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Ariane Web: Conseil d'État 428887, lecture du 4 février 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:428887.20210204

Décision n° 428887
4 février 2021
Conseil d'État

N° 428887
ECLI:FR:CECHR:2021:428887.20210204
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Fanélie Ducloz, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public


Lecture du jeudi 4 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° S2019-0135 du 24 janvier 2019, la Cour des comptes a constitué Mme D... A..., agent comptable de la chambre départementale d'agriculture du Var, débitrice au titre de la charge n° 5, pour les exercices 2011 à 2015, d'une somme de 52 216,08 euros augmentée des intérêts de droit.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mars 2019 et 7 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 3, 4, 6, 8 et 13 de cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 63-156 du 23 février 1963, modifiée par la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- l'arrêté du 20 juin 1985 portant fixation de l'indemnité pour rémunération de services allouée aux agents-comptables des chambres régionales ou départementales d'agriculture ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... B..., maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, qui définit les obligations qu'il incombe au comptable public de respecter sous peine de voir sa responsabilité personnelle et pécuniaire engagée : " Outre la responsabilité attachée à leur qualité d'agent public, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public, désignées ci-après par le terme d'organismes publics, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent. / Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. / La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes. / (...) ". Aux termes du VI du même article : " La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent. (...) / Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l'espèce. Le montant maximal de cette somme est fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction du niveau des garanties mentionnées au II. / Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante. / (...) ". Aux termes du IX du même article : " Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au deuxième alinéa du VI ne peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. / Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l'appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l'obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI. / (...) ". Aux termes de l'article 12 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable : " Les comptables sont tenus d'exercer : / (...) B. - En matière de dépenses, le contrôle : / De la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué ; / De la disponibilité des crédits ; / De l'exacte imputation des dépenses aux chapitres qu'elles concernent selon leur nature ou leur objet ; / De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après ; / Du caractère libératoire du règlement. (...) ". Selon l'article 13 du même décret, alors applicable : " En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; / L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications. / En outre, dans la mesure où les règles propres à chaque organisme public le prévoient, les comptables publics vérifient l'existence du visa des contrôleurs financiers sur les engagements et les ordonnancements émis par les ordonnateurs principaux. / Les comptables publics vérifient également l'application des règles de prescription et de déchéance. " En outre, aux termes de l'article 19 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, dans sa rédaction alors applicable : " Le comptable public est tenu d'exercer le contrôle : (...) 2° S'agissant des ordres de payer : / a) De la qualité de l'ordonnateur ; / b) De l'exacte imputation des dépenses au regard des règles relatives à la spécialité des crédits ; / c) De la disponibilité des crédits ; / d) De la validité de la dette dans les conditions prévues à l'article 20 ; / e) Du caractère libératoire du paiement (...) ". Enfin, selon l'article 20 du même décret, dans sa rédaction alors applicable : " Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : / 1° La justification du service fait ; / 2° L'exactitude de la liquidation ; / 3° L'intervention des contrôles préalables prescrits par la réglementation ; / 4° Dans la mesure où les règles propres à chaque personne morale mentionnée à l'article 1er le prévoient, l'existence du visa ou de l'avis préalable du contrôleur budgétaire sur les engagements ; / 5° La production des pièces justificatives ; / 6° L'application des règles de prescription et de déchéance. "

2. Les dispositions rappelées ci-dessus instituent, dans l'intérêt de l'ordre public financier, un régime légal de responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables publics distinct de la responsabilité de droit commun. Lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme non rémissible. Lorsque le manquement du comptable a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes met en débet le comptable qui a alors l'obligation de verser de ses deniers personnels la somme correspondante. Il appartient ainsi au juge des comptes d'apprécier si le manquement du comptable a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné et, le cas échéant, d'évaluer l'ampleur de ce préjudice. Il doit, à cette fin, d'une part, rechercher s'il existait un lien de causalité entre le préjudice et le manquement à la date où ce dernier a été commis et, d'autre part, apprécier le montant du préjudice à la date à laquelle il statue en prenant en compte, le cas échéant, des éléments postérieurs au manquement.

3. Pour déterminer si le paiement irrégulier d'une dépense par un comptable public a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné, il appartient au juge des comptes de vérifier, au vu des éléments qui lui sont soumis à la date à laquelle il statue, si la correcte exécution, par le comptable, des contrôles lui incombant aurait permis d'éviter que soit payée une dépense qui n'était pas effectivement due. Lorsque le manquement du comptable porte sur l'exactitude de la liquidation de la dépense et qu'il en est résulté un trop-payé, ou conduit à payer une dépense en l'absence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non échue, ou à priver le paiement d'effet libératoire, il doit être regardé comme ayant par lui-même, sauf circonstances particulières, causé un préjudice financier à l'organisme public concerné. A l'inverse, lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent au titre du paiement d'une dépense porte seulement sur le respect de règles formelles que sont l'exacte imputation budgétaire de la dépense ou l'existence du visa du contrôleur budgétaire lorsque celle-ci devait, en l'état des textes applicables, être contrôlée par le comptable, il doit être regardé comme n'ayant pas par lui-même, sauf circonstances particulières, causé de préjudice financier à l'organisme public concerné. Le manquement du comptable aux autres obligations lui incombant, telles que le contrôle de la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des crédits, de la production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait, doit être regardé comme n'ayant, en principe, pas causé un préjudice financier à l'organisme public concerné lorsqu'il ressort des pièces du dossier, y compris d'éléments postérieurs aux manquements en cause, que la dépense repose sur les fondements juridiques dont il appartenait au comptable de vérifier l'existence au regard de la nomenclature, que l'ordonnateur a voulu l'exposer, et, le cas échéant, que le service a été fait.

