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Ariane Web: Conseil d'État 434438, lecture du 18 mai 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:434438.20210518

Décision n° 434438
18 mai 2021
Conseil d'État

N° 434438
ECLI:FR:CECHR:2021:434438.20210518
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mardi 18 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 9 septembre et 9 décembre 2019, 9 janvier, 23 juin et 18 juillet 2020 et 19 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-212 du 20 mars 2019 relatif au regroupement des concessions hydroélectriques de la Société hydroélectrique du Midi sur la Dordogne ainsi que la décision du 9 juillet 2019 du ministre de la transition écologique et solidaire rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- l'ordonnance n° 2016-518 du 28 avril 2016 ;
- le décret du 11 mars 1921 modifié autorisant et déclarant d'utilité publique les travaux à entreprendre en vue de l'aménagement par la Compagnie d'Orléans de la haute Dordogne ;
- le décret du 6 janvier 1956 approuvant la substitution d'Electricité de France à la Société nationale des chemins de fer français en qualité de concessionnaire d'une partie de l'aménagement de la haute Dordogne, du Chavanon et de la Rhue ;
- le décret du 2 mars 1988 relatif à l'aménagement et à l'exploitation de la chute de Saint-Pierre-Marèges sur la Dordogne dans le département du Cantal ;
- le décret du 27 décembre 1991 autorisant la substitution de la Société hydroélectrique du Midi à la Société nationale des chemins de fer français dans les droits et obligations résultant pour cette dernière des textes régissant dix-neuf aménagements hydroélectriques autorisés ou concédés sur plusieurs cours d'eau des Pyrénées et du Massif central ;
- le décret du 5 décembre 2003 autorisant la substitution de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) à Electricité de France (EDF) dans les droits et obligations résultant pour cette dernière de la concession qui lui a été accordée pour l'aménagement et l'exploitation de l'usine hydroélectrique de Saint-Pierre-Marèges sur la Dordogne, dans le département du Cantal ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 mai 2021, présentée par l'AFIEG ;

Considérant ce qui suit :

1. Le décret du 20 mars 2019 relatif au regroupement des concessions hydroélectriques de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) sur la Dordogne procède, en application des dispositions de l'article L. 521-16-1 du code de l'énergie, au regroupement, d'une part, de la concession de l'aménagement de la haute Dordogne octroyée par le décret du 11 mars 1921, à l'exclusion des aménagements en amont du pont de Bort, du Chavanon et de la Rhue (à l'exception de la chute de Coindre) concédés à EDF par le décret du 6 janvier 1956 et, d'autre part, de la concession de Saint-Pierre-Marèges sur la Dordogne dans le département du Cantal octroyée par le décret du 2 mars 1988. Les dates d'échéance de ces deux concessions d'énergie hydroélectrique, actuellement exploitées par la société hydroélectrique du midi (SHEM), étaient initialement respectivement fixées au 31 décembre 2012 et au 31 décembre 2062. La nouvelle date commune d'échéance de ces concessions est fixée, par l'article 1er du décret du 20 mars 2019, au 31 décembre 2048 sous réserve de l'engagement au 31 décembre 2024 des travaux énumérés à l'article 3 de ce décret. A défaut de l'engagement de tout ou partie de ces travaux à cette dernière date, la date d'échéance commune des deux concessions sera ramenée au 31 décembre de l'année d'échéance corrigée déterminée selon la formule de calcul mentionnée à l'article 2 du même décret. Par un courrier du 17 mai 2019, l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) a demandé au ministre de la transition écologique et solidaire de retirer ce décret. Elle demande au Conseil d'Etat d'annuler celui-ci ainsi que la décision du 9 juillet 2019 par laquelle le ministre a rejeté son recours gracieux.

