du Poiré-sur-Vie, la somme de 1 000 euros chacun à verser à M. et Mme C... au titre de ces dispositions. Ces mêmes dispositions font, en revanche, obstacle à ce que M. et Mme C..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, versent à l'établissement public foncier de la Vendée et à la commune du Poiré-sur-Vie la somme qu'ils demandent à ce titre.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de l'établissement public foncier de la Vendée et de la commune du Poiré-sur-Vie et le pourvoi de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sont rejetés.
Article 2 : L'Etat, l'établissement public foncier de la Vendée et la commune du Poiré-sur-Vie verseront, chacun, une somme de 1 000 euros à M. et Mme C..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public foncier de la Vendée, à la commune du Poiré-sur-Vie, à M. A... C... et à Mme D... C... et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.



Voir aussi