4. D'autre part, aux termes de l'article D. 511-80 du code rural et de la pêche maritime, l'agent comptable d'une chambre d'agriculture " (...) perçoit une rémunération fixée par la chambre d'agriculture, dans les limites arrêtées conjointement par le ministre de l'agriculture et le ministre du budget. (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 juin 1985 du ministre de l'agriculture et du secrétaire d'Etat chargé du budget, portant fixation de l'indemnité pour rémunération de services allouée aux agents-comptables des chambres régionales ou départementales d'agriculture : " Le montant de l'indemnité pour rémunération de services allouée aux agents comptables des chambres régionales ou départementales d'agriculture est fixé par la chambre d'agriculture en pourcentage du salaire mensuel indicatif de base de l'indice 100 applicable aux rémunérations du personnel administratif des chambres d'agriculture, dans les limites suivantes, établies en fonction du montant total du budget des services généraux et des établissements ou services d'utilité agricole de la chambre, déduction faite des virements internes : / Montant total inférieur à 3 800 000 F : 40 % / Montant total compris entre 3 800 000 et 10 900 000 F : 70 % / Montant total compris entre 10 900 000 et 20 500 000 F : 100 % / Montant total supérieur à 20 500 000 F : 140 %. "

5. Il résulte des dispositions qui viennent d'être citées qu'un agent comptable d'une chambre d'agriculture a droit, sur le seul fondement de l'article D. 511-80 du code rural et de la pêche maritime, à une indemnité pour rémunération de services dont le montant est arrêté par la chambre d'agriculture dans la limite d'un plafond fixé par l'arrêté du 20 juin 1985 en fonction du montant total du budget des services généraux et des établissements ou services d'utilité agricole de la chambre d'agriculture concernée.

6. Il résulte également des dispositions citées au point 4 qu'un comptable public doit, lorsqu'il paie une indemnité pour rémunération de services à un agent comptable d'une chambre d'agriculture, s'assurer, au titre des obligations lui incombant s'agissant du contrôle des pièces justificatives de cette dépense, de l'existence, au préalable, d'une délibération votée par la session de cette chambre en arrêtant le montant.

7. Il ressort des pièces soumises aux juges du fond que Mme A..., agent comptable de la chambre départementale d'agriculture du Var, a procédé, pour les exercices 2011 à 2015, au paiement de l'indemnité pour rémunération de services, pour un montant total de 52 216,08 euros, sans que, pour la période en litige, cette chambre d'agriculture ait adopté au préalable une délibération arrêtant le montant de cette indemnité, mais que les délibérations de la session des 12 mars et 16 novembre 2018 ont fixé, rétroactivement pour la période en litige, le montant de l'indemnité au taux de 140 %, correspondant au taux maximal autorisé par l'arrêté du 20 juin 1985. Si la Cour des comptes a jugé, pour retenir l'existence d'un préjudice financier, que les délibérations des 12 mars et 16 novembre 2018 ne pouvaient fonder juridiquement les dépenses en litige en ce qu'elles avaient été prises postérieurement aux paiements pour régulariser rétroactivement les primes versées, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'agent comptable d'une chambre d'agriculture a droit, sur le fondement de l'article D. 511-80 du code rural et de la pêche maritime, à une indemnité pour rémunération de services. Les délibérations de la session des 12 mars et 16 novembre 2018 ayant fixé, pour les exercices 2011 à 2015, dans la limite prévue par l'arrêté du 20 juin 1985, le montant de l'indemnité à laquelle l'agent comptable avait, en tout état de cause, droit pour cette période, la dépense en litige reposait sur les fondements juridiques constitués par les dispositions de l'article D. 511-80 du code rural et de la pêche maritime et de l'arrêté du 20 juin 1985, ainsi que par les délibérations de la session des 12 mars et 16 novembre 2018 qui, dans ces circonstances, pouvaient avoir une portée rétroactive. Il s'ensuit qu'en jugeant, pour retenir l'existence d'un préjudice financier, que les dépenses litigieuses étaient indues comme dépourvues de fondement juridique, la Cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt attaqué en tant que, par ses articles 3, 4, 6, 8 et 13, il a constitué Mme A... débitrice d'une somme de 52 216,08 euros augmentée des intérêts de droit.



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 3, 4, 6, 8 et 13 de l'arrêt du 24 janvier 2019 de la Cour des comptes sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la Cour des comptes.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la procureure générale près la Cour des comptes.
Copie en sera adressée à Mme D... A....




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