Sur le cadre juridique du litige :

En ce qui concerne les autorisations d'exploiter une installation de production hydroélectrique :

2. Aux termes de l'article L. 311-5 du code de l'énergie : " L'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité est délivrée par l'autorité administrative en tenant compte des critères suivants : / 1° L'impact de l'installation sur l'équilibre entre l'offre et la demande et sur la sécurité d'approvisionnement, évalués au regard de l'objectif fixé à l'article L. 100-1 ; / 2° La nature et l'origine des sources d'énergie primaire au regard des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 ; / 3° L'efficacité énergétique de l'installation, comparée aux meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ; / 4° Les capacités techniques, économiques et financières du candidat ou du demandeur ; / 5° L'impact de l'installation sur les objectifs de lutte contre l'aggravation de l'effet de serre. / L'autorisation d'exploiter doit être compatible avec la programmation pluriannuelle de l'énergie ". Selon l'article L. 312-1 de ce code : " La production hydroélectrique est régie par les dispositions du livre V en tant qu'elles concernent l'hydroélectricité ". Aux termes de l'article L. 312-2 du même code : " Les titres administratifs délivrés en application du livre V valent autorisation au sens de l'article L. 311-5 ". Selon l'article L. 511-5 du même code : " Sont placées sous le régime de la concession les installations hydrauliques dont la puissance excède 4 500 kilowatts. / Les autres installations sont placées sous le régime de l'autorisation selon les modalités définies à l'article L. 531-1. / (...) ". Aux termes de l'article L. 521-1 de ce code : " Les installations placées sous le régime de la concession en application de l'article L. 511-5, les autorisations de travaux et les règlements d'eau pris pour son application sont instruits en application du présent titre selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat. / Ces actes doivent respecter les règles de fond prévues au titre Ier du livre II du code de l'environnement et valent autorisation au titre de l'article L. 214-1 du même code. / La passation et l'exécution des contrats de concession d'énergie hydraulique sont soumises aux dispositions prévues par l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et par le présent titre ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les contrats de concession des installations hydroélectriques régis par le livre V du code de l'énergie valent autorisation de ces installations au titre des dispositions de l'article L. 311-5 de ce code et au titre de l'article L. 214-1 du code de l'environnement.

En ce qui concerne le renouvellement et le regroupement des concessions hydrauliques :

4. Aux termes de l'article L. 521-16 du code de l'énergie : " La procédure de renouvellement des concessions est fixée par un décret en Conseil d'Etat. / Au plus tard trois ans avant l'expiration de la concession, l'autorité administrative prend la décision soit de mettre définitivement fin à la concession à la date normale de son expiration, soit d'instituer une concession nouvelle à compter de l'expiration. / La nouvelle concession doit être instituée au plus tard le jour de l'expiration du titre en cours, c'est-à-dire soit à la date normale d'expiration, soit si le dernier alinéa est mis en oeuvre à la nouvelle date déterminée selon les dispositions de cet alinéa. A défaut, pour assurer la continuité de l'exploitation, ce titre est prorogé aux conditions antérieures jusqu'au moment où est délivrée la nouvelle concession. / (...) ". Selon l'article L. 521-16-1 du même code : " Lorsque le concessionnaire est titulaire de plusieurs concessions hydrauliques formant une chaîne d'aménagements hydrauliquement liés, l'autorité administrative peut procéder, par décret, au regroupement de ces concessions, afin d'optimiser l'exploitation de cette chaîne au regard des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du présent code, ou des objectifs et exigences mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. / Le décret mentionné au premier alinéa du présent article comporte la liste des contrats de concession regroupés. Il substitue à leur date d'échéance une date d'échéance commune calculée à partir des dates d'échéance prévues par les cahiers des charges des contrats regroupés, au besoin en dérogeant au 2° de l'article L. 521-4 du présent code et à l'article 40 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. / Les modalités de calcul utilisées pour fixer cette nouvelle date commune d'échéance garantissent au concessionnaire le maintien de l'équilibre économique, apprécié sur l'ensemble des concessions regroupées. / Les contrats de concession faisant l'objet, en application du troisième alinéa de l'article L. 521-16, d'une prorogation jusqu'au moment où est délivrée une nouvelle concession peuvent être inclus dans la liste des contrats mentionnée au deuxième alinéa du présent article. Les dates d'échéance retenues pour le calcul de la date commune mentionnée au même deuxième alinéa tiennent compte des prorogations résultant de l'application des deux derniers alinéas de l'article L. 521-16, à hauteur des investissements réalisés. / Un décret en Conseil d'État précise les critères utilisés pour ce calcul et les conditions et modalités du regroupement prévu au présent article ". Aux termes de l'article R. 521-61 de ce code : " La nouvelle date commune d'échéance mentionnée à l'article L. 521-16-1 est calculée de telle sorte que la somme des flux de trésorerie disponibles futurs estimés des concessions, actualisés et calculés sur l'ensemble des concessions regroupées, ne soit pas modifiée par leur regroupement. Les flux de trésorerie disponibles sont définis comme l'excédent brut d'exploitation, déduction faite des investissements et de l'impôt sur les sociétés calculé sur le résultat d'exploitation. / Lorsqu'un contrat de concession inclus dans une opération de regroupement a fait l'objet d'une prorogation en application du troisième alinéa de l'article L. 521-16, la date d'échéance retenue pour le calcul mentionné à l'alinéa précédent est la suivante : (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que le regroupement des concessions formant une chaîne d'aménagements hydrauliquement liés consiste, en application de la méthode dite des " barycentres ", d'une part, à allonger la durée d'une ou plusieurs concessions échues ou dont la date d'échéance est proche et, d'autre part, à réduire la durée d'une ou plusieurs concessions dont la date d'échéance est plus lointaine. Ce mécanisme a pour effet d'aligner les dates d'échéance des concessions regroupées sur une date commune, déterminée dans des conditions permettant de garantir au concessionnaire, en application des dispositions précitées de l'article L. 521-16-1 du code de l'énergie, le maintien de l'équilibre économique, apprécié sur l'ensemble des concessions regroupées. A cet effet, la nouvelle date d'échéance commune de celles-ci doit correspondre à la date à laquelle la valeur actuelle nette des flux de trésorerie disponibles futurs de la ou des concessions dont la durée est allongée compense strictement la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs de la ou des concessions dont le concessionnaire est privé du fait de la réduction de leur durée.

