Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 430594, lecture du 5 février 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:430594.20210205

Décision n° 430594
5 février 2021
Conseil d'État

N° 430594
ECLI:FR:CECHR:2021:430594.20210205
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Réda Wadjinny-Green, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP LESOURD, avocats


Lecture du vendredi 5 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° La société Performing Rights Society Ltd a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la retenue à la source opérée sur les redevances de droits d'auteur collectées pour son compte par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) au titre de l'année 2013. Par un jugement n° 1502977 du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé cette restitution.

Par un arrêt n° 17VE01940 du 12 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

Sous le numéro 430594, par un pourvoi enregistré le 9 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Il soutient que la cour administrative d'appel de Versailles l'a entaché :

- de dénaturation de ses écritures qui ne se prévalaient pas de l'absence de qualité de résident fiscal britannique de la société Performing Rights Society Ltd mais de l'absence de risque de double imposition, les redevances en litige étant déduites de sa base imposable ;
- d'erreur de qualification juridique des faits en jugeant que la société Performing Rights Society Ltd était le bénéficiaire effectif des redevances qui lui ont été versées par la SACEM au sens de l'article 13 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 alors qu'elle n'agissait qu'en qualité d'intermédiaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2019, la société Performing Rights Society Ltd conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

2° La société Performing Rights Society Ltd a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la retenue à la source opérée sur les redevances de droits d'auteur collectées pour son compte par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) au titre de l'année 2014. Par un jugement n° 1702789 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé cette restitution.

Par un arrêt n° 18VE01822 du 18 juin 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

Sous le numéro 432845, par un pourvoi enregistré le 22 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.



Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni, de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital, signée à Paris le 19 juin 2008 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


....................................................................................



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la société Performing Rights Society Ltd ;



Considérant ce qui suit :


1. Les pourvois enregistrés sous les n°s 430594 et 432845 présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit britannique Performing Rights Society Ltd., domiciliée à Londres, exerce une activité de collecte et de gestion des droits d'utilisation, de diffusion et de distribution des oeuvres, notamment musicales, dont les membres sont les auteurs, compositeurs ou interprètes. Elle a conclu avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) un accord de représentation réciproque aux termes duquel cette dernière société recouvre et lui reverse les redevances correspondant à l'utilisation, en France, des oeuvres des artistes qu'elle représente. La SACEM a opéré au titre des années 2013 et 2014 une retenue à la source, en application des articles 92 et 182 B du code général des impôts, sur le montant des redevances ainsi collectées par elle. L'administration fiscale n'a que partiellement fait droit à la demande de la société Performing Rights Society Ltd. tendant à la restitution, sur le fondement de la convention fiscale franco-britannique, de cette retenue à la source, à hauteur de la somme de 2 396 982 pour l'année 2013 et de 5 999 895 pour l'année 2014, correspondant aux seules redevances reversées à des contribuables britanniques. Par deux jugements du 18 avril 2017 et du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société Performing Rights Society Ltd tendant à la restitution du reliquat de la retenue à la source litigieuse, d'un montant de 374 706 euros pour l'année 2013 et de 1 261 472 euros pour l'année 2014. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre les arrêts de la cour administrative d'appel de Versailles en date des 12 mars et 18 juin 2019 rejetant ses appels contre ces deux jugements.

3. D'une part, l'article 182 B du code général des impôts dispose, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, que : " I. - Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) b. Les produits définis à l'article 92 et perçus par les inventeurs ou au titre de droits d'auteur " tandis qu'aux termes de l'article 92 du même code : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. / 2. Ces bénéfices comprennent notamment : (...) 2° Les produits de droits d'auteurs perçus par les écrivains ou compositeurs et par leurs héritiers ou légataires ".

4. D'autre part, l'article 4 de la convention franco-britannique du 19 juin 2008 stipule que : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, y est assujettie à l'impôt en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, de son lieu d'enregistrement ou de tout autre critère de nature analogue, et s'applique aussi à cet Etat ainsi qu'à toutes ses subdivisions politiques ou à ses collectivités locales, ainsi qu'à toute personne morale de droit public de cet Etat, de cette subdivision ou de cette collectivité " tandis qu'aux termes de son article 13 : " 1. Les redevances provenant d'un Etat contractant et dont le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans cet autre Etat. / 2. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique ". Il résulte de ces stipulations que les redevances tirées de la gestion des droits d'auteur versées en France et dont le bénéficiaire effectif est un résident du Royaume-Uni ne sont imposables qu'au Royaume-Uni.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les artistes membres de la société Performing Rights Society lui cèdent, en vertu de l'article 7 de ses statuts constitutifs, les droits qu'ils détiennent sur leurs oeuvres. Si, en vertu des articles 47 et 48 de ces mêmes statuts, le conseil d'administration de la société détermine l'affectation des revenus tirés de l'exploitation de ces oeuvres, ces revenus doivent néanmoins, en principe, être répartis entre les membres de la société " après déduction des frais y compris à caractère social justifié ". Les redevances redistribuées sont alors comptabilisées en charges déductibles dans les écritures comptables de la société et imposées entre les mains de ses membres et non de la société. Il ressort en outre des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si une partie des redevances collectées par la société est affectée par le conseil d'administration de la société, soit à des oeuvres charitables ou des dons aux membres ou aux employés, soit à des fonds de réserve, à l'entretien des biens de la société ou à toute autre fin que le conseil estime nécessaire ou propice aux intérêts de la société, l'essentiel de ces redevances est, chaque année, en pratique, reversée aux membres de la société. En déduisant de l'ensemble de ces éléments, que la société Performing Rights Society Ltd, qui a pour objet de collecter et de gérer les revenus perçus par ses membres, devait être regardée comme le " bénéficiaire effectif ", au sens des stipulations de l'article 13 de la convention fiscale franco-britannique cité au point 4, de la part des redevances collectées pour elle en France par la SACEM et reversées à ses membres, la cour administrative d'appel de Versailles a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que le ministre est fondé à demander l'annulation des arrêts qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : Les arrêts de la cour administrative d'appel de Versailles des 12 mars et 19 juin 2019 sont annulés.
Article 2 : Les affaires sont renvoyées devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Performing Rights Society Ltd au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Performing Rights Society Ltd.




Voir aussi