Sur la recevabilité de la requête :

6. Les décrets qui, sur le fondement des articles L. 521-16 et suivants du code de l'énergie, procèdent au regroupement des concessions hydroélectriques et fixent leur nouvelle date d'échéance commune doivent être regardés non seulement comme modifiant la date d'échéance des contrats de concession regroupées, mais comme valant également nouvelles autorisations des installations hydroélectriques qu'elles recouvrent au titre des dispositions précitées de l'article L. 311-5 du code de l'énergie et, en tant que de besoin, au titre de l'article L. 214-1 du code de l'environnement. Ainsi, ces décrets, qui s'inscrivent dans le régime auquel sont unilatéralement soumises les concessions hydroélectriques, sont susceptibles d'être déférés au juge de l'excès de pouvoir par les tiers y ayant un intérêt suffisant.

7. Le décret attaqué, s'il concerne principalement les départements traversés par la Dordogne, prolonge également de manière substantielle la durée de l'une des deux concessions hydroélectriques qu'il regroupe. Il est ainsi de nature à affecter le libre jeu de la concurrence et soulève, dès lors, compte tenu des spécificités de ce secteur des concessions hydroélectriques, des questions qui par leur nature et leur objet excèdent les seules circonstances locales. Par suite, l'association requérante qui, aux termes de ses statuts, s'est notamment donnée pour objet la promotion du développement en France d'un marché concurrentiel dans les secteurs de l'électricité et du gaz naturel, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de ce décret.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 521-65 du code de l'énergie : " Le ministre chargé de l'énergie transmet à chaque préfet concerné, ou le cas échéant au préfet coordonnateur, un rapport unique présentant le projet de regroupement et lui demande de procéder aux consultations : / - des communes sur le territoire desquelles les ouvrages des concessions à regrouper sont établis ou paraissent de nature à faire sentir notablement leurs effets ; / - du conseil départemental du département sur lequel s'étend le périmètre de la concession ; - du conseil régional de la région sur le territoire de laquelle s'étend le périmètre de la concession. / Ces avis sont émis dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande par la collectivité consultée. A défaut d'avoir été émis dans ce délai, les avis sont réputés favorables ".

9. Par courrier du 1er août 2018, le ministre chargé de l'énergie a demandé au préfet de la Corrèze, coordonnateur, en lien avec celui du Cantal, de procéder à la consultation des collectivités concernées par le projet de regroupement des concessions électriques en litige. Plusieurs courriers ont ainsi été adressés à ces collectivités par le préfet de la Corrèze le 12 septembre 2018. Le décret attaqué a donc été précédé des consultations requises, lesquelles ont donné lieu à l'émission de neuf avis, les autres étant réputés favorables à défaut d'avoir été émis dans un délai de deux mois, en application des dispositions précitées de l'article R. 521-65 du code de l'énergie. Par suite, le moyen tiré de l'omission des consultations obligatoires prévues par ces dispositions manque en fait.

10. En second lieu, aux termes de l'article L. 521-16-3 du code de l'énergie : " Lorsque la réalisation de travaux nécessaires à l'atteinte des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 et non prévus au contrat initial l'exige, la concession peut être prorogée, dans les limites énoncées à l'article 55 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, au besoin en dérogeant au 2° de l'article L. 521-4 du présent code et à l'article 2 de la loi du 27 mai 1921 précitée. A la demande de l'Etat, le concessionnaire transmet un programme de travaux. / Lorsque les travaux mentionnés au premier alinéa du présent article sont prévus sur une concession comprise dans une chaîne d'aménagements hydrauliquement liés concernée par l'application des articles L. 521-16-1 ou L. 521-16-2, le montant de ces travaux peut être pris en compte pour la fixation de la nouvelle date d'échéance garantissant le maintien de l'équilibre économique, calculée en application du troisième alinéa des mêmes articles L. 521-16-1 ou L. 521-16 2 ". Selon l'article R. 521-66 du même code : " Lorsque l'Etat lui fait part de son intention de proroger la concession en application de l'article L. 521-16-3 et des articles 36 et 37 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, le concessionnaire transmet, outre un programme de travaux, une note présentant les conditions économiques et les modifications du cahier des charges qu'il envisage pour donner son accord à cette prorogation. / L'autorité administrative peut demander au concessionnaire des pièces, informations et expertises complémentaires et faire procéder par un organisme tiers, aux frais du concessionnaire, à une expertise de tout ou partie des éléments transmis ".

11. La prorogation de la concession de l'aménagement de la haute Dordogne octroyée par le décret du 11 mars 1921, dans la limite précisée au point 1, par le décret attaqué est fondée sur les dispositions de l'article L. 521-16-1 du code de l'énergie. Par suite, la requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article R. 521-66 du même code qui ne concernent que les concessions prorogées en application de l'article L. 521-16-3 de ce code.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne l'exception tirée de l'illégalité de l'article R. 521-61 du code de l'énergie :

12. L'AFIEG soutient que les dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 521-61 du code de l'énergie, en tant qu'elles visent la prorogation du contrat de concession en application du troisième alinéa de l'article L. 521-16, méconnaissent celles de l'article L. 521-16-1 du même code, qui ne concernent, selon elle, que les prorogations issues des deux derniers alinéas de l'article L. 521-16, à savoir ses quatrième et cinquième alinéas, et non celles résultant de son troisième alinéa. Il est vrai que, comme le relèvent en défense la ministre de la transition écologique et la SHEM, l'article L. 521-16-1 du code de l'énergie dans sa rédaction issue de l'ordonnance susvisée du 28 avril 2006 portant diverses modifications du livre V du code de l'énergie vise de manière erronée les deux derniers alinéas de l'article L. 521 16 alors que cette ordonnance a inséré au sein de ce dernier article un nouvel alinéa entre ses deux derniers alinéas. Il ne fait néanmoins pas de doute que l'auteur de l'ordonnance a entendu viser dans l'article L. 521-16-1, non les deux derniers alinéas, mais le troisième ainsi que le cinquième et dernier alinéas de l'article L. 521-16, à l'exclusion de son quatrième alinéa. En l'absence de doute sur la portée de l'article L. 521-16-1 du code de l'énergie dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 28 avril 2006, cet article doit être regardé comme visant les prorogations résultant de l'application non des deux derniers alinéas de l'article L. 521-16 du même code, mais de ses troisième et cinquième alinéas. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'article R. 521-61 du code de l'énergie doit être écarté.

En ce qui concerne la prise en compte de travaux non prévus par les contrats de concession initiaux en application de l'article L. 521-16-3 du code de l'énergie :

13. Aux termes de l'article L. 523-2 du code de l'énergie : " Pour toute nouvelle concession hydroélectrique, y compris lors d'un renouvellement, il est institué, à la charge du concessionnaire, au profit de l'Etat, une redevance proportionnelle aux recettes de la concession. (...) / Les concessions dont la durée est prolongée en application de l'article L. 521-16-3 sont soumises à la redevance mentionnée au premier alinéa du présent article. Le taux est fixé par l'autorité concédante, dans le respect de l'équilibre économique du contrat initial. Dans le cas mentionné au second alinéa du même article L. 521-16-3, l'ensemble des concessions concernées par l'application des articles L. 521-16-1 ou L. 521-16-2 est soumis à la redevance mentionnée au premier alinéa du présent article. La redevance, dont le taux est fixé par l'autorité concédante pour chaque concession, est prise en compte dans la fixation de la nouvelle date d'échéance garantissant le maintien de l'équilibre économique, calculée en application du troisième alinéa des mêmes articles L. 521-16-1 ou L. 521-16-2. / (...) ".

14. La concession de l'aménagement de la haute Dordogne octroyée par le décret du 11 mars 1921, dans la limite précisée au point 1, n'a pas été prorogée par le décret attaqué, contrairement à ce que soutient la requérante, en application des dispositions de l'article L. 521-16-3 du code de l'énergie, mais de celles de son article L. 521-16-1. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait méconnu les dispositions de l'article L. 521-16-3 de ce code ainsi que celles de l'article L. 523-2, lequel prévoit l'institution d'une redevance pour les concessions dont la durée est prolongée en application de cet article, est inopérant.

En ce qui concerne la nouvelle date commune d'échéance retenue par le décret attaqué :

15. Lorsque le regroupement intègre une concession qui, comme en l'espèce, a déjà fait l'objet d'une prorogation de plein droit dite " en délais glissants " en application du troisième alinéa de l'article L. 521-16 du code de l'énergie, l'article R. 521-61 précité définit les modalités de détermination de la date d'échéance théorique de cette concession qui doit être retenue afin de garantir la neutralité économique du regroupement. La formule de calcul de cette date d'échéance théorique varie selon qu'est positive ou non la variable " E " mentionnée à l'article R. 521-61 du code de l'énergie, qui correspond à la valeur actualisée nette des flux de trésorerie pendant la période de prorogation de la concession, augmentée des investissements de remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d'échéance de la concession et ont été réalisés après cette date.

16. La question de savoir laquelle des formules de calcul doit être appliquée pour la détermination de la date d'échéance théorique de la concession de l'aménagement de la haute Dordogne octroyée par le décret du 11 mars 1921, dans la limite précisée au point 1, dont la date d'échéance était fixée, avant prorogation, au 31 décembre 2012, ne peut être résolue en l'état du dossier. En effet, celui-ci ne fait pas ressortir si la valeur " E " mentionnée à l'article R. 521-61 du code de l'énergie cité au point 4, dont dépend le choix de la formule de calcul, est positive ou non. En outre, le dossier ne comporte pas le détail des modalités de calcul de la nouvelle date commune d'échéance des concessions regroupées par le décret du 20 mars 2019 précité. Enfin, l'état du dossier ne permet pas au Conseil d'Etat d'apprécier l'exactitude du calcul de la date d'échéance théorique du regroupement en l'absence de production du plan d'investissement pour les chutes de Coindre et Marèges, soit 2035, ni de la nouvelle date commune d'échéance des concessions regroupées, soit au plus tard le 31 décembre 2048 en fonction de la réalisation de tout ou partie des travaux énumérés à l'article 3 du décret du 20 mars 2019 précité.

17. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions de la requête de l'AFIEG, d'ordonner un supplément d'instruction tendant à la production par la ministre de la transition écologique de tous documents permettant de déterminer, d'une part, les modalités de calcul de la nouvelle date commune d'échéance des concessions regroupées et les éléments sur lesquels l'administration s'est fondée pour calculer cette date et, d'autre part, la valeur de la variable " E " mentionnée à l'article R. 521-61 du code de l'énergie.

18. Pour les mêmes motifs, il y a lieu de surseoir à statuer sur les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Avant de statuer sur les conclusions de la requête de l'AFIEG, il sera procédé à un supplément d'instruction tendant à la production, par la ministre de la transition écologique, des documents mentionnés au point 17 de la présente décision.

Article 2 : Ces documents devront parvenir au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties, notamment les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sur lesquels il n'est pas expressément statué par la présente décision sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et à la société hydroélectrique du midi.


Voir aussi